La promenade d'un distrait

Beatrice Alemagna revient à ses premiers amours, les récits de l’auteur italien Gianni Rodari, et a choisit d’illustrer cette promenade, peu connue, d’un distrait. Non seulement, l’illustratrice nous offre un album somptueux, mais également un formidable petit film d’animation (qui fut l’objet de sa thèse de fin d’études à l’institut I.S.I.A. d’Urbino). Et autant le dire, le résultat est formidable. Car cette histoire est d’abord un hommage à l’enfance, à la liberté des enfants et à l’amour maternel. Un jeune garçon part en promenade. Sa mère le prévient de faire attention, lui qui est toujours si distrait. Le garçon l’assure que cette fois il sera très attentif. Si, au début tout se passe bien, l’enfant s’égaille à regarder les vitrines et les nuages, et bientôt les ennuis commencent. Il perd une main, un bras, un pied. En chemin, une dame l’appelle et lui crie qu’elle rapportera son bras à sa maman. Mais le jeune garçon ne l’écoute pas, trop occupé par un chien boiteux. Bientôt, à la maison, c’est un véritable défilé et chacun y va de sa petite phrase, car « les enfants son tous comme ça ». Lorsque le jeune garçon revient, il n’y aura ni cri ni punition, juste une mère enlaçant son enfant et heureuse de le retrouver.

Comme souvent, Beatrice Alemagna nous conte l’histoire d’une course, d’une promenade initiatique, d’un passage. Dans le film d’animation, les éléments s’entrecroisent, se choquent et se reconstituent. Tout semble flotter dans l’air. L’illustratrice n’a pas souhaité tout recréer ; elle fait appel à la poupée, elle intègre des éléments de la vie quotidienne, là de la laine, là un panier, là une boîte ancienne. C’est bien plutôt dans l’agencement du décor et dans le déplacement des personnages, que Beatrice Alemagna (avec l’aide de Emmanuel Feliu et Giuseppe Bianchi) recrée un monde qui lui est propre. On pourra y voir l’influence des films expérimentaux des années 30 ou celle (beaucoup marquée) des futuristes italiens. Il n’empêche que Beatrice Alemagna réussit parfaitement à maîtriser son propos et à rendre sa propre poésie.

Dans l’album, si l’histoire est la même, les plans sont bien entendu différents. Ici, l’illustratrice revient au trait, au crayon et au collage, insérant de-ci de-là des éléments de découpages. Dans l’ouvrage, nous sommes peut-être plus sensibles aux pérégrinations de ce petit lutin au chapeau trompette. Une première partie, capte l’attention du jeune lecteur sur la course du garçon. L’oiseau, le sac ou le chien deviennent des éléments essentiels du jeu. Dans une seconde partie, nous entrons dans la maison de la mère. Les couleurs changent : du blanc crème et du vert, nous voici dans une atmosphère ocre et rouge, teintée de bleu. Les portraits des personnages deviennent plus expressifs, les différences de points de vue son multipliés. Mais l’ensemble provoque de belles impressions et l’illustratrice n’en oublie pas de faire défiler ses personnages, dans une farandole bariolée qu’elle affectionne. Nous voici dans une mise en scène minimaliste, mais assurément proche du pantin et de la marionnette.

Voici donc une très belle réalisation, où film d’animation et album se complètent, entre enfance, art et poésie. A vite découvrir.