Avec Martin Panchaud rien n’est simple, mais tout devient passionnant
Sa BD, Prix suisse du livre jeunesse 2021, constitue une excellente raison de se mettre à l’allemand. À moins qu’une maison d’édition ne se décide à la publier dans sa langue originale?
Sa BD, Prix suisse du livre jeunesse 2021, constitue une excellente raison de se mettre à l’allemand. À moins qu’une maison d’édition ne se décide à la publier dans sa langue originale?
Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué? Pour que Ricochet, dont le siège est situé à Lausanne, fasse le portrait de Martin Panchaud, un auteur genevois qui vit et travaille à Zurich, il a fallu faire un petit crochet par l’Allemagne. Invité par le «Monsieur BD» de Francfort Jakob Hoffmann, l’Institut français et le Consulat suisse, le lauréat du Prix suisse du livre jeunesse 2021 s’est récemment rendu au Musée de la Communication pour une présentation de son roman (info)graphique Die Farbe der Dinge[1].
Déjà couronné par le Prix suisse, le livre de Martin Panchaud a été sacré «BD de l’année» par le quotidien berlinois Tagesspiegel. Mais s’agit-il véritablement d’une BD? L’objet insolite conte avec le langage de l’infographie, une histoire qui ne manque ni de drame ni de rythme et dans laquelle on va d’une famille violente à une baleine échouée, en passant par une course hippique.
Un OVNI narratif
Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué? La BD commencée à Londres en 2011 et conçue en français par Martin Panchaud n’est pas seulement une sorte d’OVNI narratif mais elle n’est actuellement disponible qu’en allemand. Publié par Edition Moderne à Zurich, le livre n’existe pas (encore?) dans la langue dans laquelle son auteur l’a imaginé.
«C’est vrai que le parcours de ce livre est une suite d’accidents», reconnait Martin Panchaud sur la terrasse du toit de son hôtel francfortois en souriant. «J’étais à Londres pour apprendre l’anglais, et c’est ce qui explique que l’histoire se déroule là-bas». Car Martin Panchaud préfère parler de ce qu’il connaît: «la maison et le parc du livre existent vraiment, à Londres». Les 60 premières pages du livre remportent en 2012 le Prix pour la jeune bande dessinée du canton de Genève et c’est ce qui permet à Martin Panchaud de poursuivre son projet fou et d’écrire les 170 pages restantes.
Deux passages du livre, une course hippique et un épisode de Star Wars, vont ensuite devenir de propres projets indépendants de la BD.
Cheval de course et guerre des étoiles
À l’origine, Martin Panchaud voyait le cheval «Black caviar» plutôt comme un tocard. Seulement voilà, cette jument australienne, qui existe vraiment, a couru de victoire en victoire et est devenue mythique. «J’ai dû visionner au moins 150 fois le film de la course d’Ascott devant la reine d’Angleterre sur youtube», explique l’auteur, «et j’ai voulu raconter ce fait presque historique à ma manière». C’est-à-dire en une seule image, d’un mètre de haut sur quatre mètres de long. «Je voulais emmener cette image au musée, pour que le visiteur soit comme Champollion devant les hiéroglyphes, qu’il essaie de comprendre». Et effectivement, l’image a été exposée au Centre d’art contemporain de Genève en 2014.
De même, parce que le protagoniste regardait Star Wars dans La couleur des choses, Martin Panchaud s’est lancé dans la narration infographique d’un épisode entier de La Guerre des étoiles. «J’ai trouvé le script, et cela m’intéressait de voir ce que cela donnerait d’illustrer une idée qui ne venait pas de moi. Je pensais en avoir pour deux mois, finalement cela m’a pris un an et demi». Le résultat, une image de 123 mètres de long, est visible sur www.swanh.net et a recueilli un énorme succès international (près de deux millions de vues!), surtout après que l’acteur Mark Hamill (qui joue Luke Skywalker dans la série) ait recommandé le site sur ses réseaux sociaux.
Une œuvre qui bouleverse les habitudes
Le jury du Prix suisse du livre jeunesse a décrit La couleur des choses comme «une œuvre qui bouleverse avec insolence et fraîcheur les habitudes du public». Bouleverser est presqu’un euphémisme. Chez Martin Panchaud, tout est vu de haut. Les personnages sont réduits à des formes géométriques, des ronds de couleur, on ne voit donc jamais leur visage. «On sait que mon personnage principal est un ado en surpoids, il n’est pas nécessaire de décrire davantage son physique», commente l’auteur, qui préfère laisser le lecteur ou la lectrice faire le reste du travail. Son approche de la narration est presque scientifique; avec lui, il faut lire le dessin comme on lirait un texte. «Mon langage oblige le lecteur ou la lectrice à apporter ses propres images. Mais quand on implique son public», conclut-il, «on touche davantage à son intimité».
Le plus étonnant, c’est que le procédé fonctionne, on s’attache aux personnages dont la personnalité apparaît grâce aux actions et aux dialogues, et on ne veut plus refermer le livre avant de connaître la fin de l’histoire. «Comme mon style graphique est nouveau», explique le lauréat suisse, «il me fallait trouver une histoire qui tienne en haleine». C’est fait avec l’épopée de Simon à la recherche de la signature d’un de ses deux parents pour pouvoir toucher le gros lot.
Un auteur qui ne savait pas lire à 16 ans
Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué? «Je suis entré à l’école à quatre ans, et de cinq à 17 ans j’ai été en échec scolaire»: c’est ainsi que Martin Panchaud, dyslexique, résume sa scolarité. «Les scènes dans lesquelles le héros de La couleur des choses se retrouve dans le bureau du directeur sont autobiographiques» sourit l’auteur. Comment un homme qui prétend qu’il ne savait ni lire ni écrire à 16 ans peut-il remporter quelques années plus tard un Prix national du livre jeunesse? «Ma mère n’a jamais laissé tomber, et c’est ainsi que je me suis retrouvé en classe préparatoire artistique dans une école privée. Et là, pour la première fois de ma vie, j’ai eu de bonnes notes», poursuit Martin Panchaud. Inscrit à l’EPAC (École Professionnelle des Arts Contemporains), Martin Panchaud «se convertit» comme il le dit lui-même, à la BD. «Je me réclame plutôt d’une tradition commencée dans des grottes où les hommes peignaient un point par bête pour compter leur troupeau que des pères traditionnels de la BD», explique-t-il, avant d’ajouter: «en art, ne pas respecter la tradition ou l’autorité, c’est plutôt un atout».
Même s’il remet en question les codes habituels de la BD, Martin Panchaud est tombé sur une artiste (suisse elle aussi) qui l’a fasciné. L’autrice-illustratrice Warja Lavater est née à Winterthur en 1913 et elle a fait, dans les années 60, une adaptation du Petit chaperon rouge et un leporello avec Guillaume Tell qui sont comme des ancêtres de La couleur des choses. «J’ai trouvé mon système de narration l’année où elle est décédée», explique Martin Panchaud, «c’est un peu comme si j’avais repris le flambeau».
À Francfort, un robot l’aide à dédicacer
«Depuis que je signe des livres, et cela ne fait pas très longtemps, je le fais autrement», annonce l’auteur suisse au Musée de Francfort, avant d’ouvrir la seule valise avec laquelle il est venu… pour en sortir un robot. Et sous le regard médusé du public, Martin Panchaud installe sa machine qui l’aide à dédicacer. Pourquoi faire comme les autres quand on a tant d’idées?
[1] Le 16 septembre 2021 à Francfort sur le Main