Excursion guidée en pédagogie
Un compte-rendu de l'ouvrage Écrire en classe, degrés secondaires: méthode pratique pour enseignant·es, de Thierry Pochon, Lausanne: Éditions Loisirs et Pédagogie, 2021.
Un compte-rendu de l'ouvrage Écrire en classe, degrés secondaires: méthode pratique pour enseignant·es, de Thierry Pochon, Lausanne: Éditions Loisirs et Pédagogie, 2021.
Même si elle est souvent convoquée en classe de français (degrés secondaires), l’écriture reste néanmoins une activité accessoire, pour laquelle l’enseignant·e manque souvent d’outils concrets. La méthode proposée par Thierry Pochon intègre les ateliers d’écriture aux questionnements didactiques, avec des pistes éprouvées pour mettre en place un enseignement pertinent et permettre aux élèves une appropriation subjective, de l’écriture comme de la littérature. Le double point de vue – d’enseignant et d’animateur d’ateliers d’écriture – enrichit cette méthode riche et pertinente, qui s’avère être un outil précieux à disposition des enseignant·e·s motivé·e·s à «se lancer»!
Loin du courant structuraliste, focalisé sur le texte, Écrire en classe se situe du côté du sujet lecteur·trice, en se donnant pour gageure celle de l’impliquer davantage dans la littérature. En somme, il s’agit de rapprocher l’élève de textes et d’auteur·e·s qui lui échappent parfois. Dès lors, l’écriture a non seulement pour but de développer la créativité et l’investissement subjectif des élèves, mais également des compétences concrètes en analyse et interprétation de textes. Comme le précise l’auteur, l’objectif est «d’écrire pour mieux lire» (p. 8). Afin de faire de l’écriture un axe prioritaire de l’enseignement du français dans les degrés secondaires, Pochon articule sa méthodologie en trois aspects distincts: le comment; le quand; et le quoi.
Comment faire écrire?
Dans ce chapitre, il met en avant les outils déclencheurs, en faisant de l’écriture une activité contextualisée et qui ait du sens au sein d’une séquence d’enseignement plus globale. Les techniques de déclenchement, inspirées de la méthode Bing – éprouvées depuis une cinquantaine d’années dans le cadre d’ateliers d’écriture pour adultes en France – s’articulent autour des éléments suivants: l’enjeu, le support, la proposition d’écriture, le motif, la fiche de préparation. Chacune des notions est expliquée et exemplifiée de sorte à outiller les enseignant·e·s. Pour l’enjeu par exemple, l’auteur précise qu’il est important de doter l’activité d’écriture d’un but précis, qui peut être d’ordre thématique, technique, pédagogique ou artistique. La proposition sert, quant à elle, de bascule entre le support et le travail d’écriture. En ce sens, Pochon la distingue de la consigne et y intègre la notion de motif comme moteur et source de tension de l’écriture. Pour ce qui est de la fiche de préparation, qui regroupe en somme toutes les notions importantes du processus de déclenchement, Pochon en donne un exemple concret (p. 22) à partir du Soleil des Scorta de Laurent Gaudé. À partir du point de vue de l’enseignant, l’auteur veille systématiquement à illustrer la manière dont les éléments s’imbriquent pour mener les élèves progressivement vers l’écriture. Une fois celle-ci entamée, l’enseignant·e occupe d’ailleurs la «place du mort» et s’abstient de tout rôle normatif ou de contrôle, les élèves s’imprégnant individuellement de l’activité et laissant libre cours à leur créativité.
Quand faire écrire?
Dans le chapitre concernant le moment de l’écriture, outre le conseil général de faire écrire régulièrement en faisant de cette activité une pratique quotidienne, l’auteur propose de l’ancrer dans une visée précise: une écriture micro ou une écriture macro.
L’écriture micro s’intègre dans une séquence didactique et est composée d’axes de travail spécifiques (objectifs d’apprentissage), en lien avec l’écriture (axe 1), la lecture (axe 2), ou l’analyse et l’histoire (axe 3). Au sein du premier axe, l’élève travaille son rapport à sa propre production écrite. Il·elle exploite sa créativité, de même que son rapport à soi. Le second axe est l’occasion de s’attarder sur le rapport au texte littéraire, en mettant en œuvre une capacité de projection de soi, à partir d’une forme d’empathie narrative ou d’identification, pour les personnages ou les situations auxquelles ces derniers sont confronté·e·s. Ce deuxième axe développe la compréhension de texte, en incitant les élèves à expliciter leurs impressions de lecture, de même que leur compréhension thématique ou générale du texte. Le troisième axe, quant à lui, renvoie au rapport entre l’élève et la littérature en général, en invitant les élèves à s’interroger sur les visions de l’Humain et du monde qu’ils·elles retrouvent dans les œuvres abordées. Ces différents axes rythment la séquence didactique et sont en lien avec des enjeux d’ordre thématique ou technique, que l’auteur détaille et exemplifie dans les parties 2.2 et 2.3 de l’ouvrage.
L’écriture macro, dont la visée peut être pédagogique (resserrer les liens au sein de la classe; relancer la motivation) ou artistique (se mettre dans la peau de l’écrivain·e), consiste en la mise en place d’activités d’écriture situées en dehors de la séquence didactique. Ainsi, elles peuvent être mises en place sous forme de rituel ou d’ateliers. Tandis que les écritures micro requièrent un rôle actif de la part de l’enseignant·e, les écritures macro le·la transforment temporairement en animateur·trice d’atelier d’écriture. Pour ce type d’écriture, Pochon propose des idées de cheminement progressif (pp. 53-55), de même que des champs d’écriture visant à stimuler la créativité des élèves. Ainsi, ces derniers peuvent être encouragé·e·s à écrire à partir de leurs souvenirs, en s’inspirant du réel, en mettant en œuvre leur imagination ou encore en entrant dans un rapport ludique à la langue.
Ces moments d’écriture peuvent également être contrebalancés par un travail intéressant, à mener hors de l’école. Dans cette optique, l’auteur fournit un exemple de dossier de lecture, une tâche autonome, individuelle et subjective (partie 2.4).
Que faire des textes?
Dans le dernier chapitre, l’auteur aborde la poursuite du processus d’écriture, soit la manière de recevoir les textes, de même que de les améliorer par le biais de retours de la part de l’enseignant·e. Pour ce qui est de la réception des textes produits par les élèves, Pochon suggère la mise en place de clubs de lecture dans le contexte de la classe, ou celle de dossiers d’écriture, compilés à domicile. Le club de lecture vise à regrouper les élèves dans le but de partager et de discuter leurs écritures respectives, tandis que le dossier d’écriture a pour but de retravailler les textes produits en classe en les réécrivant, en les corrigeant ou en les mettant simplement en page, de sorte à créer un recueil. La partie 3.5 fournit aux enseignant·e·s des pistes pour aider les élèves à améliorer leurs productions, en travaillant notamment sur les maladresses de langue, de la narration ou de la manière de décrire les lieux, les personnages ou les émotions. La mise en place d’activités d’écriture régulières peut également mener à un dispositif ludique, évalué de manière sommative: un concours d’écriture interne à la classe. De même, il existe la possibilité de compiler les textes au sein d’un recueil de classe, composé des textes préférés de chaque élève.
Écrire en classe propose une méthodologie succincte, précise et orientée pratique. L’ouvrage est structuré de sorte à permettre un repérage rapide, en ciblant les éléments en fonction du moment concerné (avant, pendant et après l’écriture). Le contenu, riche et synthétisé à la fin de chaque chapitre, favorise une prise en main efficace et encourage ainsi les enseignant·e·s – confirmé·e·s ou novices – à s’approprier la méthode pour se lancer à leur tour dans l’enseignement de l’écriture. Ils·elles ont par ailleurs le choix de le faire en mettant en place une séquence didactique plus longue ou, au contraire, en intégrant les activités au sein d’ateliers d’écriture ponctuels. La démarche de Pochon est d’autant plus intéressante qu’elle concilie avec une maîtrise certaine les finalités de l’enseignement de la littérature avec le travail d’écriture à proprement parler. Pour ce qui est de la gageure – motiver les élèves en favorisant leur investissement subjectif dans la littérature – il ne reste plus qu’à tester! Ce qui est sûr, c’est que l’ouvrage répond aux besoins des enseignant·e·s intéressé·e·s, en les outillant de manière suffisamment efficace pour qu’ils·elles se sentent à l’aise d’explorer l’écriture avec leurs propres élèves.
*Violeta Mitrovic est assistante diplômée dans l’UER Didactique du français de la HEP Vaud. Doctorante à l’Université de Lausanne, elle travaille sur la poétique et la didactique des récits de soi contemporains, ainsi que sur la notion d’«extime». Parallèlement, elle mène plusieurs travaux autour de l’enseignement de la littérature contemporaine au secondaire post-obligatoire. Elle collabore régulièrement au site Voielivres, ainsi que, depuis 2020, au projet Ricochet, par le biais de contributions sur la littérature jeunesse.