Ariol aime Pétula, Bisbille aime Ariol et Ricochet aime Marc Boutavant
Après trois jours passés en sa compagnie, Dominique Petre est devenue aussi gaga de Marc Boutavant que Chien pourri ne l’était du gourou Toutou. Voici son hommage à un surdoué de l’image.
Après trois jours passés en sa compagnie, Dominique Petre est devenue aussi gaga de Marc Boutavant que Chien pourri ne l’était du gourou Toutou. Voici son hommage à un surdoué de l’image.
Comme une «Grande Ourse», nom du prix qu’il s’est vu remettre l’an dernier par le Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil, Marc Boutavant rayonne. En Italie à la «Fiera» du livre pour enfants de Bologne mais aussi en Allemagne, où l’auteur-illustrateur est récemment venu inaugurer le festival de BD jeune public Yippie! et visiter l’exposition «Le monde d’Ariol» à Francfort.
Presque aussi plat que Chaplapla
Lucie Félix, «Grande Ourse 2021», a offert à son successeur une superbe paire de pantoufles qui lui siéent sûrement, même si Marc Boutavant n’a rien d’un ours. Il prétend avoir pris du poids alors qu’il semble aussi mince que Chaplapla, le matou passé sous les roues d’un camion-poubelle et copain de Chien pourri. Sans doute Marc Boutavant dépense-t-il des calories en dédicaçant indéfiniment des albums d’Ariol, de Chien pourri, de Mouk et autres Edmond. Deux millions de recueils d’Ariol se sont vendus depuis les débuts des histoires du petit âne bleu «comme toi et moi» dans le magazine J’aime lire il y a 23 ans. Et encore: ce chiffre ne tient pas compte de la quinzaine de traductions d’Ariol dans le monde.
Mais combien de livres Marc Boutavant a-t-il dédicacés depuis un quart de siècle? Il suffit de l’accompagner pendant trois jours, dans des écoles (le Lycée Français Victor Hugo et l’École Européenne de Francfort), un festival (Yippie!) et une exposition («Le monde d’Ariol» au Musée Struwwelpeter) pour prendre conscience de l’ampleur du phénomène. Au moment où l’on pense la rencontre terminée, le travail commence pour l’auteur-illustrateur avec d’interminables files de fans qui attendent fébrilement leur dédicace. Mais qu’est-ce qui est plus incroyable encore que la taille du cortège présent à tous les déplacements de Marc Boutavant? La simplicité et la générosité de ce dernier, qui a gardé un grand respect pour ses fans indépendamment de leur nombre.
Il était une fois… un papier peint
Marc Boutavant prétend que tout a commencé… à cause du papier peint qui ornait les murs de sa chambre d’enfant. «Des motifs pas trop bien dessinés qui se répètent à l’infini, quatre couleurs… Tout est là», explique-t-il au Musée Struwwelpeter, encourageant les parents présents à tapisser les chambres de leur progéniture. Cadet d’une famille de quatre enfants, Marc Boutavant a grandi en Bourgogne. Aujourd’hui, il habite Paris avec sa femme et ses trois enfants, mais il possède une maison de vacances bourguignonne que l’on retrouve dans certaines de ses illustrations, comme celle de la grange de L’école des souris.
Enfant, il n’aime pas l’école mais il adore dessiner ou plutôt décalquer des dessins du magazine de Mickey. «Je fais partie des personnes qui doivent occuper leurs mains pour pouvoir écouter», raconte Marc Boutavant, «donc je dessinais tout le temps». Un changement d’établissement permet d’améliorer ses relations avec le système scolaire et, après le bac, il monte à Paris et étudie la communication visuelle.
Les brochures et affiches qu’il conçoit, notamment pour «La Guinguette pirate», un café-concert sur une jonque à proximité de la Bibliothèque Nationale, attirent l’attention d’un éditeur jeunesse, Gérard Lo Monaco. «Mes affiches n’étaient pas pour enfants mais ressemblaient à s’y méprendre à des illustrations de livres jeunesse», explique Marc Boutavant. C’est parti: on lui commande des illustrations d’albums, mais également des jouets et des pubs. Dans un légendaire atelier parisien place des Vosges, il côtoie un moment des stars de la BD comme Émile Bravo, Christophe Blain, Joann Sfar et Emmanuel Guibert.
Il hésite à accepter de dessiner Ariol
Lorsqu’Emmanuel Guibert l’approche pour illustrer Ariol, Marc Boutavant dit d’abord… non merci! Avant de se laisser convaincre par le scénariste hors-pair. «Encore aujourd’hui, après 23 ans», explique l’illustrateur, «je me marre quand je reçois le script de l’histoire d’Ariol à illustrer d’Emmanuel». Marc Boutavant suit le rythme du magazine J’aime lire et illustre une histoire par mois, ce qui lui demande sept à dix jours de travail.
On préfère ne pas imaginer ce qui se serait passé s’il n’avait pas changé d’avis: un trou noir à la place d’une Grande Ourse. Ou si les histoires de l’âne aux larges lunettes n’avaient pas rencontré leur public: «Au début, Ariol était sorti dans un format de BD classique, sans trop de succès», raconte Marc Boutavant. «C’était le début des mangas, et Emmanuel Guibert et moi avons proposé à l’éditeur Bayard un format plus petit et plus souple». C’est ainsi que la collection «BD Kids» voit le jour… et qu’Ariol devient un incontournable.
Les histoires d’Emmanuel Guibert illustrées par Marc Boutavant réussissent le défi de succéder à celles de Tom-Tom et Nana dans le magazine J’aime lire. Ariol est une sorte de nouveau Petit Nicolas. Des histoires apparemment banales – le quotidien d’un garçon, pardon un âne, de neuf ans qui va à l’école, joue avec ses camarades, rend visite à ses grands-parents… – mais racontées avec tant d’intelligence, de finesse et d’humour qu’enfants et adultes craquent de manière égale pour l’équidé couleur avatar. D’ailleurs, «Pourquoi Ariol est-il bleu?», demande un élève du Lycée Français de Francfort. «Parce qu’il est jeune», répond Marc Boutavant, avant d’ajouter, le plus sérieusement du monde: «Moi aussi, quand j’étais plus jeune, j’étais bleu».
Lire Ariol rend intelligent
Il n’est peut-être plus bleu, mais Marc Boutavant semble, comme son héros, ne pas vouloir vieillir et avoir réussi à préserver fantaisie, tendresse et humour au cours des années. Un héros qui est devenu un univers, avec une série animée, des chansons et même un «Ariol Show» signé Marc Boutavant et Emmanuel Guibert.
«La lecture rend-elle intelligent?», lance Marc Boutavant dans une classe. «Ooouuuiii!», répondent les élèves en cœur. «Même s’il s’agit des histoires d’un âne?», insiste l’auteur-illustrateur. Petite pause avant que les enfants finalement ne décident que oui, lire Ariol rend intelligent. Marc Boutavant en profite pour leur expliquer qu’en berbère, «Arioul» signifie âne. Avant de leur poser une colle mathématique: «Il existe 18 recueils de 12 histoires d’Ariol de 10 pages. Combien de pages d’Ariol ai-je dessinées?». 2 160! Et encore, c’est sans compter deux «grande histoires» tirées de l’univers d’Ariol, une sur Pétula la jolie vache et l’autre sur le tonton de Ramono son copain cochon.
«Pourquoi les personnages sont-ils des animaux?», demande un élève. «Parce que les animaux sont plus beaux», répond le papa d’Ariol en souriant, «mais aussi parce que les humains ont davantage d’empathie pour les animaux». Surtout quand ils sont dessinés par Marc Boutavant. Grâce à son talent d’illustrateur, on s’identifie immédiatement avec ses personnages. De par leur regard ou d’autres détails de son dessin, ses animaux sont tellement humains! Rarement d’ailleurs l’anthropomorphisme n’aura été décliné de manière aussi intelligente – presque philosophique – que dans les histoires d’Ariol imaginées par Emmanuel Guibert.
Le bestaire illustré de Marc Boutavant
Mais il n’y a pas qu’Ariol et ses copains dans le bestiaire de Marc Boutavant. Il est l’illustrateur par excellence des écureuils, un mammifère déjà présent sur le papier peint de sa chambre d’enfant. Il a imaginé le héros de N’y a-t-il personne pour se mettre en colère? de Toon Tellegen, son auteur jeunesse préféré, puis l’écureuil Edmond qui adore confectionner des pompons dans les histoires d’Astrid Debordes.
La Grande Ourse a créé un petit ours, Mouk, qui fait le tour du monde et a été – comme Ariol d’ailleurs – adapté en dessin animé. On trouve aussi belette, souris et hibou (La série L’école des souris d’Agnès Mathieu-Daudé), un lion qui ne sait ni écrire ni nager (des albums de Martin Baltscheit), un tigre qu’il vaut mieux ne pas chatouiller (une histoire de Pamela Butchart) et un Chien pourri.
Le chien pouilleux qui a élu domicile dans une poubelle ressemble à celui abandonné sur une route nationale 18 et baptisé «18» par le grand-père d’Ariol qui l’a recueilli. Marc Boutavant avoue «savourer» les histoires de Chien pourri écrites par Colas Gutman depuis dix ans. «Elles ont quelque chose de l’esprit d’Affreux, sales et méchants», commente-t-il. «Guère étonnant que “Cane puzzone” cartonne en Italie».
Le bonheur des autrices et des auteurs
En décembre dernier à Montreuil, plusieurs autrices et auteurs ont exprimé le bonheur de pouvoir confier leurs textes au talent de Marc Boutavant. Béatrice Fontanel, dont Marc Boutavant avait illustré Gustave Taloche, roi de la bagarre s’est dite très heureuse de leur collaboration sur la série du bégayeur Bogueugueu. Astrid Debordes, la maman d’Edmond, a expliqué admirer «le sens incroyable de la nature et de la fête» dont fait preuve l’illustrateur.
Marc Boutavant affirme préférer les images aux mots pour s’exprimer; donnez-lui un texte digne de ce nom et grandes seront les chances d’arriver à une «win-win situation». Il n’est d’ailleurs pas aisé de sélectionner des images pour illustrer cet article: il y en a tellement que l’on voudrait montrer!
«Les illustrations de Marc sonnent toujours juste», a affirmé l’auteur de Chien pourri Colas Gutman à Montreuil, «c’est un grand bonhomme que l’on nous envie dans le monde entier». Francfort et Bologne lui ont donné parfaitement raison. Ariol rend sans doute intelligent, mais les illustrations de Marc Boutavant rendent carrément heureux. N’est-ce pas encore mieux?