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Date

Contes d'hier et d'aujourd'hui

Anne GODIN
1 janvier 1990



PARCOURS PROFESSIONNELS POUR LA LECTURE DE JEUNESSE



Rencontre

MERCREDI 12 JANVIER 2005

10h30-11H30





Animatrice : Annie Delatte, professeur de lettres et chercheur à l'INRP ainsi qu'à la mission académique Maîtrise de la langue de Créteil.



Intervenants :

Jean-Pierre Kerloc'h, personnage charismatique d'origine bretonne, jongle lui aussi avec différentes casquettes: agrégé de lettres modernes, il est professeur honoraire de l'Institut de formation des maîtres de Montpellier, inspecteur de l'Education Nationale mais surtout il prend un réel plaisir à écrire des livres pour enfants tels que Les deux vies de Taro ou La Flûte enchantée respectivement parus en 2003 et 2004 chez Didier Jeunesse.

Michel Piquemal a fait des études supérieures de lettres, de littérature comparée et de sciences de l'éducation avant de se lancer dans l'écriture de livres pour enfants. Parallèlement à son activité d'auteur, il est aujourd'hui directeur des collections Carnets de Sagesse, Paroles de, Petits contes de Sagesse et Carnets Philosophiques aux éditions Albin Michel.

Laurent Corvaisier, quant à lui peintre et illustrateur de livres pour enfants, partage son temps entre l'Ecole nationale supérieure des Arts décoratifs (l'Ensad) où, en tant qu'ancien diplômé, il donne des cours en section illustration, et son atelier où il a créé les nombreuses illustrations de La Famille Totem, d'Indha ou encore de Tamina Couleur Soleil.



D'horizons différents, les trois intervenants qui ont successivement pris la parole, ont choisi d'évoquer ce sujet des contes d'hier et d'aujourd'hui à travers l'expérience qui les lie à ce genre littéraire.



Les contes d'hier et d'aujourd'hui, comme a tenu à le préciser Annie Delatte en ouvrant cette conférence, sont riches d'une double dimension temporelle et spatiale. En effet, qui dit contes d'hier et d'aujourd'hui, dit contes d'ici et d'ailleurs. Les contes, tels qu'ils nous ont été transmis, se sont construits à travers les temps et les pays pour devenir une culture millénaire et universelle qui s'appuie sur la notion de partage. Pour le plus grand plaisir des bibliothécaires et enseignants présents dans la salle, auteurs et illustrateur se sont attachés à comprendre comment les contes, d'abord rattachés à la tradition orale, sont arrivés jusqu'à nous, mais également quelle est la part de création et de réécriture dans les contes contemporains. Peut-on encore prétendre pouvoir écrire de nouveaux contes ou est-ce dans la nature du conte de s'enrichir au fil du temps et de donner lieu à des versions toujours différentes?






Jean-Pierre Kerloc'h : les contes associations de réminiscences

Jean-Pierre Kerloc'h qui se considère, comme il le dit si bien, artisan de l'écriture, s'est longtemps posé la question de savoir où s'arrêtait le travail de réécriture et où commençait le travail d'invention dans l'écriture d'un conte avant de pouvoir y répondre. D'autant que pour lui cette question centrale s'accompagne d'un problème éthique: jusqu'où peut-on se permettre de réécrire un texte sans trahir les intentions de son auteur original?

Pour répondre à ces nombreuses interrogations, il s'est observé en tant qu'auteur de contes pour enfants. Il a considéré deux situations possibles: celle où il (croit) invente(r) de toutes pièces une histoire comme cela fut le cas avec Le peintre et le guerrier (un conte mi-initiatique, mi-humoristique sur fond de Japon qui raconte l'affrontement entre un seigneur de la guerre, féroce et avide et un vieil artiste, sage et poète) et celle dans laquelle il adapte un conte tel que Le Petit Chaperon rouge.

Dans le premier cas, Jean-Pierre Kerloc'h a démontré lors de cette conférence que ce qui lui a semblé être un conte entièrement sorti de son imagination avec Le peintre et le guerrier, n'est en réalité que le fruit d'un assemblage inconscient de tous les contes chinois et japonais qu'il a pu entendre et lire ou d'anecdotes sur le Japon, ses pratiques ancestrales et sa philosophie. L'écriture n'est plus alors qu'un travail de réminiscences et un jeu où alternent tantôt le rêve et les souvenirs, tantôt la réalité. Pour Kerloc'h, il y a toujours une part d'inspiration dans l'écriture d'un conte.

L'adaptation d'un conte va relever d'une autre démarche. Les contes sont généralement adaptés pour être plus accessibles aux enfants d'un point de vue linguistique et pour mieux coïncider avec les pensées de la société de l'époque. Pour Jean Pierre Kerloc'h qui a réécrit de nombreux contes tels que Le petit chaperon Rouge ou Tom Pouce, il apparaît clairement aujourd'hui que les contes sont le résultat d'ajouts successifs. Tous les contes qui sont arrivés jusqu'à nous sont passés par différentes versions et se sont enrichis des modifications, variantes et épisodes qui ont été apportés au cours des siècles. Depuis la nuit des temps, conteurs et auteurs se sont inspirés d'un mythe, d'une histoire, d'une légende ou d'une anecdote pour donner vie à leurs contes. L'adaptation et la réécriture sont liées à l'existence même du conte et font qu'il se renouvelle continuellement. Il n'y a pas de structure fixe. Pierre Kerloc'h a d'ailleurs utilisé une image qui a provoqué l'hilarité générale mais qui, somme toute, résume bien sa pensée: "Le conte c'est aussi simple qu'une histoire SNCF avec un train et des wagons que l'on ajoute, retire et change de place à volonté!".






Michel Piquemal dans la tradition de la transmission

Michel Piquemal qui est à la fois, rappelons-le, auteur et éditeur de contes jeunesse, a une sensibilité toute particulière pour cette forme d'écriture. Pour lui, les conteurs sont les garants d'une tradition et d'une culture. Ce sont des passeurs de textes. Michel Piquemal ne peut dissocier le conte de sa portée socio-culturelle. A travers, le conte ce sont les traditions d'un peuple, l'histoire d'une contrée et les légendes d'une civilisation qui sont transmises de siècle en siècle.

Enfant, il a grandi avec les contes, il s'en est nourri et c'est tout naturellement qu'il a ressenti l'envie, devenu adulte, d'écrire des contes pour les enfants (Les noces du soleil, Le cœur de Violette…) et profiter de la structure incroyable qu'offre le conte pour aborder des sujets difficiles en les traitant par le symbolique. Tout comme Jean-Pierre Kerloc'h, il pense que le conte est un savant mélange entre l'imaginaire de l'auteur et des réminiscences. En tant qu'éditeur, il veut participer à faire connaître les contes et à transmettre les valeurs et les enseignements moraux qu'ils véhiculent d'autant qu'il estime que la transmission d'histoires, de génération en génération, est une valeur qui se perd dans notre société.

Michel Piquemal a également fait une ébauche de réflexion intéressante sur la difficulté que l'on peut parfois rencontrer en adaptant les contes d'ailleurs. Ils appartiennent en effet à une autre civilisation dont les valeurs, la sensibilité et l'éthique divergent de la nôtre, et il n'est donc pas facile de les retranscrire fidèlement. C'est pourtant ce qui fait leur richesse et les adapter c'est parfois risquer de les dénaturer.






Laurent Corvaisier: un regard libre sur les contes

Laurent Corvaisier, quant à lui, a surtout voulu montrer que le conte offrait une grande liberté à l'illustrateur qui peut laisser libre cours à son imagination et s'en imprégner pour ensuite exprimer sur la toile sa propre perception du conte. L'idée est que l'illustrateur donne vie au texte et que son graphisme doit être une invitation au voyage et au rêve. Tel est l'état d'esprit de Laurent Corvaisier lorsqu'il réalise les dessins et peintures destinés à illustrer un conte. Si l'intervention de Laurent Corvaisier en elle-même, a été relativement rapide, il a tenu à faire partager au public son univers en apportant certains de ses originaux. Il porte un regard " jeune " sur le conte, loin de tout académisme. Ses dessins semblent toujours à mi-chemin entre réalisme et rêve. Son œuvre est très colorée, très libre, très imaginative et expressive à la fois et joue avec les matières et les supports pour un rendu très vivant qui s'adapte à merveille avec l'esprit des contes des contrées lointaines telles que l'Afrique, l'Inde…




Au final, une conférence intéressante et une intervention de Jean-Pierre Kerloc'h enthousiasmante. Si les réflexions des intervenants ont été particulièrement pertinentes, on regrettera que, faute de temps, ils n'aient pas pu approfondir plus longuement des points essentiels ni mettre en place un débat constructif avec le public.