Bonjour auteur: rencontre avec Michaël Escoffier et son humour décalé
L’auteur de Bonjour docteur et de Le ça a écrit plus d’une centaine d’albums remplis d’esprit. Dominique Petre est allée le voir présenter Grododo et ne s’est pas du tout assoupie.
L’auteur de Bonjour docteur et de Le ça a écrit plus d’une centaine d’albums remplis d’esprit. Dominique Petre est allée le voir présenter Grododo et ne s’est pas du tout assoupie.
Le nombre de livres qu’il a écrit donne le tournis. Publié pour la première fois à 37 ans en 2007, Michaël Escoffier ne compte pas encore 50 printemps mais déjà une bonne centaine d’albums à son actif. Traduit dans une vingtaine de langues dont l’allemand, c’est grâce au jumelage entre les villes de Francfort et de Lyon que Michaël Escoffier est venu pour la première fois expliquer son métier et ses livres en Allemagne. Et présenter, lors d’une rencontre bilingue franco-allemande dans une bibliothèque publique, son album Grododo qui avait fait partie de la sélection 2018 du prestigieux Prix de littérature jeunesse allemand.
De très bons yeux
Pour être si prolifique, il doit avoir une grande capacité de travail et une imagination débordante? «Je ne travaille pas vite, mais je travaille beaucoup. Et surtout: j’ai de très bons yeux», répond Michaël Escoffier. Des yeux qui repèrent, alors qu’il est coincé dans un embouteillage, une Citroën qui a perdu son ë et se transforme, dans la tête de l’auteur, en citron, comme un carrosse redeviendrait citrouille au dernier coup de minuit. Cette observation inopinée faite au milieu d’un bouchon inspire à Michaël Escoffier un «anti-abécédaire» publié en 2012 par Kaléidoscope puis repris en 2016 par L’Ecole des loisirs. Dans cet album superbement mis en images par Kris di Giacomo, l’illustratrice à qui il doit son entrée en littérature jeunesse, une carotte qui a perdu son «a» se transforme en crotte et un dentier sans son «d» n’est plus tout à fait entier. Un vrai régal pour les lecteurs comme pour les enfants qui, lors d’une rencontre scolaire au Lycée français Victor Hugo de Francfort, se mettent à chercher (et à trouver!) des tas de nouveaux exemples.
L’été dernier, dans un aéroport, les «très bons yeux» de Michaël Escoffier voient passer «un truc incroyable, deux jambes et deux bras surplombés d’un chapeau surdimensionné». Dans le petit carnet que l’auteur a toujours avec lui, il réalise quelques esquisses de cette fillette qui trotte derrière sa maman et lui a emprunté son chapeau de soleil. À son retour, Michaël Escoffier montre ses dessins à un illustrateur avec lequel il collabore régulièrement, Matthieu Maudet, et après quelques «parties de ping-pong» («des échanges où chacun essaie d’avoir une idée meilleure que l’autre»), le couple accouche de l’hilarant Maman, c’est toi? qui sortira en septembre à L’Ecole des loisirs.
Un premier album au cou tordu
Sa première histoire publiée, Le nœud de la girafe, est née le jour où ses «très bons yeux» se sont posés sur une affiche du film d’animation Madagascar. «La girafe avait un long cou tordu», se souvient l’auteur, ou plutôt le professeur. Car à l’époque, en 2006, Michaël Escoffier est encore enseignant dans un lycée technique. Cela ne l’empêche pas d’avoir accumulé des expériences d’écriture, puisqu’il a été compositeur-interprète de chansons (malheureusement avant le temps où tout était archivé en images sur Internet) et scénariste de BD, sans jamais être publié. Par un ami commun, il rencontre l’illustratrice jeunesse américaine installée en France Kris di Giacomo, qui est à la recherche de textes. L’histoire de la girafe au torticolis lui plaît, elle fait quelques esquisses et le duo convainc Kaléidoscope de réaliser l’album. Michaël Escoffier vend ainsi sa première histoire, tout de suite suivie par Pourquoi les chauves-souris préfèrent sortir la nuit? et puis par une centaine d’autres. «Je ne m’étais jamais particulièrement intéressé au livre jeunesse», admet l’auteur, «mais mon fils avait alors 3 ans et donc forcément j’en lisais. Les albums que je trouvais géniaux me donnaient envie de faire pareil et les albums que je trouvais mauvais me donnaient envie de faire mieux».
«Vous voyez qu’il faut être patient et ne jamais désespérer», explique-t-il aux élèves de CE2 qu’il rencontre à Francfort. «J’ai commencé à écrire à votre âge et j’ai toujours persévéré même si je n’ai été publié que près de 30 ans plus tard». L’auteur qui fait preuve d’autant de philosophie et d’humour dans la vie que dans ses histoires résume en souriant: «Ecrire était un plaisir mais on peut dire que j’ai écrit très longtemps pour mon seul plaisir».
Regarder les choses sous un autre angle
Pourquoi l’humour est-il omniprésent dans ses albums? «J’écris des choses qui m’amusent, je me fais d’abord plaisir», avoue-t-il. «En fait, pas mal de mes titres sont destinés à des enfants qui ne savent pas encore lire, donc je pense aux parents qui vont lire 20 fois l’histoire et j’essaie de faire en sorte qu’ils s’amusent un peu aussi…». Un exemple: Le ça, publié à L’Ecole des loisirs, basé sur un malentendu désopilant et génialement illustré par Matthieu Maudet.
«Parfois il suffit de regarder les choses depuis un autre angle pour devenir drôle», explique Michaël Escoffier. Un exemple? Palomino, un album qu’il est en train de terminer avec Matthieu Maudet, l’histoire d’un poney dont la chambre est tapissée de posters… de petites filles! L’auteur explique avoir été directement inspiré par sa fille à lui, qui aimerait tellement avoir son propre cheval. Dans une classe de CE2, il montre des illustrations du poney qui rêve d’avoir une petite fille et tente de convaincre ses parents. «On aura fini l’histoire quand vous serez en CE3», lance-t-il avec humour à la classe déjà avide de lire cette nouvelle histoire.
L’auteur souligne qu’un de ses seuls albums pas drôles, La leçon, est aussi le seul à avoir été sélectionné (en 2018) pour les Pépites du Salon du livre de Montreuil. Ce livre fort au thème très actuel plaît également à la classe du collège allemand Gymnasium Nord que Michaël Escoffier rencontre à Francfort, preuve que ses albums parlent aussi aux plus grands.
«Écrire un livre, c’est faire des choix»
«Écrire un livre, c’est faire des choix», explique l’auteur aux élèves: «Sans arrêt, avec l’illustratrice ou l’illustrateur, on discute et on essaie de trouver des solutions.»
Lors des rencontres scolaires – où il est tellement à l’aise (son expérience de professeur?) que même un exercice d’alarme «attentat-intrusion» n’arrive pas à le désarçonner – Michaël Escoffier dessine au tableau un «arbre de l’imagination» qui lui permet d’explorer les diverses possibilités de l’histoire. Le personnage par exemple: s’agit-il d’un homme, d’un animal, d’une courgette, d’un monstre? «Mon travail», résume-t-il, «c’est de choisir mon chemin dans cet arbre. Souvent mon point de départ, c’est le titre du livre», explique-t-il. «Pour un titre comme Cherche figurants, j’ai placé la petite annonce de l’auteur à la recherche de personnages sur un tronc d’arbre et puis observé ce qui arrivait».
Ce qu’il affectionne, c’est de laisser le lecteur terminer l’histoire, comme dans La légende d’Elzébor, ou dans La leçon. Sans doute une preuve que, malgré son humour, Michaël Escoffier prend son public au sérieux.
L’auteur aime créer une histoire avec un illustrateur avant d’aller voir ensemble un éditeur: «Travailler en amont me permet de garder davantage le contrôle sur le projet», explique-t-il. Les illustrateurs avec lesquels il collabore régulièrement sont tous très différents: «Avec Kris di Giacomo l’échange est venu petit à petit tandis qu’avec Matthieu Maudet on a tout de suite été dans une logique de surenchère». Le point commun: «J’essaie de ne travailler qu’avec des gens avec qui je m’entends bien et dont j’admire le travail.»
La diversité vaut aussi pour la technique: «Certains travaillent directement à l’ordinateur, comme Matthieu Maudet, alors que d’autres peignent sur papier». La classe qui le reçoit est abasourdie d’apprendre que Laure Monloubou fait prendre une douche à ses illustrations (si, si, il montre des photos en guise de preuve) avant d’étendre les feuilles pour qu’elles ne gondolent pas en séchant.
Quand les élèves francfortois lui demandent s’il s’inspirera de leur rencontre pour écrire un livre, Michaël Escoffier rétorque que c’est déjà fait et montre, illustrations à l’appui, que chacun peut se reconnaître dans les personnages du délicieux Les gens normaux. «Cela marche parce que Laure Monloubou est très douée pour dépeindre des caractères», explique Michaël Escoffier.
Son travail, c’est aussi de se mettre d’accord avec l’illustrateur et l’éditeur sur la couverture la plus appropriée. Il faut arriver à donner une idée de ce qu’il y a dans le livre sans tout divulgâcher. Comme avec les idées pour l’histoire, ce qui lui paraît le plus dur, c’est de «faire la part des choses et parfois admettre qu’une excellente idée ne sert pas la couverture ou l’histoire et de la laisser tomber».
Enfant il n’avait pas beaucoup de livres, «mais quand je les lisais c’était comme si je voyageais». Des livres qui l’ont marqué? Michaël Escoffier cite Le caillou de Thierry Dedieu, «un livre sur l’importance des livres et de la culture», mais également Hervé Tullet, Mario Ramos, Oliver Jeffers ou Albertine et Germano Zullo. «Je m’inspire tout le temps des livres des autres, ce qui ne veut pas dire que je recopie ce qu’ils ont fait», explique-t-il, «mais ils m’ouvrent des portes et m’inspirent. De toute façon, tout a déjà été écrit».
Il se dit heureux que l’offre francophone de littérature jeunesse soit unique au monde, en qualité et en quantité: «C’est cela qui permet de construire une véritable culture littéraire».
Le plus compliqué c’est de faire simple
«Le plus compliqué dans mon métier», conclut Michaël Escoffier, «c’est de faire simple. Les gens pensent que les cartonnés destinés aux plus jeunes s’écrivent en deux temps trois mouvements alors que le processus est en réalité très long». La preuve: «Il existe au moins une vingtaine de versions d’un livre comme Bonjour facteur. Matthieu Maudet et moi passons énormément de temps à débarrasser l’album de tout ce qui n’est pas absolument nécessaire».
Vu le résultat, on souhaite que Michaël Escoffier continue à garder ses bons yeux écarquillés sur le monde avant de passer son temps à élaguer ses histoires jusqu’à l’essentiel. Au moins encore une centaine de fois.
Trois incontournables de Michaël Escoffier
L’embarras du choix… Comment sélectionner quelques albums d’un écrivain qui en a autant à son actif? Nous avons demandé à l’auteur d’en choisir trois, en voici donc quatre.
Ni vu ni connu
Son «bestseller», ou comment un lézard en manque de papier de toilette peut perturber la vie d’un super héros. «C’est la première fois que je suis arrivé à faire ce que je voulais. J’ai dit à Kris Di Giacomo: “Tout ce qu’on a fait jusqu’à présent c’était pour en arriver là, cet album marque la fin d’un cycle”».
Sans le A
L’album qu’il a mis le plus longtemps à écrire: «Pour certaines lettres c’était difficile de trouver, d’ailleurs pour le “z” on s’en est sortis avec une pirouette “sans le z… l’alphabet n’est pas complet”». L’idée a donné naissance à une version anglaise Take away the A suivie de deux autres albums écrits directement dans la langue de Shakespeare… Une belle performance pour un auteur lyonnais!
Le ça
Un cartonné qui marche du tonnerre. «C’est un livre qui fait l’unanimité», explique Michaël Escoffier, «L’éditeur de L’Ecole des loisirs, Grégoire Solotareff, l’a tout de suite aimé, et dans les écoles on me le réclame très souvent».
Et un quatrième publié très loin, Tempête sur la savane
Un album dont il est particulièrement fier. C’est une histoire que toutes les éditrices et tous les éditeurs français contactés avaient refusée, jugeant le jeu de mots trop compliqué. Moins frileux, l’éditeur québécois D’eux s’est lancé et l’album illustré par Manon Gautier est un succès au Canada.