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Date

Francine Allard

1 septembre 2003



Entretien avec Francine Allard





La littérature pour la jeunesse québécoise est très mal connue en France. En cette période de rentrée littéraire, Ricochet donne la parole à Francine Allard, qui écrit pour les adultes, les enfants et les adolescents et qui a créé le Prix Cécile Gagnon pour la relève de la littérature jeunesse au Québec. Elle nous livre son regard sur l'édition du livre pour la jeunesse au Québec, et elle ne mâche pas ses mots…





Ricochet - Vous écrivez à la fois pour les adultes et pour les enfants. Qu'est-ce qui est propre, selon vous, à l'écriture pour la jeunesse? En quoi un public enfantin est-il différent d'un public adulte?


Francine Allard - J'ai toujours souhaité écrire avec autant de déférence pour ces deux lectorats. Je ne sens pas qu'il y ait une si grande différence entre mes livres pour adultes et mes livres destinés aux enfants. Les uns sont la continuité des autres. Seul le ton est différent. Je fais souvent cette blague lorsqu'au Québec, on me pose la même question. Je réponds qu'il y a davantage de scènes lascives dans les romans… pour les enfants, chez nous en tout cas. On a l'impression que certains auteurs, surtout masculins, se sentent tenus d'ajouter des scènes à connotation sexuelle pour attirer les lecteurs adolescents. En ce qui me concerne, je préfère les romans littéraires qui balancent entre le fantastique et un tendre réalisme. Les romans de chez Gallimard sont très populaires au Québec, davantage que les romans que certains d'entre nous appellent des romans "miroirs" dans lesquels le jeune lecteur reconnaît ses propres questionnements, sa famille, son dialecte. Je trouve très dommage aussi ces innombrables romans à tendance pédagogique qui sont écrits pour être certains d'être lus dans les écoles et qui se tiennent trop près d'une réalité parfois obscure. Les enfants doivent pouvoir lire davantage de romans qui les font rêver, et en même temps, enrichir leur vocabulaire un peu trop pauvre par les temps qui courent, non ?

Somme toute, l'écriture pour la jeunesse doit être à la fois adaptée aux préoccupations des jeunes lecteurs et destinée à des apprentis. Et puis, Daniel Pennac l'a si bien dit : le lecteur a le droit de ne pas lire.

Ricochet - Vous avez créé le personnage de Tante Imelda dans une série de romans. Pouvez-vous nous la présenter?


Francine Allard - Imelda de Jubinville est un merveilleux personnage. Une vieille dame (qui fait parfois penser à la Vieille Dame de Babar) qui a une petite-nièce (Ingrid Joyal) avec qui elle partage ses nombreuses aventures mais aussi les initiales d'Indiana Jones. Tante Imelda, je l'ai voulue très excentrique, drôle, amoureuse des animaux et végétarienne. Elle collectionne les croustilles et les petites bêtes exotiques. Dans le deuxième tome, Imelda retrouve son amoureux d'il y a presque 60 ans et elle l'épouse. Les enfants adorent ce personnage qui représente, comme leurs grands-mères, des phares dans leur vie d'enfants souvent bousculés par les adultes. Elle danse sur de la musique rap, elle est audacieuse et très rassurante. J'ai écrit huit tomes dans cette collection. J'ai aussi fait revivre le film Le magicien d'Oz en faisant jouer à tante Imelda le merveilleux rôle de Dorothée dans un remake du film If Dorothy was an old lady (Si Dorothée était une vieille dame). Le résultat est très étonnant surtout que c'est Liza Minelli (la fille de Judy Garland, la vraie Dorothy) qui remet à Tante Imelda le trophée de la meilleure actrice à l'Academy Award américain. J'adore inclure des personnages réels dans mes romans.

Dans un des derniers titres, Tante Imelda se retrouvera même à une émission de télévision, dans un face à face avec nulle autre que son auteure Francine Allard. Une rencontre inoubliable. J'aimerais que cette collection soit lue partout en Europe et traduite en vingt-cinq langues. Car tante Imelda est un personnage indispensable aux enfants en cette période de guerres, de désastres et de ruptures.




Ricochet - Est-il plus difficile pour vous d'aborder des sujets plus graves, tout au moins plus sérieux, dans les livres pour enfants? (Citons par exemple Le dernier vol de l'engoulevent, sur la maladie d'Alzheimer)


Francine Allard - Lorsque j'aborde un sujet plus grave, cet exemple que vous citez, je fais d'abord d'intenses recherches sur le sujet. Ça, c'est la partie sérieuse. Dans Le dernier vol de l'engoulevent où il est effectivement question de la maladie d'Alzheimer du grand-père Édouinas, je suis allée rencontrer des gens atteints de cette maladie, des personnes de leur entourage immédiat et j'ai fait lire mon manuscrit par la Société de l'Alzheimer.

Pour mon dernier roman pour adolescents Le cri du silence, je suis allée suivre des ateliers de clown, j'ai lu la biographie d'Oleg Popov, j'ai rencontré un agent d'Immigration, tout ça pour que mon histoire soit véridique. Je ne lésine jamais lorsque les sujets sont aussi graves que la perte de la mémoire et la perte de la parole. La plupart de mes romans pour la jeunesse sont farfelus mais lorsque je décide d'écrire un roman plus près de l'amour-propre de mes lecteurs, je ne mens jamais. Je n'invente pas non plus.



Je trouve important de toucher les jeunes en leur présentant une horde de personnages âgés pour que la boucle se referme. Les vieillards excentriques ont toujours l'heur d'intriguer mes lecteurs et il n'y en aura jamais trop dans la littérature qui leur est dévolue. Mais, les romans que j'écris sur les sujets les plus sérieux comportent un élément humoristique ou onirique afin de dédramatiser la tension qui pourrait y régner. Le dernier vol de l'engoulevent passe par le fantastique pour que Charles puisse retrouver son grand-père malade qui a disparu. Plusieurs jeunes m'ont raconté avoir peur de ne pas être cools s'ils avouent devant leurs camarades, aimer leurs grands-parents.

Il faut parler aux enfants de sujets sérieux puisqu'ils sont les spectateurs, dès leur jeune âge, de l'inconscience des adultes. Il faut aussi leur parler de la mort puisque c'est une notion qui leur est totalement inconnue et qui leur fait peur.
J'ai l'intention, depuis plusieurs années, d'organiser les funérailles de ma chère Tante Imelda dans un prochain roman de la collection.




Ricochet - Vous avez créé le Prix Cécile Gagnon pour encourager la relève en littérature jeunesse au Québec. Aujourd'hui, y a-t-il un style ou une tendance propres à la littérature jeunesse québécoise?


Francine Allard - La littérature québécoise pour la jeunesse est en pleine effervescence et va dans tous les sens. Il y a beaucoup de livres publiés, beaucoup plus per capita qu'en France, par exemple (nous ne sommes pas 7 millions au Québec). Y a-t-il une tendance? J'ai toujours fait une différence entre le livre pour enfant et la littérature pour la jeunesse. La première est très populaire, la seconde, plutôt rare. Beaucoup d'auteurs écrivent comme des enfants en voulant s'adresser à un jeune public et il n'est pas rare au Québec que des éditeurs publient des romans écrits par des jeunes de 11 ou 12 ans. Ces romans reflètent le peu d'expérience de ces adolescents, hélas. Quand j'ai créé le Prix Cécile-Gagnon, il y a 6 ans, j'étais alors présidente de l'Association des écrivains québécois pour la jeunesse. J'étais la seule écrivaine qui s'adressait à la fois aux enfants et aux adultes. La pensée populaire propage l'idée que le fait d'écrire pour les jeunes est en quelque sorte une période d'immaturité qui devrait nous mener un jour à la " vraie " littérature. Il y a pourtant d'excellents écrivains qui se spécialisent en littérature pour la jeunesse. Mais très peu.


Cécile Gagnon, l'une des pionnières de la littérature pour la jeunesse québécoise, méritait un prix à son nom puisqu'elle a défriché la route pour les centaines d'autres qui ont suivi. Pour le prix Cécile-Gagnon, les éditeurs soumettent les premiers romans de leurs auteurs et le lauréat peut visiter plusieurs écoles pour faire connaître son premier roman. C'est un prix pour la relève. La tendance actuelle au Québec va vers les romans-miroirs qui ont la prétention d'aider le jeune lecteur à régler ses problèmes. Beaucoup de taxeurs, d'enfants de parents divorcés, de jeunes drogués, de jeunes homosexuels. Hélas, pas beaucoup de personnages fantastiques qui font rêver et qui amènent le jeune à visiter son imaginaire. Ici, Harry Potter a eu une influence très grande qui tarde encore à se manifester chez les auteurs.




Ricochet - Pouvez-vous nous parler de quelques auteurs et illustrateurs québécois qui vous semblent importants?


Francine Allard - Comment vous parler d'auteurs et d'illustrateurs sans être qualifiée de complaisante ? Il y a des auteurs importants, comme en Europe, bien sûr, mais ça ne signifie pas pour autant que leurs livres sont supérieurs à ceux écrits par leurs collègues moins connus. Ça veut souvent dire qu'ils ont de bons agents, et d'excellents amis parmi les critiques littéraires. Je vais vous nommer , Christiane Duchesne, qui est sans doute la plus importante ; puis Gilles Tibo qui est le peintre de l'âme enfantine ; Cécile Gagnon, bien sûr, François Gravel, Michèle Marineau. Une étoile montante ? Ann Lamontagne dont les cinq derniers romans ont été finalistes à presque tous les prix littéraires.



Parmi les illustrateurs, comme les écrivains québécois n'ont pas grand-chose à dire dans le choix de leurs illustrations, je n'ose m'aventurer. Stéphane Poulin est sans doute celui qui attire le plus mon œil d'aquarelliste. J'ai déniché un illustrateur qui selon moi est un grand artiste. C'est lui qui illustrera mon prochain roman L'univers secret de Willie Flibot, un genre qui se situe entre Alice au pays des merveilles et L'Alchimiste. Les illustrations seront de Jean-Marc Saint-Denis. Un nom à retenir.




Ricochet - A l'inverse, quel regard portez-vous sur la littérature jeunesse française. Y a-t-il des auteurs français desquels vous vous sentez proches?


Francine Allard - Ici, je vais être très franche. Je ne connais pas beaucoup la littérature française pour la jeunesse mais je me suis abreuvée toute ma vie de la littérature française pour adultes. Mais je sais que nos critiques littéraires québécois en littérature pour la jeunesse font la recension presque exclusive de la littérature de Gallimard ou du Seuil dans nos journaux nationaux. Et cela met nos associations d'écrivains en rogne ! J'ai ouï dire, de source sûre, que les éditeurs français ne publient pas d'auteurs québécois et que ce qu'ils attendent de nous, ce sont des histoires de coureurs des bois, d'Indiens (autochtones), de trappeurs en raquette sur les espaces enneigés. Mais, diantre, nous avons dépassé ces sujets depuis belle lurette ! Je vais me faire un point d'honneur de lire beaucoup de littérature française dans les prochaines semaines. Sans en avoir lu beaucoup, j'entretiens un préjugé favorable envers les romans français ou plutôt envers les jeunes lecteurs français que personne ne prend pour des attardés. Certains livres québécois pour la jeunesse présentent de la purée pour édentés.

Ricochet - En France, le nombre de publications pour la jeunesse ne cesse d'augmenter, à tel point que certains auteurs et illustrateurs parlent d'une explosion du marché. Est-ce le cas aussi au Québec?


Francine Allard - C'est absolument identique ici. Les éditeurs de littérature dite pour adultes ont vite découvert que la littérature pour la jeunesse est très lucrative et ils s'y adonnent désormais avec enthousiasme. Des auteurs pour la jeunesse ouvrent leur propre maison et tentent de révolutionner le marché. Il ne faut pas oublier les maisons pédagogues qui ont ajouté à leur collection de manuels scolaires, des romans très encadrés dans le but évident de vendre aux écoles. Au Québec, nous comptons 9 salons du livre de haut calibre et une dizaine provenant du milieu même. Partout, les institutions scolaires envahissent les salles d'exposition et les auteurs sont très courus pour leur talent et surtout …pour les signets qu'ils offrent aux lecteurs. Le livre pour la jeunesse a sa vie propre et les animations abondent. Des organismes de promotion de la lecture s'activent en souhaitant faire lire les enfants dès le jardin d'enfance. Mais, je le répète, les littéraires jeunesse ont du mal à faire partie de la grande confrérie des écrivains.

Ricochet - Vous avez animé plusieurs salons et manifestations littéraires (le Prix Pierre Tisseyre par exemple). Les Québécois sont-ils de grands lecteurs?


Francine Allard - Voilà le plus grand malheur. Dans un livre d'entretiens virtuels entre moi et l'écrivain Claude Jasmin Le vieil homme et l'âme-mer, en attente de publication, nous avons conclu qu'hélas, les Québécois ne lisent plus assez. Tandis que l'assistance au cinéma, au théâtre et surtout aux spectacles d'humour augmente en flèche, les lecteurs se font de plus en plus rares. Chez les enfants, même phénomène. Les enseignants ne lisent pas, les parents non plus alors, pourquoi les enfants feraient-ils exception ? N'apprend-on pas surtout par l'exemple ?



J'ai écrit un jour dans un journal national que J.K Rowling n'avait pas le Ministère de l'Éducation sur le dos pour l'empêcher de parler aux enfants comme s'ils étaient des adultes. Personne ne l'empêche de leur parler de la cruauté, de la trahison ou de la mort. Personne ne l'empêche d'étendre le récit de chaque Harry Potter sur plus de 800 pages. Elle fait confiance aux enfants. Et elle a raison. Dernièrement, un éditeur très sérieux de Montréal a décidé que les romans de sa collection ne devaient pas dépasser 160 pages. Mon dernier roman ayant plus de 200 pages, on m'a demandé de couper trois chapitres arguant que ça ne changerait pas grand-chose à l'histoire. Au moment où des écrivains m'enviaient, j'ai annulé mon entente avec cet éditeur pour plutôt aller chez Hurtubise (HMH) où on a respecté mon œuvre.



Selon moi, ce n'est pas aux pédagogues de faire aimer la lecture aux enfants, mais aux parents puisque tout ce qui vient de l'école finit par tomber sur les nerfs. Il faut que la lecture soit un droit et non un devoir.

Ricochet - Quels sont vos projets actuels, et plus particulièrement en littérature pour la jeunesse?


Francine Allard - J'ai des projets plein la tête malgré l'arrivée, le 20 juillet, de ma première petite-fille Béatrice. Comme ma fille aînée l'élève seule, je m'en occupe souvent. Je prépare pour elle une série de petits albums qui peuvent s'apparenter aux Titou et Fanette que je lisais à mes propres enfants. "Béatrice à la garderie", "Béatrice a un petit frère", vous voyez le genre.



Je verrai enfin publié, mon précieux roman fantastique L'Univers secret de Willie Flibot aussi un roman pour les plus jeunes lecteurs Mon royaume pour un biscuit, dans lequel le prince anglais Bruno Smallwood verra pour la première fois la vie en dehors de son palais, lui qui ne "s'essuyait même pas les commissures tout seul". Je n'ai pas encore d'éditeur.

J'ai aussi écrit un livre intitulé : Turlutaines et galipettes pour les petits crapauds, dans lequel j'offre aux enfants des poèmes à apprendre par cœur. Aussi en attente d'un éditeur.

Un autre Ambroise, bric-à-brac est en quête d'un éditeur. Un petit roman dans lequel un petit quincaillier se voit jeté à la rue par l'arrivée d'un gros Max-le-rénovateur. Ambroise ira vendre ses "breloques quincaillières" à une petite sorcière qui vit dans la montagne. En quête d'un éditeur.



Je ferai 10 récitals de lectures d'auteurs québécois sur le thème LES MOTS D'HUMOUR avec mon camarade l'écrivain François Barcelo et un musicien François Desaulniers dans autant de bibliothèques de la ville de Montréal. Sans compter les douzaines d'écoles que je visiterai cette année pour faire connaître ma littérature.
Et je chéris un grand rêve : être invitée au Salon du livre de Paris. Ce serait mon premier voyage en Europe.



J'ai mis fin à mes activités syndicales et corporatives pour ne me consacrer qu'à mon écriture. C'est, je crois, le début de la sagesse.



Le site de Francine Allard : www.francineallard.com

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Illustration d'auteur

Francine Allard

canadienne