Clémentine Sourdais, créatrice d’objets qui racontent
Au terme d’un échange entre villes jumelées, l’artiste lyonnaise est venue à Francfort présenter son travail et ses livres-théâtre en papier découpé. L’occasion rêvée pour la questionner.
Si Obélix est tombé bébé dans une marmite de potion magique, Clémentine Sourdais, elle, a grandi au milieu d’albums, dans la librairie jeunesse tenue par ses parents à Avignon. «Ils faisaient partie du mouvement qui a abouti au label de qualité des Librairies Sorcières, alors il est vrai que j’ai été bien entourée», sourit l’autrice/illustratrice venue en Allemagne au terme d’un «échange de colis et d’auteurs jeunesse» entre les villes jumelées de Lyon et Francfort[1]. «Enfant j’aimais beaucoup Arnold Lobel, Květa Pacovská, les Prélivres de Bruno Munari et Un conte de Petit Ours d’Antony Browne, l’histoire d’un ourson au crayon magique», raconte Clémentine Sourdais, qui ajoute: «Tomi Ungerer m’a très vite séduite également, avec sa manière d’assumer un côté pas politiquement correct, comme par exemple dans Pas de baiser pour maman, que j’adorais, ou Le géant de Zeralda, l’histoire d’une petite fille qui tombe amoureuse d’un ogre».
Le livre jeunesse fait un retour en force dans sa vie
Si l’on compte tous les livres auxquels elle a participé, on arrive à trente. Comme autrice/illustratrice elle en est à neuf. Son premier date de 2006, Clémentine Sourdais a alors déjà deux ans de beaux-arts à Marseille, quatre ans d’école d’illustration (à l’Ecole Emile Cohl) à Lyon et un an de travail dans la librairie de ses parents derrière elle. Est-ce cela qui explique que le livre jeunesse, comme elle le dit, «fait un retour en force» dans sa vie? «Au cours de ma formation, je n’avais pas pu réaliser les projets qui m’intéressaient vraiment», raconte l’Illustratrice, «c’est après que je m’y suis mise». Avec Martin Viot, rencontré à Lyon, elle illustre en volume un conte traditionnel de Mongolie qu’elle avait adoré enfant: Cheval Violon sorti aux éditions du Sorbier en 2008. Ensuite vient Mariétou Kissaitou, une commande des éditions du Sorbier avec une histoire se déroulant au Cameroun écrite par Marie-Félicité Ebokéa. «À la Foire de Bologne, j’avais rencontré Françoise Mateu et je lui avais montré mes dessins», raconte Clémentine Sourdais. «Séduite par une scène de marché en Afrique, l’éditrice m’avait logiquement proposé une histoire qui correspondait».
De beaux documentaires et du pop-up
Elle adore les plantes: «J’ai une vraie collection, certaines dans mon salon, d’autres sur mon balcon et une véritable forêt dans ma cuisine. Je suis très contemplative, j’ai un lien très fort avec la nature». Ce penchant lui a servi, notamment pour les cinq documentaires sur les saisons réalisés avec Charline Picard pour les éditions du Seuil.
Clémentine signe seule une autre série de beaux livres documentaires au Seuil sur différents thèmes, comme les maisons, les écoles, les animaux, les métiers ou les monuments. À la fin de chacun des albums, une double-page pop-up permet de clôturer le sujet en beauté. À Francfort, la superbe tour Eiffel qui se déplie d’elle-même a beaucoup de succès auprès des jeunes élèves germanophones qui la reproduisent au cours de l’atelier de carte pop-up donné par l’autrice lyonnaise. «En fait, c’est grâce à cette série de dessins en 3D que je me suis réintéressée au livre-objet et au théâtre en papier», explique l’illustratrice.
Elle avoue avoir un faible pour les objets: «Ils nous racontent tant d’histoires à leur façon! Petite j’ai fait longtemps de la poterie et j’adorais créer des pots ou des tasses».
Un tout petit livre peut rapporter gros
C’est avec un superbe «mini-livre» que sa carrière de faiseuse de livres-théâtre débute. En 2009, elle participe à un concours lancé par le musée de l’imprimerie de Lyon. Son délicat livre miniature tout en dentelle et poésie consacré à la lettre V comme «ville», «ventre» et «vie» fait partie des dix finalistes. Sophie Giraud d’Hélium est séduite par l’objet et demande à Clémentine si elle peut s’imaginer concevoir un album. Elle peut, mais de préférence sur le thème des contes, qui la passionne.
Depuis, elle a réalisé trois superbes livres-accordéons pour Hélium, Le Petit Chaperon Rouge, Le Chat botté et La Barbe Bleue, mais aussi un grand format qui allie illustration classique et papier découpé, Le très grand Petit Poucet. Comme si cela ne lui suffisait pas encore, elle revisite Boucle d’Or et les trois ours dans un livre-objet ludique (on peut découper et jouer avec les personnages dans le livre transformé en décors) paru aux éditions du Seuil.
Pas de happy end pour le petit chaperon et sa mère-grand?
À Francfort où les enfants connaissent généralement la version de Grimm avec sa fin heureuse – le chasseur muni de grands ciseaux délivre le petit chaperon rouge et sa mère-grand du ventre du loup – la dernière scène de la version de Charles Perrault interpelle. L’ultime image du leporello publié par Hélium montre la jeune fille et sa grand-mère emprisonnées dans le ventre de l’animal. «Mais ce n’est pas une fin triste», assure Clémentine Sourdais, «d’abord parce que le petit chaperon rouge n’est pas seule. Ensuite, on peut s’imaginer que l’histoire continue, qu’elles trouvent une manière de s’en sortir elles-mêmes sans passer par les services du chasseur». Perrault aurait donc écrit la version «me too» du conte? En tout cas cette dernière illustration du livre-accordéon est la préférée de Clémentine Sourdais «peut-être parce que j’avais moi-même un lien très fort avec ma grand-mère».
Les élèves de Francfort l’interrogent sur la technique du papier découpé: «Ce n’est pas difficile, mais c’est un peu long parce qu’il faut beaucoup réfléchir», explique-t-elle. «On doit par exemple représenter les personnages de profil pour montrer leur émotion: sourient-ils ou non? Et il ne faut pas seulement penser à ce que l’on découpe mais également à ce que l’on va voir derrière». Détail qui a son importance: les livres-accordéons de Clémentine Sourdais peuvent se lire recto-verso. Aidée de son téléphone portable en guise de lampe de poche, l’illustratrice transforme son leporello en un théâtre d’ombres.
Et comment procède-t-elle pour créer un album? «En premier je vais découper le texte pour voir par quelles images le raconter. L’important pour moi c’est: que dois-je transmettre comme émotion avec mon image? Souvent je fais une petite maquette pour voir si le livre se raconte bien», explique la dessinatrice.
«Ce qui ne change pas dans mes dessins, c’est que je me sers très souvent de formes géométriques simples, un peu comme si c’était mon vocabulaire», poursuit-elle. Clémentine Sourdais aime le travail sur la couleur, comme le prouve Croque-moi si tu peux de Juliette Vallery aux éditions Amaterra entièrement conçu en jaune, orange et vert.
L’illustratrice lyonnaise travaille souvent dans sa cuisine, au café, parfois dans son lit, mais le plus souvent dans son atelier, qu’elle partage avec trois autres artistes. «Ils ne sont pas dans le domaine de l’édition jeunesse, mais nous échangeons beaucoup, c’est une bonne atmosphère d’émulation», explique Clémentine Sourdais ; avant d’ajouter en souriant: «J’ai la chance d’avoir la meilleure place, celle devant la fenêtre». Quand les idées ne lui viennent pas en regardant dehors, elles lui viennent en marchant.
La chapardise et les chemins qui se croisent
Son projet actuel? Une commande de l’éditeur L’Elan vert pour illustrer Le gâteau, une histoire écrite par Christelle Vallat. «On m’a laissé beaucoup de liberté pour mettre en scène la chapardise», explique Clémentine Sourdais, qui devrait terminer ce livre cet été et montre déjà quelques esquisses aux élèves francfortois.
Et le futur? «J’aimerais beaucoup réaliser une installation sur le thème des chemins qui se croisent, un thème très présent dans mes livres». Séduite par La promenade au parc, un vieux livre de l’allemand Lothar Meggendorfer, Clémentine Sourdais envisage de créer quelque chose de semblable sur le voyage et les paysages. Encore une fois, la forme l’intéresse au moins autant que le fond: «Plus qu’une illustratrice, je me définirais comme une créatrice d’objets qui racontent.» Avignon, où elle a grandi, est aussi le lieu d’un important festival de théâtre. Clémentine Sourdais, baignée d’albums et de mises en scène, a fini par concilier les deux dans son métier. Pour le plus grand plaisir de ses lecteurs-spectateurs.
[1]Initié par l’Institut français de Francfort et réalisé grâce à la coopération des deux villes mais aussi du Goethe Institut de Lyon, ce projet a eu lieu pour la deuxième fois en 2018 avec Clémentine Sourdais comme « ambassadrice » de Lyon et Philip Waechter comme « ambassadeur » de Francfort.
Au terme d’un projet d’échange entre deux villes jumelées, deux grands esprits de la littérature jeunesse se rencontrent: Clémentine Sourdais, «ambassadrice» de Lyon et Philip Waechter, «ambassadeur» de Francfort sur le Main. (©Institut français Frankfurt).