Découvertes Gallimard ou la culture encyclopédique à la française
Offrir au lecteur de véritables encyclopédies au format de poche et entièrement illustrées en couleurs : en 1986, beaucoup jugeaient ce projet éditorial insensé !
En novembre 1986, pourtant, Pierre Marchand révolutionne le concept d'encyclopédie classique en sortant chez Gallimard jeunesse la collection " Découvertes " : douze premiers titres, tirés chacun à vingt-cinq mille exemplaires (1). A côté de ces luxueux ouvrages, l'ancêtre des collections encyclopédiques de poche, le célèbre " Que sais-je ? " des Puf, apparaît tout à coup bien austère.
Comme le proclame le slogan, lors du très médiatique lancement de la collection par l'agence de publicité CLM, " on n'a jamais vu autant de choses entre la première et la dernière page d'un livre ". Dans l'esprit de son concepteur, chaque volume de la collection doit apporter un panorama aussi complet que possible sur un sujet, en le traitant sous tous les angles : historique, culturel, scientifique, économique, artistique, religieux etc.
Un concept éditorial nouveau
Plus que le fond, c'est la forme qui surprend d'abord : multimédia avant l'heure, un " Découvertes " a de multiples entrées : on peut bien sûr adopter une lecture linéaire en commençant par le début et en allant jusqu'à la fin, mais on peut aussi commencer par la fin … ou le milieu ; libre au lecteur de préférer au texte courant, linéaire, la lecture des légendes, à moins qu'il ne préfère feuilleter le livre comme un livre d'images.
Chaque auteur de " Découvertes " se voit remettre une charte où lui est exposé le principe de la collection : " Découvertes Gallimard, c'est la liberté dans la contrainte ", lui explique-t-on en préambule … De fait, un " Découvertes Gallimard " est un livre très codifié.
Le livre débute par le " pré générique " qui, avant même la page de titre, a pour objectif de plonger, grâce à une succession d'images, le lecteur au cœur du sujet : pour le Champollion (n°96), par exemple, ce sera une superbe reproduction du manuscrit de la grammaire égyptienne ; le pré générique de La saga de l'espace (n°3) évoque lui le tragique lancement de la navette Challenger en 1986, tandis que celui de La Tour de Monsieur Eiffel (n°62) présente la Tour à chaque étape de sa construction.
Le corpus, composé de soixante-quatre (Enquête sur Sherlock Holmes n°333 ) à cent vingt-huit pages, soit quatre à huit cahiers de seize pages, c'est à dire quarante-cinq à quatre-vingt-dix mille signes, selon les sujets, est structuré en quatre à six chapitres. Chaque chapitre est construit selon les méthodes journalistiques, avec un chapeau et des intertitres, à raison d'un par page dactylographiée. Le corpus est rythmé par des doubles pages d'images, appelées encarts, sorte d'arrêts sur images ; dans La peur du loup, par exemple (n°124), deux doubles reproduisent des gravures de Gustave Doré pour illustrer Le Petit Chaperon rouge. Les livres doivent beaucoup aux techniques journalistiques, mais aussi aux techniques cinématographiques, certains titres comportaient (les dépliants ont été récemment supprimés) même de véritables dépliants panoramiques, sorte de projection sur grand écran, ainsi Dans A la conquête du Mont-Blanc (n°5), on voit tout à coup, au détour d'une page, se détacher la chaîne, avec tous ses détails. Dans Le Papier (n°369), grâce au partenariat avec des groupes papetiers, on a même trois luxueux dépliants, tous réalisés sur des papiers différents du groupe Arjo Wiggins et présentant l'un des aquarelles du XVIIe s. sur la fabrication traditionnelle du papier chinois, l'autre des gravures et dessins d'Albrecht Dürer et Léonard de Vinci, et le troisième la chaîne de fabrication du papier aujourd'hui, avec ses différentes machines.
La deuxième partie du livre, les " témoignages et documents ", toujours en noir et blanc, à la différence du corpus en couleur, fonctionne comme une anthologie. D'un volume de trente-deux à quatre-vingt-seize pages, soit deux à six cahiers de seize pages, elle comprend, ainsi que le précise la charte d'auteur, des dossiers réalisés conjointement par l'auteur et l'éditeur, avec pour chaque dossier, un chapeau, des textes de liaison et de courtes légendes.
Les annexes clôturent les " témoignages et documents " avec, selon les ouvrages, une chronologie, un index, une table des illustrations, une filmographie, une discographie, et aussi une bibliographie, il faut le dire souvent réduite à la portion congrue faute de place et de ce fait souvent sans aucun intérêt à force de sélectivité …
L'iconographie, à la charge de l'éditeur, occupe une place prépondérante dans chaque ouvrage : les illustrations représentent plus du tiers du volume. L'iconographe explore en priorité les fonds des bibliothèques, notamment la BNF et d'autres sources institutionnelles, comme les musées et archives, mais aussi les fonds des entreprises, des associations, des galeries de peinture, etc. Les sujets contemporains génèrent bien souvent des coûts beaucoup plus importants puisque l'éditeur est obligé de travailler avec des agences photographiques. Dans le choix des documents, priorité est donnée à l'originalité, l'inédit. Les iconographes de Découvertes ont d'ailleurs à leur tableau de chasse quelques documents exceptionnels, comme les originaux polychromes de l'explorateur Catherwood, sur l'Empire Maya, retrouvés pour La cité perdue des Mayas (n°20).
Des ouvrages collectifs
Pas facile pour les auteurs d'accepter toutes ces contraintes, de se couler dans le moule, de se plier par exemple au calibrage des légendes, qui représentent quand même entre trente mille et cinquante mille signes : d'autant que, c'est dit explicitement dans la charte d'auteur, ces légendes doivent être informatives, ne pas doublonner le texte, ni se contenter de commenter l'image " les légendes permettent de développer les aspects techniques et informatifs qui ne doivent pas interrompre le fil narratif "
Bruno Blasselle, directeur de la Bibliothèque de l'Arsenal, auteur des deux volumes de L'Histoire du livre (n° 321 et 363) et de celui sur La Bibliothèque nationale de France (n°88) l'explique fort bien : " Ecrire un Découvertes pour un auteur, c'est se piéger, se mettre en situation d'être obligé de se dépasser par rapport à sa propre formulation de son sujet " (2)
Chercheurs et universitaires doivent s'astreindre aux contraintes d'une collection grand public. Outre d'évidentes capacités d'analyse, on demande aux auteurs des qualités d'écriture et une sensibilité à l'illustration. De sceptiques au départ, voire méprisants, les auteurs qu'il fallait au début aller chercher, se bousculent aujourd'hui, fascinés par la collection : Certains ont même commis plusieurs ouvrages, comme Françoise Cachin, conservateur du musée d'Orsay, auteur de trois ouvrages : Gauguin (n°49), Seurat (n° 108), Manet (n° 203) ou Jean-Pierre Maury qui signe quatre titres : Galilée (n°10), Comment la terre devint ronde (n°52), Newton et la mécanique céleste (n°91), Le Palais de la Découverte (n°195).
On l'aura compris : un Découvertes Gallimard n'est pas un livre d'auteur : l'auteur n'est qu'un des multiples intervenants, d'où des droits assez faibles de 2,5% sur le prix de vente public hors taxe, soit en 2001 entre 1,20 et 2,20 Francs bruts par livre vendu, c'est à dire 0,18 à 0,32 Euros - à titre de comparaison, ces droits sont en moyenne de 10 % pour un ouvrage documentaire " classique " … Il faut cependant savoir que, selon la tradition éditoriale française, les droits de reproduction, texte et iconographie -ici considérables - ne sont pas à la charge de l'auteur, mais de l'éditeur. C'est sur la quantité de livres vendus que l'auteur se rattrape puisque les tirages n'ont rien de comparable avec ceux des ouvrages documentaires classiques, universitaires notamment et il perçoit, en tout état de cause, un minimum de 20 000 Francs - 3048,98 Euros - à titre d'avance à valoir sur l'ensemble de ses droits.
Un Découvertes, selon sa catégorie, c'est à dire le nombre de pages, se vend entre 51 et 98 Francs (7,77 et 13,72 Euros ), soit un prix extrêmement modique pour un ouvrage de cette qualité, plus proche du livre d'art que du simple poche. Chaque titre, comprend en moyenne deux cents illustrations, il est imprimé en quatre, cinq, six ou sept couleurs, avec des mats, des brillants et parfois même des ors, comme pour Richard Wagner (n°39). Comme l'explique fort bien Pierre Marchand : " Si l'on veut que le livre soit populaire, il faut que son prix soit populaire. Or, dans les composantes du prix du livre, il y en a une qui est très importante, c'est le papier. Et le papier, c'est comme le beurre, ça se vend au poids. Quand on regarde un album qui serait l'équivalent d'un " Découvertes Gallimard " et compte tenu de l'iconographie qu'il y a dedans, il vaudrait en grand format 350 F au minimum, soit cinq à six fois plus cher. Ce n'est pas le même public qui peut acheter. " (3)
De facture extrêmement soignée, la collection se démarque par son souci du détail, dans le choix de la typo par exemple - Trump Medieval pour le texte courant, Barnattan pour les inters, Zapf Dingbats pour les guillemets, de l'italique fort pour les légendes avec une lettrine et la dernière ligne soulignée, etc. Les éditions françaises sont aujourd'hui imprimées chez Kapp Lahure Jombart à Evreux, tandis que l'imprimeur italien Gianni Stavro, qui a largement contribué à élaborer les nouvelles techniques utilisées dans la collection, conserve les rééditions et les coéditions internationales. Les reliures sont solides, cousues et non collées.
Le format de 17,5 x 12,5 n'est pas le fruit du hasard, pas plus que la mise en page, ainsi que l'explique le maquettiste Raymond Stoffel " " Il y a eu un an d'aller et retour. Au départ, nous avons travaillé à partir du format Folio Junior. Mais il fallait deux centimètres de plus en largeur pour assurer la double lecture. Et puis, parce que les ektas 24/36 sont souvent en largeur, il a fallu aussi faire éclater les colonnes : les recherches typo nous ont montré que le système de deux colonnes ne fonctionnait pas pour contenir à la fois un roman, un documentaire, une illustration. " (4)
Ces livres, à la maquette si sophistiquée sont aujourd'hui tous réalisés en PAO et bénéficient des dernières avancées technologiques mais il n'en fut pas toujours ainsi : le fameux logiciel X Press n'est sorti qu'en 1988, ce qui veut dire que les trente premiers titres ont tous été réalisés de manière traditionnelle, en photocomposition !
La couverture est une autre spécificité de la collection : souple, autrefois à fond noir illustré en couleur, aujourd'hui plus colorée, avec des codes couleurs différents selon les domaines, pour répondre à la demande des commerciaux ; elle se différencie des autres documentaires par la force de son visuel : une image plein format qui s'impose par son cadrage et la puissance des éléments figurés, une image aussi en parfaite adéquation avec la mise en page intérieure de l'ouvrage.
Coéditions, coproductions, partenariats …
La formule séduit beaucoup à l'étranger : le chiffres d'affaires à l'exportation est en constante augmentation. Selon Livres Hebdo (5), ces documentaires " à la française " se seraient vendus à plus de vingt millions d'exemplaires dans le monde, avec ces derniers temps de nouveaux marchés émergents, à l'Est et en Asie, Russie et Chine populaire notamment. Pour remédier aux problèmes de propriété internationale et de droits de reproduction des œuvres d'art, les coéditeurs définissent au préalable un certain nombre de titres, choisis en fonction de leur propre ligne éditoriale, et se partagent le coût élevé des droits mondiaux photographiques. Ainsi Abrams, aux Etats-Unis, préfère pour sa collection " Discoveries " les thèmes culturels traditionnels aux sujets plus pointus ; tandis que d'autres pays, le Japon par exemple, choisissent des titres plus originaux, comme Les sorcières fiancées de Satan (n°57) qui a très bien marché dans ce pays. Les éditions étrangères sont en outre le plus souvent co-imprimées pour amortir les frais et soutenir les pays à petits tirages.
En sus de ces coéditions étrangères, Découvertes Gallimard a également noué depuis plusieurs années des partenariats institutionnels tel celui mené depuis 1989 avec la Réunion des musées nationaux : trente-deux titres sont sortis à ce jour, plus un titre en anglais (Corot n°277) et le coffret impressionnisme, ainsi que quatre hors séries. Le principe de ces coéditions est simple : il repose sur un partage des coûts et des recettes : la RMN apporte sa connaissance des musées, son réseau de diffusion, tandis que l'éditeur apporte sa compétence éditoriale. Lorsqu'un titre est lié à une exposition, ce qui est souvent le cas, cela génère beaucoup de ventes supplémentaires par le biais de la RMN.
D'autres partenariats, avec des entreprises publiques ou privées, comme le CEA (L'atome n°282), le Crédit mutuel (L'odyssée de l'Euro n°379), L'Oréal (Les vies du cheveu n°405), les industries papetières (Le papier, n°369) etc. prévoient des pré achats d'exemplaires, avec parfois, parallèlement à l'édition grand public, la réalisation d'éditions spéciales pour le partenaire, comme pour le CEA, qui fêtait en 1996 son cinquantième anniversaire et s'est offert une couverture spéciale, sans mention de l'éditeur au dos, avec un titre différent " Le commissariat à l'énergie atomique " et le logo du CEA en quatrième de couverture à la place du code barre.
Le partenaire est parfois explicitement indiqué dans les " remerciements " (n°379), mais il est le plus souvent mentionné de manière équivoque (n°405), voire pudiquement gardé sous silence (Vive l'eau n°389)
Une encyclopédie en quatre cent quinze volumes
L'idée de cette encyclopédie de poche, initialement baptisée " les chemins de la connaissance ", Pierre Marchand et Jean-Olivier Héron l'avaient déjà en arrivant chez Gallimard en 1972, ainsi que l'explique Pierre Marchand :
" J'ai investi quatorze ans de ma vie professionnelle sur cette collection. C'est grâce au succès des " livres dont vous êtes le héros " que nous avons pu nous lancer dans cette aventure. L'aide financière qu'ils nous ont apportée nous a permis d'aller jusqu'au bout de nos exigences et d'offrir, pour la première fois, de véritables encyclopédies au format de poche entièrement illustrées en couleurs. Notre pari, c'est que une fois le livre ouvert, quel que soit le sujet ou la page, on ne puisse plus le refermer. " (6)
Les Découvertes devaient initialement s'appeler " Découvertes junior " et succéder aux " Découvertes Cadet ", lancés en 1983 et aux " Découvertes Benjamin ", lancés en 1984, afin de compléter le pôle documentaire de Gallimard jeunesse mais la collection, imaginée d'abord pour les adolescents, en parallèle à Folio Junior, a très vite débordé de son cadre initial pour s'adresser à tous jeunes et adultes.
La formule a d'abord été testée durant l'été 1986 avec l'envoi d'un numéro zéro à cinq cents libraires, démarche courante dans la presse, plus inhabituelle dans l'édition ; L'initiative aurait permis à Pierre Marchand de finaliser son projet.
Pas d'étude de marché au départ, Pierre Marchand, autodidacte et fier de l'être, au point de se produire dans un " ça se discute " sur le thème " Autodidactes et diplômés : je me suis fait tout seul " (7), explique : " Ce projet était aussi vieux que ma soif de connaître. Sans doute faut-il être justement autodidacte pour sentir l'importance d'une encyclopédie. Il faut avoir été contraint à se bâtir soi-même sa culture, à chercher des références sûres, des exposés clairs. Pour imaginer " Découvertes " je n'avais nul besoin d'études de marché, de sondages et de tests. Dès le départ, je voulais offrir au public les livres dont j'avais besoin. " (8). Pierre Marchand se fie à son flair … sans pour autant négliger les principes élémentaires de management … une grande réactivité par rapport à l'actualité, par exemple : Matisse (n°165), sorti pour l'exposition au Centre Georges Pompidou en 1993, Sang pour sang, le réveil des vampires (n°161) pour la sortie du film Dracula de Coppola en 1992, La mine (n°184) pour la sortie du film Germinal en 1993, Le CNAM (n°222) pour le bicentenaire de la fondation de l'institution, en 1994, etc. Comme la concurrence, Découvertes Gallimard n'hésite jamais à retarder ou avancer une parution, en fonction de l'actualité. Certains ouvrages ont même été lancés en catastrophe dans des délais réduits au strict minimum, comme Mémoires du Louvre (n°60), pour l'inauguration de la Pyramide du Louvre, en 1989 ou Les temples de l'Opéra (n°77) pour celle de l'Opéra Bastille, en 1990, bouclés en six à huit semaines, au lieu des deux ou trois mois habituels.
Les sujets difficiles, curieusement, sont souvent très demandés, peut-être parce que la concurrence est moindre, ainsi un livre sur les moines Cisterciens (n°95) fut l'un des best-sellers en 1990 tandis que d'autres, à priori plus grand public, furent de relatifs échecs, comme L'histoire vraie des mutins de la Bounty (n°43), Sous le pavillon noir, pirates et flibustiers (n°4), ou encore La fièvre de l'or (n°34). Contrairement à ce qu'annonçait en 1988 le Directeur des ventes de Gallimard Jeunesse, Jean-Marie Cerisier : " On peut raisonnablement espérer que, dans les cinq prochaines années, les deux tiers de la collection dépasseront les 100 000 exemplaires … " (9), les titres de la collection ayant atteint ce tirage sont finalement peu nombreux.
Les titres sur l'art ou l'archéologie sont toujours ceux qui fonctionnent le mieux avec un record pour le numéro 1 A la recherche de l'Egypte oubliée (n°1) édité à deux cent trente mille exemplaires et qui se serait vendu à plus de cinq cent mille exemplaires dans le monde (10). Des quinze titres de la série " sport et jeux ", seuls quatre ont réellement fonctionné : les sujets les plus populaires comme La saga du Tour de France (n°81), Voyous et gentlemen, une histoire du rugby (n°164), La balle au pied, histoire du football (n°83) ou Jeux olympiques (n° 133), avec, pour ce dernier, vingt-cinq mille exemplaires vendus au 30/6/2001 pour un tirage total de trente-deux mille (11).
A côté des (nombreux) ouvrages dictés par l'actualité, on trouve aussi un certain nombre de coups de cœur, parfois étranges, tel le livre Roux et rousses, un éclat très particulier (n°338), livre intéressant certes, mais particulièrement décalé dans ce type de collection.
Les dix-huit séries (12) ont été abandonnées et la collection est désormais organisée autour de sept grands domaines : les arts, l'archéologie, l'histoire, culture & société, sciences, littératures, religions.
De Gallimard jeunesse à Gallimard " vieillesse " …
Le catalogue comprend à la date d'aujourd'hui quatre cent quinze titres, dont trois cent dix-sept sont actuellement disponibles en librairie (13). Le projet initial prévoyait cinq cents titres ; la directrice de la collection, Elisabeth de Farcy, pense même aller au-delà malgré un contexte général peu porteur.
L'édition documentaire est en net recul en France depuis plusieurs années, chez Gallimard, comme chez les autres éditeurs : la saturation du marché est une des causes, la concurrence des autres médias en est une autre. Malgré son excellente image auprès du public, Découvertes Gallimard est également concerné par cette désaffection : si Découvertes reste une réussite incontestable à l'international, en France, les ventes s'érodent. Le nombre de nouveautés diminue et les tirages également : douze titres lors du lancement fin 1986, une rapide montée en charge avec jusqu'à trente-huit nouveaux titres sortis en 1995 ; on est en 2001 revenu, avec douze nouveaux titres, au niveau de 1986. La décélération est rapide … A ce rythme, en supposant que la production se maintienne désormais à ce niveau, on n'atteindra les cinq cents titres qu'en 2009 …
Le 1er mars 1999, à soixante ans et après vingt-sept ans chez Gallimard, le PDG de Gallimard Jeunesse, Pierre Marchand, est passé chez le concurrent Hachette où il a pris la direction de la création et est en charge de la branche grande diffusion. On a beaucoup glosé sur ce départ, sauf chez Gallimard où on se refuse obstinément à tout commentaire (14). Dissensions internes, manque de moyens pour la mise en œuvre de nouveaux projets, contraintes de gestion de plus en plus pesantes. Les raisons sont sans doute multiples. Notre propos n'est pas d'épiloguer ici sur le sujet mais seulement d'analyser les conséquences de ce départ pour la collection.
En mai 2000, la collection Découvertes est passée de Gallimard jeunesse à " Gallimard vieillesse ", démarche somme toute logique puisque dès 1991 la collection avait été repositionnée sur le créneau du " tout public ", avec une diffusion Folio et non plus jeunesse, mais qui entraîne des conséquences importantes dans la gestion : ainsi, Découvertes ne bénéficie plus directement de la manne de la fiction jeunesse : les droits mirifiques engrangés par les Harry Potter de Joanne K. Rowling et dans une moindre mesure les Philip Pullman, les Animorphs, et autres Pokemon, par exemple. Et ce n'est vraisemblablement pas la maison mère, où l'on cultive toujours un certain dédain pour l'image, qui plus est lorsqu'elle est ainsi mise en scène, qui viendra à sa rescousse, le cas échéant, même si cette collection a grandement contribué au rajeunissement de l'image de marque de la vieille maison.
La maison Gallimard, à peine remise de sa douloureuse guerre de succession, a, pour la première fois de son histoire, essuyé des pertes en 1997/1998, à cause notamment du secteur du documentaire. Gallimard est aujourd'hui la seule maison d'édition familiale de cette taille encore indépendante et Antoine Gallimard n'a eu de cesse ces derniers temps de conforter la position du holding familial Madrigall (15) créé en 1992, qui contrôle aujourd'hui 60% du capital. Mais, avec soixante millions de francs de résultats nets, Gallimard a bien du mal à résister face à Rizzoli, avec Flammarion (plus de 10 milliards de chiffre d'affaires), Vivendi Universal, avec Havas (4,2 milliards de francs) et Hachette livre (3,3 milliards de francs) (16). Pour préserver cette indépendance chèrement acquise, la maison est obligée de limiter sa croissance : de trop forts investissements l'obligeraient en effet à s'ouvrir à d'autres partenaires extérieurs.
Conséquences pour Découvertes : compressions de personnel - de six responsables éditoriaux en 1996, on est passé à deux, les départs n'étant pas remplacés, avec toutes les conséquences que cela implique pour la rigueur du suivi éditorial : un titre récent comme La Police judiciaire (n°403), même s'il est instructif, manque ainsi singulièrement de sens critique … Des contraintes de fabrication également : le manuscrit doit être rendu complet et non plus en pièces détachées, ce qui demande une planification, auxquelles les collaborateurs de la collection n'ont guère été accoutumés puisque les ouvrages étaient toujours réalisés dans l'urgence - Des contraintes éditoriales aussi vraisemblablement avec des auteurs ou des sujets " suggérés " par la maison mère et enfin des rééditions à moindre coût, avec des nouvelles éditions " augmentées ", amputées d'un ou deux cahiers, comme le Nouvelle-Calédonie (n°85) paru en 1990 avec cent quatre-vingt-douze pages et réédité en 1998, dans une " nouvelle édition actualisée et augmentée ", ainsi que l'indique le catalogue de la maison, disponible en ligne sur le site, … avec seulement cent soixante-seize pages (17)... La plupart des titres réédités subissent d'ailleurs une cure d'amaigrissement, comme Vie et mort des baleines (n°2) de deux cent vingt quatre à cent vingt huit pages ou encore Les fossiles (n°19) de deux cent huit à cent quarante-quatre pages, Jeux Olympiques (n°133) ou Le cirque (n°134) de cent soixante seize à cent soixante pages, etc.
Dans les librairies, la collection souffre également d'un problème d'identité et de visualisation : où mettre en place les Découvertes ? En jeunesse ou en adultes ? Avec les poches ou avec les ouvrages documentaires de sciences humaines ?
Concurrence oblige, nombre de libraires renoncent aux présentoirs exclusivement réservés aux " Découvertes ". et optent pour un éparpillement thématique dans les rayons, d'autant que, en raison d'une gestion assez serrée des stocks chez Gallimard, les quatre cent quinze titres ne sont jamais disponibles en même temps, ce que n'apprécie guère la clientèle.
Le problème d'identification est également latent dans la presse où les journalistes, même s'ils sont toujours ravis, à titre personnel, de recevoir les nouveaux titres en service de presse, ne sauraient bien souvent dans leurs articles être trop enthousiastes à propos d'un simple ouvrage de poche, même si ledit livre de poche est une création à part entière et non une réédition.
Mis à part les Hors série Découvertes, souvent couplés à des expositions, qui fonctionnent bien, les autres tentatives de diversification de la collection se sont souvent soldées par des échecs commerciaux retentissants : c'est le cas des albums (douze titres sortis en 1992 et un en 1994), des Texto, inspirés des témoignages et documents et destinés à un public lycéen ou étudiant (six titres sortis en 1998). L'autre histoire du Xxe siècle était dès le départ une série fermée de dix ouvrages. Malgré un concept intéressant : l'exploitation en images fixes des archives de la Gaumont, rendue possible grâce aux nouvelles techniques de capture de l'image en mouvement, la série connaît un succès mitigé.
En quinze ans d'existence, Découvertes Gallimard s'est constitué un fonds très riche mais ce fonds vieillit, c'est le propre de tous les ouvrages documentaires. Dans ses deux séries phares, arts et archéologie, la collection a déjà sorti ses titres les plus porteurs, il lui faut à présent trouver de nouveaux créneaux correspondant à son image. Pour une collection arrivée à maturité, se pose surtout le problème de la gestion du fonds : à côté des nouveautés, nécessaires pour dynamiser la collection, il faut faire vivre ce fonds ; pour prendre en compte l'évolution des connaissances, les livres doivent souvent être entièrement repensés, un simple toilettage n'est la plupart du temps pas suffisant : c'est une lourde tâche qui nécessite de véritables moyens : les Editions Gallimard seront-elles disposées au cours des prochaines années à les octroyer à cette collection, afin de lui assurer sa pérennité ou préféreront-elles investir dans une nouvelle collection encyclopédique, plus centrée sur l'auteur, à l'instar de ce que fait par exemple aujourd'hui la très dynamique collection Dominos, lancée par Flammarion en 1993 ?
Françoise Hache-Bissette, "Découvertes Gallimard ou la culture encyclopédique à la française", Histoire des industries culturelles en France XIXe-XXe siècles, sous la dir. de Jacques Marseille et Patrick Eveno, Paris, ADHE, 2002, pp. 111-124.
(1) Livres Hebdo. Spécial Gallimard jeunesse. (Publi) Supplément au n°50, 1986-12-08
(2) Qu'est-ce qu'elle dit Zazie ? Dixième anniversaire de la collection Découvertes. France 3, 1997-05-15
(3) Le Monde. Les " Découvertes de Pierre Marchand ", 2001-03-23
(4) Livres Hebdo. Spécial Gallimard jeunesse. . (Publi) Supplément au n°50, 1986-12-08
(5) Livres Hebdo n°321, janvier 1999
(6) Livres Hebdo. Comme un film documentaire. N°47, 1986-11-17
(7) Ca se discute. Autodidactes et diplômés : je me suis fait tout seul,
Antenne 2, 1994-10-31
(8) Lire. Mon tout, c'est Découvertes Gallimard, Publi-reportage Décembre 1990
(9) Livres Hebdo. Les " Découvertes " de Gallimard Jeunesse, n°44, 1988-10-31
(10) Estimation non vérifiée parce que non vérifiable, communiquée par Elisabeth de Farcy, directrice de la collection
(11) Premier tirage 20 000 ex. le 13/01/1992, retirage 6 000 ex. en janvier 1992, réédition 6 000 ex. en septembre 2000. Chiffres extraits des relevés récapitulatifs de droits d'auteur.
(12) archéologie, architecture, art de vivre, cinéma, histoire, histoires naturelles, invention du monde, littérature, mémoire des lieux, musique et danse, peinture, philosophie, religions, sciences, sculpture, sports et jeux, techniques, traditions
(13) Bulletin de commande DGA NUM 09/01 " Découvertes Gallimard Numérique "
(14) Chez Gallimard, même si Antoine Gallimard a présidé l'IMEC de 1992 à 1994, on cultive toujours aussi volontiers le secret. L'accès aux archives de la collection nous a été refusé et aucun chiffre précis ne nous a été communiqué. Toutes les informations ont donc été obtenues à d'autres sources : Livres Hebdo, BNF, INA, auteurs, collaborateurs et partenaires de Gallimard.
(15) Anagramme de Gallimard
(16) Challenges. Antoine Gallimard cultive son jardin en solitaire. N°155, janvier 2001
(17) Gallimard. Catalogue, collection Découvertes. [En ligne, http://www.gallimard.fr/collections/decouvertes.htm (Page consultée le 19/1/2002)