La Belle vie

Sur une grande page blanche, un homme passe la tête par la porte entrouverte. Il regarde le lecteur et demande « il y a quelqu’un ? » Elégamment vêtu d’un costume gris impeccable, l’air d’un gentleman il interpelle une petite fille qu’on ne voit pas et qui pourrait bien être nous-même. Non, elle arrive. Socquettes, jupe plissée noire et chemisier blanc, cheveux courts, le narrateur lui propose de faire le livre de « la belle vie ». Ils vont les construire ensemble, conjointement, le livre et la vie. Pour une belle vie, la petite veut un lapin. Il traverse la page, poursuivi par deux chasseurs qu’éloigne le narrateur magicien. L’imaginaire de la petite est celui d’une petite fille modèle. Elle veut un lapin, une maison dans les arbres, se balader. Une voiture avec une chèvre convient à la petite fille sage qu’elle est. L’homme lui propose une voiture de sport ou mieux encore… de voler, comme Superman au-dessus des espaces infinis avant de contempler les pyramides et les siècles qui nous séparent de leur construction. Avec la fillette et son lapin, se décline alors tout ce qui peut faire « la belle vie », manger une glace ou jouer du piano. A chacun de compléter la liste.

Ligne claire, élégance des personnages, fantaisie narquoise de la narration, cet album réjouira les amateurs de BD dans la grande tradition du XXe siècle avec laquelle le récit joue à cache-cache. La finesse du dessin, son exactitude contrastent avec les pages vides : les dessins « flottent » dans l’espace de la page, univers créé à partir de rien et qui pourtant a l’air tellement « vrai ». Variation sur l’écriture et les rapports avec le réel, La belle vie propose une bien agréable façon de percevoir les merveilles ouvertes par la création plastique ou littéraire. La porte se ferme sur l’histoire racontée. Les héros sages s’endorment entre les deux portes jusqu’aux prochaines aventures, celles inventées par les lecteurs pour prendre le relais ?