Brigitte Morel: «Un livre, c’est souvent un travail d’équipe!»
La maison d’édition Les Grandes Personnes fête ses 10 ans en 2020! A cette occasion Ricochet a posé quelques questions à sa directrice, Brigitte Morel. Rencontre avec une toute grande personne du monde du livre jeunesse.
La maison d’édition Les Grandes Personnes fête ses 10 ans en 2020! A cette occasion Ricochet a posé quelques questions à sa directrice, Brigitte Morel. Rencontre avec une toute grande personne du monde du livre jeunesse.
Damien Tornincasa: En quelques mots, quelle est votre ligne éditoriale et comment envisagez-vous son évolution au cours des prochaines années?
Brigitte Morel: Ma ligne éditoriale a déjà un peu évolué depuis la naissance des Grandes Personnes il y a 10 ans, mais on peut tout de même dégager certaines tendances qui persistent. J’affectionne tout particulièrement les livres pour les tout-petits, voire pour les bébés: c’est un domaine que je souhaite continuer à développer. Le livre-objet, en général, m’intéresse beaucoup. Et là, je ne parle pas uniquement des livres pour les plus jeunes: il peut aussi s’agir d’ouvrages pour les enfants qui apprennent à lire ou même de titres plutôt destinés aux adultes, comme ceux de Dominique Ehrhard sur l’architecture ou sur l’art. Une autre partie du catalogue des Grandes Personnes qui me tient à cœur et que je souhaite encore faire évoluer est le livre photo. J’aime énormément la photographie, c’est une discipline qui me parle. Et aux enfants aussi: les personnes qui travaillent dans les crèches et qui se servent de livres photo disent que ce sont des supports très évidents pour les tout-petits. Pourtant, ces livres restent difficiles à vendre: les adultes ne savent pas toujours ce qu’il faut en faire, comment les utiliser. Mais je ne désespère pas et continue à travailler avec plusieurs photographes. Depuis plusieurs années maintenant, nous publions les imagiers de François Delebecque: le passage de la silhouette noire à la photographie est un système tout simple mais qui fonctionne très bien! Nous publions également Claire Dé. C’est quelqu’un d’assez exceptionnel et qui possède une approche artistique singulière, différente: son travail plastique et photographique est principalement tourné vers les enfants. Il y a aussi Ianna Andréadis, dont deux nouveautés sont parues début mars: Du glacier au torrent: histoires de l’eau et La fourmi et le paresseux: histoires de la forêt lointaine. Et j’aimerais aussi évoquer la belle expérience que j’ai eue avec Charles Fréger, dont j’admire beaucoup le travail.
Quant à l’évolution de la ligne éditoriale pour les prochaines années, j’ai envie de vous répondre que tout dépendra des rencontres et des hasards de la vie. Ce qui est sûr, c’est que je souhaite continuer à travailler avec des artistes que je connais depuis longtemps, tout en découvrant de nouveaux artistes.
Vous publiez de nombreux livres-objets et livres d’artiste destinés au jeune public. J’imagine que ces ouvrages requièrent une attention toute particulière au niveau de leur fabrication…
Tout à fait, et je m’en mords les doigts parfois [rires]! Le soin porté à la fabrication est sans aucun doute une des spécificités du catalogue des Grandes Personnes. Lorsqu’on me soumet un projet, je pense à cet aspect-là. Je ne publie pas beaucoup d’albums «standards» et quand j’en fais, je trouve que c’est d’une telle facilité au niveau de la fabrication qu’il m’arrive de me demander: «Mais pourquoi tu t’embêtes à faire des choses si compliquées à côté?». La réponse est que c’est mon truc, c’est ce que j’aime vraiment faire.
Les éditions Les Grandes Personnes soufflent leurs 10 bougies en 2020! Quels sont les moments forts de cette année anniversaire?
Nous avons réalisé une exposition en quarante exemplaires qui va tourner dans les librairies et les bibliothèques. L’idée de cette exposition est de présenter les titres emblématiques pour chaque année et aussi de mettre en avant les auteurs importants qui font la force de notre catalogue. Par «importants», j’entends les auteurs les plus fidèles, dont certains ne travaillent que pour les Grandes Personnes, comme Philippe UG, Pascale Estellon, Lucie Félix, Emma Giuliani, François Delebecque ou Claire Dé.
Une autre exposition, totalement différente, aura lieu en octobre à la Galerie Gallimard à Paris. Il ne sera plus question de montrer des dessins ou des photographies tirées d’ouvrages jeunesse mais plutôt de présenter tout le travail que les auteurs des Grandes Personnes réalisent autour des livres. Les visiteurs pourront découvrir et acquérir, entre autres, des sérigraphies d’Aurélien Débat ou des livres d’artiste de Philippe UG.
Enfin nous avons profité des 10 ans des Grandes Personnes pour rééditer des livres emblématiques:
- Couleurs du jour de Květa Pacovská, que nous avions sorti en 2010 et qui a connu un grand succès (février 2020)
- Axinamu, Oxiseau, Dinorauses et Nacéo de Francesco Pittau et Bernadette Gervais (février 2020)
- Costumes, Costumes à colorier et A Paris (texte de Ramona Badescu) de Joëlle Jolivet (février 2020)
- Abécédaire, Imagier pour jouer, Imagier à toucher, Cahier de peinture pour apprendre les couleurs et Cahier pour apprendre à colorier autrement de Pascale Estellon (juin 2020)
Du côté des nouvelles publications, pouvez-vous nous dévoiler ce que vous réservez aux lecteurs pour les mois à venir?
Pour ce printemps, beaucoup de titres sont déjà sortis. En revanche, je peux déjà vous parler un peu de la rentrée des Grandes Personnes. Cet automne, nous allons publier deux livres de Katsumi Komagata: une nouveauté et une réédition. C’est avec grand plaisir que nous l’accueillons dans notre catalogue!
En 10 ans, Les éditions Les Grandes Personnes sont devenues incontournables dans le paysage de la littérature jeunesse francophone. Comment êtes-vous parvenue à tirer votre épingle du jeu
A la création des Grandes Personnes, nous avons rapidement pu rééditer des ouvrages illustrés de Panama qui sont rapidement devenus des classiques. En librairie, cela a donc été comme une continuité. Nous arrivions avec des auteurs et des livres connus. A l’international aussi, grâce au travail de Sabine Louali, spécialiste de la vente de droits à l’étranger avec qui je collabore depuis près de trente ans, nous avons réussi à nous inscrire dans la continuité: il n’y a pas eu de rupture entre le Seuil jeunesse, Panama et Les Grandes Personnes.
Un autre facteur important est que les éditions des Grandes Personnes ont été fondées avec Antoine Gallimard. Nous sommes donc diffusées par l’équipe de représentants de Gallimard jeunesse, qui s’est montrée très accueillante et bienveillante. Nous travaillons très bien ensemble et c’est une réelle chance, pour nous, d’être ainsi représentées en librairies.
Malgré tout, vous restez une «petite» structure éditoriale avec une équipe relativement restreinte. Qui travaille à vos côtés?
Nous ne sommes que deux, Sabine Louali et moi, mais nous travaillons ensemble depuis trente ans. Nous sommes complémentaires et très pro dans notre façon de fonctionner (nous avons toutes les deux une expérience commune du monde de l’édition), ce qui nous permet d’aller très vite sur plein de choses. Nous sommes aussi entourées de graphistes formidables, de photograveurs et d’imprimeurs avec lesquels nous avons de solides liens. Laurence Carrion nous apporte aussi une aide précieuse pour les salons ou les relations avec les libraires.
Et nous avons la chance d’être accompagnées par Gallimard qui s’occupe de notre comptabilité, des droits d’auteurs et des aspects commerciaux.
Sans oublier nos jeunes stagiaires qui nous apportent aussi beaucoup.
Le travail des Grandes Personnes a été salué à maintes reprises et vos livres reçoivent régulièrement d’importants prix littéraires. A ce propos, l’album Grandir de Laëtitia Bourget et Emmanuelle Houdart figure parmi les cinq finalistes du Prix suisse du livre jeunesse 2020, organisé conjointement par l’Institut suisse Jeunesse et Médias ISJM, l’Association suisse des libraires et éditeurs (SBVV) et les Journées Littéraires de Soleure. Pouvez-vous nous présenter cet ouvrage et nous raconter comment il est né?
Je connais Emmanuelle Houdart depuis longtemps car j’avais déjà beaucoup travaillé avec elle au Seuil Jeunesse. Nous nous sommes un peu «perdues de vue» éditorialement parlant lorsque j’ai quitté le Seuil en 2004. Pour Grandir, c’est Laëtitia Bourget qui m’a proposé son texte en me disant qu’Emmanuelle Houdart serait ravie de l’illustrer. Ce texte, je l’ai vraiment beaucoup aimé. J’ai informé Laëtitia que je serais heureuse de travailler à nouveau avec Emmanuelle et c’est ainsi qu’a débuté l’aventure du livre.
Emmanuelle a mis environ deux ans à réaliser les illustrations. Cela a été un travail assez long mais aussi une très belle collaboration. L’album a été accueilli chaleureusement et marche plutôt bien. Je trouve formidable qu’il soit sélectionné pour le Prix suisse du livre jeunesse et j’espère, bien sûr, qu’il va gagner. En tout cas, je crois qu’il a toutes ses chances! Il nous faut aussi remercier Pascal Houdart qui a fait un très beau travail de photogravure et Sylvain Lamy, de 3œil, qui conçu la couverture, avec un bandeau vertical qui est comme le temps qui passe… Un livre, c'est souvent un travail d’équipe!
Enfin, si vous deviez formuler un vœu pour la décennie à venir, quel serait-il?
En France, nous avons la chance d’avoir, dans le domaine du livre, une grande créativité et une production tout à fait exceptionnelle que beaucoup de pays européens nous envient. J’espère donc que nous allons pouvoir continuer à travailler avec enthousiasme et passion; que nous pourrons toujours publier des livres qui ne sont pas forcément faciles commercialement; que le tissus qui existe autour du livre (librairies, bibliothèques, salons, bourses pour les créateurs, etc.) sera maintenu.
Pourvu que ça dure…