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Contes de fées : une exposition jubilatoire

Jean-Paul Gourévitch
20 mars 2015


Jusqu'au 6 avril 2015,  le Palais Lumière d’Evian accueille l’exposition « Contes de fées : de la tradition à la modernité », présentée de façon attractive et surprenante dans une  scénographie réalisée par  Frédéric Beauclair. L’exposition  est complétée par un remarquable catalogue publié par les éditions Snoeck.

Interview de Dominique Marny,  qui est au point de départ de cette manifestation dont elle a assuré le commissariat au même titre que Raphaële Martin-Pigalle et Robert Rocca.






Illustration de couverture du catalogue Contes de fées : de la tradition à la modernité (Snoeck, 2014)

qui reprend l'affiche d'Antoine Doré, conçue pour l'exposition d'Evian.

 


On vous connaissait comme romancière, et même essayiste sur l’œuvre de votre grand oncle Jean Cocteau, ou sur L’art d’aimer (Textuel, 2012) dont vous avez tiré une exposition au Palais Lumière d’Evian en 2012 et une anthologie commentée en 2013  (Je n’ai rien à te dire sinon que je t’aime, Textuel - Musée des Lettres et Manuscrits). Qu’est-ce qui vous a poussée à vous pencher aussi sur les contes de fées ? Est-ce le fait que Jean Cocteau ait réalisé, en 1946, une adaptation filmique du conte La Belle et la Bête dont vous avez d’ailleurs raconté l’histoire (La Belle et la Bête : les coulisses du tournage, Le Pré aux clercs, 2005) ? Ou bien est-ce un projet que vous portiez depuis plus longtemps ?

Tous les romanciers sont des enfants de Schéhérazade, elle qui a inventé le conte et donné un visage aux Mille et une nuits. Le romancier conte une histoire qu’il invente pour lui-même ou qu’il aurait aimé qu’on lui raconte. Une exposition, c’est comme un roman à ciel ouvert. On emmène des visiteurs par la main et on leur déroule une histoire tout au long de leur parcours, ou on les laisse se l’approprier. Mais il y a une raison plus personnelle. J’ai moi-même vécu dans l’atmosphère des contes de fées. Jean Cocteau bénissait les maladies infantiles qui permettent aux  enfants d’inventer leur univers. Or, enfant, j’ai souvent gardé la chambre, beaucoup lu et rêvé.

  
Une exposition comme celle-là nécessite plusieurs années de travail. Pouvez-nous nous parler de sa genèse ? 

J’ai toujours eu la chance de proposer des projets et non de répondre à des commandes. L’idée de l’exposition est née au sein  de notre équipe au moment où nous démontions en 2012 celle consacrée à «  L’art d’aimer ». Il y a une alchimie subtile entre le Palais Lumière, le lac d’Evian, et l’univers des contes. C’est la fascination du « il était une fois » dont nous nous sommes imprégnés ensuite  dans nos recherches, nos visites, nos rencontres. Il fallait en même temps, et malheureusement, se limiter compte-tenu de l’espace disponible. Chaque civilisation mériterait une exposition sur ses contes. Je regrette qu'il n’existe pas, à ma connaissance, un sublime musée sur le patrimoine international des contes de fées. 

Nous avons renoncé aux contes d’Arabie, d’Inde ou de Chine comme à ceux des pays de l’Est et privilégié le carré magique des conteurs occidentaux : Perrault, les frères Grimm, Andersen, Lewis Carroll, mais aussi Carlo Collodi et son Pinocchio et La Belle et la Bête de Jeanne-Marie Leprince de Beaumont. Le chemin de fer a été achevé en 2013 et nous avons travaillé environ un an avec le scénographe et les prêteurs pour la finalisation de l’exposition.




Jean Claverie, La forêt ; illustration pour Peau d 'Ane, 2010-2012,

aquarelle et pastel sur papier, coll Catherine et Didier Mas.



 

 
Vous avez choisi délibérément de rajeunir ce patrimoine plusieurs fois centenaire comme l’indique le sous-titre de l’exposition : « de la tradition à la modernité ». N’était-ce pas prendre le risque de dérouter un public jeune et moins jeune pour lequel les contes de fées sont d’abord des personnages : le Petit Chaperon Rouge, Cendrillon, Barbe-Bleue, le Petit Poucet, le Chat Botté, Blanche-Neige, la Belle au bois dormant, la Petite Sirène, Peter Pan ou Alice… ?

Nous n’avons pas voulu faire une exposition de type universitaire pour élever un mausolée aux contes de fées ou simplement glorifier de grands illustrateurs comme Gustave Doré, Arthur Rackham, Jean Claverie, Rebecca Dautremer ou Kelek qui tiennent leur place dans l’exposition. J’ai toujours été frappée par ces groupes d’élèves qui traînent les pieds derrière leurs professeurs, comme je l’ai vu à la maison de Goethe à Weimar, et finissent par prendre les musées en grippe et les considérer comme des lieux où l’on s’ennuie. Le conte de fées n’est pas un genre littéraire figé. Il a évolué d’abord oralement, puis grâce à l’interprétation de ceux qui illustrent le texte écrit, le mettent en films comme Méliès, Lotte Reiniger, Walt Disney, Tim Burton, ou le détournent en le faisant revivre.

Nous avons choisi d’utiliser l’espace à deux niveaux qui nous était offert en consacrant les pièces du niveau supérieur à une présentation de la bibliothèque des contes de fées avec des éditions rares, des alcôves dédiées à chaque conte, des espaces pour les projections  et un couloir pour décliner les différents supports sur les murs ou dans des vitrines : affiches de cinémas et de spectacles, imagerie populaire, lanternes lumineuses, marionnettes, boîtes à musique, jouets, disques, cartes postales, timbres... En  bas, c’est l’univers magique des contes de fées qui se donne à explorer avec la forêt de voilages de Guillaume Baychelier, les loups qui entourent la cabane magique de Katia Bourdarel, les hurlements et les chuchotements, le travail de Jim Dine sur Pinocchio qui est une création de Geppetto lui-même création de Collodi, et l’antre de la Petite Sirène avec les décors en papier de Louise Collet




Gustave Doré, L'ogre, 1867 ; gravure sur bois Musée d'art moderne et contemporain de Strasbourg.


 

 

Georges Méliès : Le Petit Chaperon Rouge ; chaumière de Mère-grand, 5e tableau ;

lavis d'encre et encre sur papier. Circa, 1930, Cinémathèque française. 




Comment avez-vous réuni les documents présentés dans l’exposition ? Et quelle part avez-vous pris à la scénographie ?

Il est plus difficile de monter une exposition thématique qu’une manifestation consacrée à un seul artiste. Il faut négocier avec les différents prêteurs particuliers ou institutionnels comme la BNF, la Cinémathèque ou le Musée des Lettres et Manuscrits, contacter les organismes qui nous ont servi d’interfaces comme le Musée de l’Illustration Jeunesse de Moulins, solliciter  des artistes contemporains qui ont travaillé bénévolement pour nous comme Karine Diot, Guillaume Baychelier, Louise Collet, Serge Tamagnot, Laurence Bonnel… Pour la scénographie, nous avons travaillé en connivence avec Frédéric Beauclair comme nous le faisons depuis trois ans. Dans l’ensemble, tout s’est très bien passé. On aurait pu souhaiter plus de projections, par exemple des films de Lotte Reiniger ou davantage d’interactivité. Mais quand il y a affluence, il est impossible de multiplier les écrans ou les écoutes individuelles. 




David Sala, La mort de la bête, huile sur papier, 2014. Collection de l'artiste. 

 


Certaines critiques ou des éloges vous ont-ils particulièrement touchée ?

Je me souviens des réactions d’une petite fille qui disait : « aujourd’hui, on est allé visiter la maison de la fée. » C’est une récompense par rapport à l’objectif poursuivi par notre équipe. Les réactions recueillies montrent que c’est cette modernité qui a donné son souffle à l’exposition. Les créations contemporaines ont permis de revisiter l’univers des contes de fées et de le faire revivre.

 
Le public jeune, une des cibles privilégiées d’une telle exposition, a-t-il pris part à cette manifestation ? De quelle manière ?

L’équipe du Palais Lumière a organisé des ateliers, élaboré des dossiers et des questionnaires pédagogiques, incité à une présentation en amont par les enseignants à leurs élèves dans le hall autour de la sculpture animée de la Belle au Bois Dormant. La projection vidéo a montré des enfants qui jouent aux princes et aux princesses dans la Maison de Jean Cocteau à Milly. Ceux-ci s’expriment dans l’interview reproduite dans le catalogue.

 
Vos projets immédiats : livres ? expositions ? dans le domaine de la littérature jeunesse ?

Outre mes projets littéraires personnels, je prépare une exposition autour de «  L’amour dans les contes de fées »  qui se tiendra à partir du printemps  2016 au Musée de Millau et des Grandes Causses consacré à la ganterie.

 
Y-a-t il une question que je ne vous aurais pas posée ?

Oui ! Quel est mon conte préféré ? C’est La Princesse au petit pois d’Andersen. Pas tellement à cause du thème mais parce que petite, quand je rentrais de l’école, j’avais l’habitude de passer devant une boutique où, en vitrine, était présentée une magnifique maquette de l’héroïne couchée sur ses multiples matelas qui me fascinait. Je ne sais pas si, à l’époque, j’avais déjà dans mon inconscient l’idée d’écrire ou de monter des expositions. Saint-Exupéry prétendait que « les contes de fées sont la seule vérité de la vie ».  Je ne cherche pas à rêver ma vie ou à vivre mes rêves mais  je suis persuadée que les contes de fées sont l’un des  fils rouges qui  m’accompagnent. Ils font partie des univers que je porte en moi depuis toujours.

 

Jean-Paul Gourévitch est l’auteur de L’Abcdaire illustré de la littérature jeunesse (Atelier du Poisson Soluble, 2013).




Pour aller plus loin : le dossier de presse de l’exposition