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Après avoir raconté l’histoire du fils d’Antigone, Irène Cohen-Janca écrit une lettre à Simone Veil

Irène Cohen-Janca
Dominique Petre
30 octobre 2018

C’est en venant présenter en Allemagne son dernier roman pour ados que l’auteure a trouvé l’idée d’un prochain projet d’écriture.


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Irène Cohen-Janca à la bibliothèque «Au plaisir de lire » à Francfort (©Dominique Petre).

Elle a été invitée par un groupe de professeurs de français engagés de Francfort[1] pour parler des livres qu’elle a écrits. Mais Irène Cohen-Janca parle avec au moins autant de plaisir des livres qu’elle a lus et qui l’ont marquée, n’hésitant pas à les lire à haute voix, comme un poème d’Apollinaire ou le texte Tu seras un homme, mon fils écrit par Rudyard Kipling pour son fils adolescent.

A Francfort, la rencontre avec les professeurs se déroule dans une bibliothèque, et on sent qu’Irène Cohen-Janca, qui est à la fois conservatrice et écrivaine, s’y sent bien. Née en 1954 à Tunis, elle a grandi en France et a toujours aimé les livres. Après avoir obtenu une maîtrise de Lettres modernes, elle publie romans, albums et documentaires pour divers éditeurs.

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Irène Cohen-Janca et Mme le consul général de France à Francfort, Pascale Trimbach (©Dominique Petre).

Inhumation versus incinération
Elle est venue présenter Fils d’Antigone, un roman paru dans la collection DoAdo au Rouergue en 2016. «Le sujet est un peu aride», convient-elle, «mais on doit poser ce genre de thèmes qui poussent à la réflexion». Le père de Nathan est décédé en tombant d’une falaise alors qu’il se promenait par un temps de chien. Accident ou suicide? On ne le saura sans doute jamais. Ce qui est sûr cependant, c’est que le fils s’oppose âprement au projet de sa famille – et surtout de sa mère – de faire incinérer le défunt. Voilà pourquoi il est «le fils d’Antigone», puisque l’héroïne antique (et de Jean Anouilh) tenait absolument à enterrer le corps de son frère, évitant ainsi à l’âme de celui-ci d’être vouée à l’errance éternelle.

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«Fils d'Antigone», d'Irène Cohen-Janca (©Rouergue).

Dans le roman d’Irène Cohen-Janca, Nathan ne veut pas que son père soit réduit à un tas de cendres et se révolte contre sa mère (avec un intéressant renversement des genres puisqu'Antigone s’opposait à son père). Celle-ci donne à «Nat’» quatre jours pour la convaincre que l’inhumation vaut mieux que la crémation. L’adolescent va chercher le soutien de sa copine et de son grand-père pour parvenir à ses fins. «Pour Nathan, la crémation équivaut à lever la main sur un corps sans défense et il se doit de le protéger», explique l’auteure. «Il a besoin d’un lieu – le cimetière – pour apprivoiser la mort». Comme dans la tragédie grecque, le héros est mu par un besoin d’enterrer un cadavre, mais également par un sentiment de révolte. «Souvenez-vous: Créon n’arrête pas de lui tendre des perches, mais Antigone est dans cette exigence folle de la jeunesse, elle veut aller jusqu’au bout», commente Irène Cohen-Janca.

L’adolescence est l’âge des grandes questions
Justement, la jeunesse… pourquoi elle aime écrire pour des adolescents? «C’est l’âge de la métaphysique et des grandes questions», répond Irène Cohen-Janca. Mais comment lui est venue l’idée, pour le moins originale, du fils d’Antigone? «J’ai assisté à une crémation et j’ai trouvé cela d’une violence incroyable», répond l’auteure qui revendique le droit à chacun de vivre un deuil comme il l’entend. «À notre époque, on aimerait avoir une petite boîte à outils contre tous les aléas de la vie.». Ce qui l’horripile? Que l’on sous-entende qu’il faut aller consulter un psy quand un travail de deuil prend du temps: «Pourquoi ne pas accepter que toute une vie parfois ne suffit pas à surmonter la douleur?», demande Irène Cohen-Janca.

«Ce texte est un monologue comme tous ceux de cette collection», commente l’auteure, «on n’a que le point de vue du fils, et le texte est écrit pour être récité à voix haute». La lecture à voix haute, c’est un de ses chevaux de bataille: «C’est par cela qu’il faudrait commencer chaque matin la journée d’école».

Elle aime l’histoire, comme le montrent son roman L’étoile de Kostia sur la vie quotidienne d’une jeune moscovite au moment de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl et son documentaire sur l’enfance de Staline dans la collection «T’étais qui toi?» (Actes Sud junior). «Cela m’a passionnée de faire des recherches sur l’enfance de Staline», explique Irène Cohen-Janca, «de voir comment un petit garçon malingre que sa maman appelait Sosso avait pu devenir un tyran». Toujours dans la veine documentaire mais dans un autre album, illustré par Maurizio A. C. Quarello, elle a raconté la vie des orphelins juifs dans le ghetto de Varsovie et l’action extraordinaire du docteur Janusz Korczak, qui, à défaut de les sauver, les a accompagnés dans la mort. Ruby tête haute, un album sorti l’été dernier aux éditions des Eléphants, raconte l’histoire d’une jeune Noire dans la Louisiane des années 1960. Elle est la première – et la seule – Noire à fréquenter une école jusque-là réservée aux Blancs. «Cet album illustré par Marc Daniaux et reálisé avec le soutien d’Amnesty International marche très fort», se réjouit Irène Cohen-Janca, «il a été énormément sélectionné».

Ruby et Staline
«Ruby tête haute» et «Staline», d'Irène Cohen-Janca (©Les éditions des Elephants et Actes Sud junior).

Tchernobyl, le ghetto de Varsovie, Staline, et maintenant la mort avec Fils d’Antigone… Irène Cohen-Janca aborde des thèmes graves, «mais je m’interdis le désespoir», affirme-t-elle. «Il est important d’ouvrir une porte à la fin pour montrer que la vie est toujours pleine d’imprévus».

Madame «Au moins un»
L’auteure aime aussi la poésie, cela se remarque dans son écriture, même dans ses albums. Dans Les arbres pleurent aussi, elle donne la parole au vieux marronnier qui a été le témoin privilégié des de la vie clandestine d’Anne Frank. A Francfort, elle commence la rencontre avec les professeurs de français par la lecture de Marie, le poème d’Apollinaire qui joue un rôle dans son roman Au moins un. Madame «Au moins un» est le surnom donné à une enseignante de français qui fait tout pour que ses élèves connaissent au moins un poème par cœur – un poème pour soi, comme un abri pour se réfugier. L’héroïne du roman, Marie, tente de s’intéresser aux règles du télémarketing mais une rencontre fortuite avec Madame «Au moins un» va tout bouleverser.

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Irène Cohen-Janca et l'amour de la poésie! (©Rouergue, Dominique Petre et Actes Sud junior).

Actuellement, Irène Cohen-Janca travaille à un album sur une autre Marie, nom de famille Curie, et à un documentaire sur les droits en France: «J’y parle de l’interruption volontaire de grossesse, de l’abolition de la peine de mort, de l’instauration des congés payés… Le livre est une commande des éditions des Eléphants, une petite maison avec laquelle j’aime travailler.» Un autre projet en cours est une lettre à Simone Veil… curieusement incité par son voyage à Francfort sur le Main en début d’année: «On avait parlé de Simone Veil lors de la rencontre avec les enseignants. Une des organisatrices m’a dit: pourquoi ne lui consacrez-vous pas un livre? Et j’ai trouvé que c’était une idée à creuser.» «La genèse de cette lettre est une jolie histoire», poursuit l’auteure en souriant, «mais encore faudra-t-il que ce texte, qui n’est pas une commande, convainque un éditeur». Avis aux amateurs de Simone Veil et d’Irène Cohen-Janca.


[1] Irène Cohen-Janca a participé, au début de l’année 2018, à une rencontre avec des enseignant(e)s de français langue étrangère à la bibliothèque «Au plaisir de lire» à Francfort sur le Main.

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