Denis Kormann: 10 questions à un faiseur de contes
La Suisse et la littérature jeunesse 4
La Suisse et la littérature jeunesse 4
Denis Kormann est auteur et illustrateur. Après le succès de La légende du colibri, publié en 2013 aux éditions Actes Sud junior, il s'est plongé dans l'univers merveilleux des contes et légendes de Suisse. De ce travail de longue haleine sont déjà nés deux albums, parus aux éditions Helvetiq sous le titre Mon grand livre de contes et légendes suisses: Nature et créatures fantastiques et Fées, sorcières, diableries et sortilèges. Ricochet vous propose une rencontre avec un créateur inspiré par la nature.
Nathalie Wyss: Illustrer, un rêve d’enfant?
Denis Kormann: Illustrer, pas forcément un rêve, mais plutôt une réalité, simple. Dessiner était une activité d’enfant que je n’ai jamais cessé de pratiquer. Quelque chose de central, un moyen d’exprimer tout ce que je ressentais et que je n’arrivais pas à dire avec des mots, mais également de donner du sens à la vie, de gérer l’ennui aussi parfois.
Pouvez-vous partager avec nous le souvenir d’une illustration ou d’un album jeunesse qui vous a marqué étant enfant?
Un album m’a beaucoup marqué enfant, que j’ai toujours dans ma bibliothèque: c’est un recueil de contes classiques illustrés par un artiste espagnol, José Luis Macías Sampedro. Un style très coloré, marqué des années 70, avec des visages à la Martine mais des décors parfois très pop, parsemés de fleurs comme des objets plastiques placées dans des contextes plutôt réalistes de nature, de forêts, et une façon très efficace d’isoler les éléments par des liserés blancs. D’ailleurs, je fais travailler actuellement mes étudiants à Ceruleum – l’école d’art ou j’enseigne à Lausanne – sur le conte Hansel et Gretel, et cet album figure parmi ceux que je leur ai présentés en guise de référence. L’album lui-même est un objet auquel je tiens beaucoup, un souvenir d’enfance précieux.
Comment gérez-vous votre emploi du temps entre l’enseignement, l’illustration et l’écriture?
Je ne sais pas si je gère quoi que ce soit! Les choses à faire se définissent par ordre de priorité selon les moments. Lorsque je reçois une commande, un mandat, je laisse de côté mon travail personnel pour faire ce qu’on attend de moi. J’ai par ailleurs un jour fixe par semaine ou j’enseigne, et pendant lequel, par la force des choses, je ne travaille pas sur mes projets. Même s’il m’arrive parfois de réfléchir et de faire quelques esquisses lorsque mes étudiants sont en phase de réalisation de leurs travaux. Puis, dès que l’occasion se présente, je reprends mon travail d’écriture ou d’illustration de mes livres. En ce moment, j’écris les histoires du troisième volet de contes et légendes suisses. Je dessine donc très peu. Il m’arrive, dans les phases intenses de réalisation d’illustrations pour un livre, lorsqu’une échéance de rendus à mon éditeur approche, de refuser des commandes pour terminer ce que j’ai à faire. Tout cela demande parfois une grande capacité d’engagement, de concentration, sur des semaines, parfois des mois. A cela s’ajoutent aussi les sollicitations autour de la promotion des livres, les salons et les dédicaces, qui ont souvent lieu les week-ends, les visites de classes en tant que créateur que j’aime beaucoup faire de temps à autre dans les écoles de Suisse romande, et le reste, la vie de famille, la vie tout court! Vous voyez que je ne m’ennuie pas. Ce serait même plutôt l’inverse, je dois veiller à ne pas trop en faire. D’ailleurs, quelques ennuis de santé me rappellent en ce moment l’importance de trouver un équilibre plus juste entre travail et vie personnelle.
Qu’est-ce qui est le plus inspirant pour vous?
L’inspiration. Vaste question. Je porte en moi des questions, des préoccupations, qui parfois se matérialisent en intuitions fortes, comme lorsque l’envie s’est imposée à moi d’adapter La légende du colibri. Souvent, le thème central est en lien avec la nature. Ou avec des questions d’ordre philosophique ou existentiel. C’est cette même nature qui est également au centre de mes Contes et légendes. Avec le fantastique et le merveilleux qui participent aussi de mon plaisir d’illustrer.
Le fait d’être devenu père de famille a-t-il changé votre rapport à la création?
Devenir père a renforcé en moi la nécessité du sens de ce que je fais, de ce que je souhaite transmettre. Le colibri est né de cette nécessité. Il se trouve que ma compagne travaille au sein d’une ONG dans le domaine du développement et est très engagée dans les questions de justice sociale. Je me suis interrogé sur mon rôle d’illustrateur, cherchant comment faire ma part à moi. Je connaissais la légende du colibri pour être un lecteur et admirateur du travail de Pierre Rabhi. L’idée d’en faire une version illustrée s’est imposée dans un moment ou, par ailleurs, j’étais plutôt désœuvré. Une petite traversée du désert.
Votre dernier livre, Mon grand livre de contes et légendes suisses (T 2). Fées, sorcières, diableries et sortilèges, est paru récemment aux éditions Helvetiq. Quel travail de recherche avez-vous effectué afin d’écrire et illustrer ces légendes? En connaissiez-vous avant la création de ce recueil? Est-ce qu’un troisième tome est en préparation?
Oui, je connaissais quelques légendes. J’avais dans ma bibliothèque quelques ouvrages, dont celui de Christophe Gallaz: Contes et légendes de Suisse, datant de 1996. Il y a une histoire que je portais en moi depuis très longtemps, c’est le célèbre pont du diable. Cette histoire m’a toujours fasciné. Il y a à la fois le paysage tellement puissant et évocateur du Gothard, et cette intrigue où le diable propose de construire un pont en échange de la première âme qui le traversera. Un mélange dramatique et tellement visuel! Il fallait qu’un jour j’en fasse moi-même une adaptation. C’est maintenant chose faite depuis que mon éditeur, Helvetiq, m’a fait totale confiance en acceptant de publier mon premier recueil en 2017. Pour réaliser ce premier opus, je me suis d’abord procuré tout ce que je pouvais comme livres et textes disponibles en librairie, bibliothèque, et via internet. Après un gros travail de lecture, mes choix se sont portés sur des histoires offrant à la fois un potentiel narratif fort mais aussi et surtout visuel. Comme déjà dit plus haut, je suis effectivement en train de travailler actuellement à la rédaction des textes du troisième livre de mes Contes et légendes. Après la nature et les créatures fantastiques du premier, les fées, diables et sorcières du deuxième, je m’attelle à raconter des histoires plus en lien avec les humains, héros ou pas.
Pouvez-vous nous décrire votre travail et vos techniques d’illustration?
J’utilise un mélange de plusieurs outils et techniques. Dans mes illustrations se superposent et se mélangent, sur la base d’un crayonné reporté sur une feuille de bon papier: crayons, encres transparentes pour donner une dominante, puis pastels gras, neocolors et crayons de couleurs. Je fixe le tout à l’aide de couches de vernis en spray qui me permettent d’intervenir en couches successives puis de protéger l’image terminée.
Y a-t-il un thème que vous aimeriez aborder prochainement à travers vos écrits ou illustrations?
Non, je n’ai pas encore d’idée pour la suite, l’après contes et légendes. Peut-être encore quelque chose sur la nature. Le thème de la forêt, de l’arbre, me passionne. J’aimerais raconter l’histoire d’un arbre. J’ai aussi un vieux projet autour de la symbolique de la fête de Noël dans mes cartons… Je ne sais pas encore. On verra…
Vous êtes l’un des ambassadeurs de la Journée suisse de la lecture à voix haute, organisée par l’Institut suisse Jeunesse et Médias ISJM. Quel rapport entretenez-vous avec l’oralité? Préférez-vous lire des histoires à un auditoire ou alors écouter les histoires racontées par un autre?
Pour moi, l’oralité, c’est d’abord les moments de partage autour des livres lus à voix haute avec mon fils aujourd’hui âgé de neuf ans et demi. Depuis qu’il est tout petit, tous les soirs après le repas, nous avons pris, ma compagne et moi-même, l’habitude de lui lire soit un bout de livre, soit tout ou partie d’une bande dessinée. Les thèmes de ces lectures sont variés à souhait. On peut passer d’une BD classique à de la littérature jeunesse, tous genres confondus, fiction, documentaire, etc…
Quels sont vos projets à venir?
A part ce que j’évoquais plus haut, j’aimerais aussi créer des images uniquement destinées à être exposées, développer un univers graphique différent, peut-être moins figuratif. Un travail plus personnel, plus artistique…
Photo en vignette: © Florian Cella, 24Heures