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François Ruy-Vidal ou le vertige de la liste

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Janine Kotwica
4 avril 2013




Lorsque l'on consulte la bibliographie des albums édités par François Ruy-Vidal, on est saisi par le vertige de la liste si magistralement décrit par Umberto Eco. Que l'on énumère, comme dans ce catalogue, ses titres demeurés incontournables, ou les écrivains de renom qu'il a déviés vers le livre d'enfance, ou les artistes magnifiques dont il a révélé le talent d'illustrateur, on est emporté dans un étourdissement admiratif et nostalgique.





Rarement un concepteur d'édition aura pratiqué, avec un tel enthousiasme, l'art de la maïeutique, transportant infatigablement son exigence esthétique et philosophique de la maison franco-américaine d'Harlin Quist (1966-1972) aux éditions Grasset dont il a fondé le département Jeunesse (1972-1976), puis chez Delarge (1976), Hatier (1978-1982) et enfin Des Lires qu'il a créé en 2002.


Ses fabuleux dons d'accoucheur littéraire, il les a exercés en séduisant, au sens étymologique du verbe, les romanciers, essayistes, musiciens et poètes alors bien vivants qu'il a convaincus d'écrire pour la jeunesse : Eugène Ionesco, Marguerite Duras, Anne Philipe, François Mallet-Jorris, Jean Chalon, Jacques Chessex, Pierre Gripari, Jean Joubert, Ray Bradbury, Pascal Quignard, André Hodeir, Maurice Denuzière, Gilbert Lascault, Michel Tournier...


Cet épistolier disert et inspiré a aussi écrit le texte de quelques-uns de ses albums, ainsi l'inoubliable Petit Poucet où il développe avec pertinence une exégèse engagée du conte de Charles Perrault.





Il a  en outre ressuscité quelques grands morts, Edward Lear, Oscar Wilde, Vladimir Maïakovski, Lewis Carroll..., confiant audacieusement leurs écrits aux crayons, plumes et pinceaux d'artistes, souvent inconnus encore, mais bigrement prometteurs.


Car ce sage-homme, qui concevait l'image des livres comme une œuvre autonome et non une redondance du texte, a fait naître ou grandir, en vrac, Nicole Claveloux, Etienne Delessert, Victoria Chess, Bernard Bonhomme, Flavio Constantini, Jacqueline Duhème, Heinz Edelman, Philippe Corentin, Patrick Couratin, Claude Lapointe, Tina Mercié, Danièle Bour, Henri Galeron, Colette Portal, Alain Gauthier, Michel Gay, Robert Constantin, Alain Letort, Denis Pouppeville, Fulvio Testa... Heureux temps où ces artistes, affichistes ou peintres, souvent jeunes et fraîchement émoulus des Beaux-Arts, n'étaient pas encore formatés par les écoles d'illustration et exploraient librement le champ inattendu de tous leurs possibles…


François Ruy-Vidal fut aussi un explorateur et défricheur de terres vierges dans les thématiques courageuses de ses livres. Ses choix ambitieux n'ont pas manqué d'effrayer quelques prescripteurs - et prescriptrices – frileux qui ne partageaient ni ne comprenaient sa foi dans les potentialités de l'enfance. Cet ancien instituteur, militant pour le théâtre dans les CEMEA, a toujours voulu, pour son jeune public, le meilleur du texte et de l'image, certes, mais aussi des émotions et des découvertes. Il a offert à ses petits lecteurs, avec respect et confiance, « leur part de risques sublimés » dans des livres éminemment cathartiques où la dérision, la révolte, les contradictions, l'angoisse mais aussi l'humour, la tendresse et le bonheur de vivre sont vécus par procuration. Même la mort, tabou suprême, est évoquée avec l'ironie joyeuse des Feuilles mortes d'un bel été ou l'oblation spirituelle d'Adieu, Monsieur Poméranie.





On se doit de rappeler ici la litanie célèbre et ô combien novatrice, parue en exergue d'un de ses catalogues chez Grasset :


« Il n'y a pas de littérature pour enfants, il y a la littérature.

Il n'y a pas de couleurs pour enfants, il y a les couleurs.

Il n'y a pas de graphisme pour enfants, il y a le graphisme...

Un livre pour enfants est un bon livre quand il est un bon livre pour tout le monde. »




Dans une époque où le monde pléthorique de l'édition pour la jeunesse fait souvent une part trop belle au mercantilisme et à la facilité, redécouvrir une œuvre habitée par un idéal insatiable ne peut qu'être salutaire.




Pour en savoir plus :


04.04.2013