Force noire

En 1984, Alma est une adolescente révoltée contre ses parents. Elle fugue, mais s'arrête toutefois aux chambres de bonne de son immeuble. Elle y rencontre un vieil homme noir, Bakary Sakoro. Au milieu de souvenirs d'un autre âge, l'homme va lui raconter sa jeunesse de tirailleur africain de l'armée française pendant la 1ère Guerre Mondiale, et son amour impossible avec Jeanne, la fille (blanche) d'un général... Alma se prête au jeu, jusqu'à finalement faire le lien avec sa propre histoire familiale.

Guillaume Prévost entend nous faire découvrir la grande Histoire, notre histoire collective dans un de ses aspects pas très glorieux, celui de la colonisation et du racisme, y compris pendant les guerres. Il emploie pour cela l'art du conteur (avec un sage âgé et touchant), et l'enchâssement d'une histoire dans l'histoire, les deux niveaux se révélant captivants. Le secret de famille n'était pas indispensable, mais amène aux dernières pages un peu surnaturelles, de toute beauté : ce sont elles qui distinguent véritablement le roman d'un simple récit historique.
Ainsi, la trame narrative est parfaitement maîtrisée, permettant aux vies des héros de se développer avec une grâce à rebours total des horreurs de la guerre : ce sont de belles personnes, si l'on peut dire. L'écriture utilise la sobriété et un classicisme impeccable afin de mieux distiller l'émotion, celle d'un amour impossible, d'un peuple instrumentalisé, et d'une existence exceptionnelle où le bien a réussi à éviter le mal malgré les épreuves.
Mêlant des éléments de la culture africaine à d'autres de l'Histoire française, osant les sentiments avec pudeur, liant passé et présent dans certains de ses aspects (Alma est une jeune féministe !), Force noire est un de ces beaux ouvrages qui transcende les genres et reste dans les esprits et les cœurs.