M. Wilson

C’est jour de grande braderie à la rue Little. Les habitants ont dressé devant chez eux des planches sur tréteaux et y ont déposé les objets désuets dont ils se sont résolus à se séparer. Au numéro 6, monsieur Wilson, lui aussi, a installé sa table et attend ses clients assis sur son pliant de toile. Personne ne semble s’inquiéter de cet étal encore désert et de ce que le vieil homme va donc bien pouvoir vendre… Celui-ci penche alors la tête et sort de ses oreilles une panoplie de souvenirs ensommeillés – matérialisés par des « amalgames de particules vaporeuses et imagées » – qu’il présente en vrac au regard des passants. Plusieurs de ces morceaux de mémoire mettent en scène Nathan Wilson et son épouse décédée six ans plus tôt. Lorsqu’il contemple ce qu’il vient de libérer de sa tête, M. Wilson se sent quelque peu étourdi : « cela pren[d] finalement la table entière, c’[est] mouvant, presque vivant, coloré comme une vitrine de pâtisseries, comme une brassée de saisons interminables ». Bien vite, les chineurs s’affairent auprès de ce marchand particulier – croqué avec une infinie tendresse par Peggy Nille : « comme c’est pratique les souvenirs d’un autre, prêt à consommer », « tellement moins fatiguant que de les fabriquer soi-même » !

On se rue sur ce très bel album comme un flâneur s’approcherait du brocanteur de cette rue anglaise : attiré dans un premier temps par le bel écrin de sa collection, puis subjugués par la poésie qui s’en dégage. Le texte, joliment mis en page, fait l’éloge des souvenirs qui se transmettent au creux de l’oreille et lient les générations… Les mots de Thomas Scotto véhiculent tant de merveilleuses images que, pour une fois, l’interprétation de l’illustratrice viendrait presque jouer les trouble-fête de notre imaginaire.