Marie des grenouilles

Dans un pays lointain, le roi meurt, et il n’a que des filles. Il faut trouver un prince, et pour cela la bâtarde Marie des Grenouilles, qui débarrasse habituellement le château de ces batraciens, va embrasser les petites bêtes jusqu’à faire revivre un homme. Le premier prince charmant est trop brutal, le second serait parfait mais on lui reproche de ne pas guerroyer comme un vrai chevalier. Pour vivre tranquilles, Marie et son prince pacifiste décident alors de redevenir animaux.
La parodie du conte féérique et chevaleresque est évidente, avec des détournements fins et de l’humour à revendre. Un conteur commente des faits loufoques sur le ton sérieux de sa fonction, Marie est une sorte de Cendrillon verdâtre et mal dégrossie, le thème de la transformation de la grenouille en prince charmant est réutilisable sans restrictions dans un sens et dans l’autre, etc. Le langage tragico-épique est ponctuellement trahi ou moqué : « Hélas ! Ciel ! Malédiction et tout et tout… » (p. 16). Derrière cette trame plaisante où chacun reconnaîtra ses classiques, Jean-Claude Grumberg traite de sujets plus profonds : la guerre et la paix, la tyrannie, la tolérance… Connaissant l’auteur, la référence au nazisme n’est pas loin, et, en effet, ce sont par exemple des « races » de grenouilles qui se querellent entre elles. Quelle solution est alors envisageable ? La fuite vers les pôles, avec les pingouins… La pirouette finale de l’auteur n’est pas très encourageante, les mots du prince pacifiste non plus : « Il n’y a pas de milieu, princesse, il n’y a pas de milieu : la guerre ou la diplomatie, la force brutale ou la matière grise… » (p. 52). Ecrite entre les deux tours des élections présidentielles françaises de 2002, cette petite pièce n’a pas fini de brûler d’actualité et de faire réfléchir les petits philosophes en herbe.