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Impressions de Montreuil

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Germano Zullo
20 décembre 2011


Comment vous dire, en tant qu’auteur, que je n’aime pas les salons ?


          Je pourrais dire que je n’aime pas les salons en raison de l’aspect commercial qu’ils induisent, mais ce serait cracher dans la soupe. Par ailleurs, nombre de ces manifestations savent mieux que d’autres transmettre d’abord et avant tout de la culture. Je dirais donc que je n’aime pas les salons en raison des dédicaces. C’est là en effet quelque chose que je considère ne pas savoir faire. Je suis nul en dédicace, comme je suis nul en correspondance. Ces mots que l’on adresse à une personne en particulier à l’occasion d’un anniversaire, d’un mariage, d’une naissance, d’un deuil… Pour la correspondance, j’ai pour moi le bénéfice de la réflexion. Mais les dédicaces doivent être réalisées en direct et sous les yeux du particulier. Trac, sueurs, tremblements, dyspnée, arythmie, j’essaie cependant de me donner une contenance et je rends des ratures ou des gribouillis. Je suis à ce jour toujours étonné que personne ne s’en offusque jamais.


         Je n’aime donc pas les salons en raison des dédicaces, mais au fond, ce qui m’est difficile, c’est le métier même d’auteur. Celui-ci ne doit pas être confondu avec l’écriture, car l’écriture n’est pas une profession, mais une solitude. Le métier d’auteur, à l’inverse, implique une certaine socialisation. Il faut entretenir des relations avec les maisons d’édition, les médias, les librairies, les bibliothèques, les lecteurs… Il s’agit de savoir parler de soi et de ce que l’on fait. Il s’agit de savoir recevoir les louanges et d’accepter les éreintements. Il s’agit de savoir accompagner les livres là où ils sont demandés. Et, si bien au-delà de tout ce décorum, je crois que dans une certaine mesure les livres devraient pouvoir se suffirent à eux-mêmes, il me serait tout à fait intolérable, et c’est là où se situe toute l’ambiguïté de la condition humaine, de ne plus être invité ici pour une interview et là pour une dédicace.

 

         Le salon du livre et de la presse jeunesse en Seine-Saint-Denis. Autrement dit Montreuil. C’est le plus important salon du livre jeunesse en France. La référence. Bien sûr il y en a d’autres, il est impossible de tous les citer, ils ont chacun leurs spécificités, leurs modalités, leurs prix littéraires ; j’apprécie tout particulièrement l’esprit de convivialité qui règne chez certains. Mais où que l’on passe ici, on finira tôt ou tard par parler de là-bas. Tous ceux qui ont pris l’habitude de fréquenter le réseau jeunesse finissent chaque année par se retrouver à Montreuil. On y rencontre tout le monde. Parmi les professionnels, qui arrivent de partout, j’ai fait la connaissance cette année d’Anglais, de Belges, de Suisses, d’Italiens, d’Espagnols, de Japonais, de Coréens et de Thaïlandais, je citerais tout particulièrement les responsables de bibliothèques et de médiathèques. Leur travail de fourmi fait œuvre de titan. Ils butinent d’un stand à l’autre avec passion, curiosité, abnégation et zèle. On appelle cela la vocation. La plupart ont la prudence ou le talent de converser d’abord et avant tout avec les livres, faisant fi des renommées, des accroches éditoriales et des recommandations à la mode. Ils composent ainsi de somptueux paniers qu’ils ramènent au pays dans le seul but de transmettre.


         Le public de Montreuil est-il plus averti qu’ailleurs ? Peut-être… Sans doute… Je ne sais pas… Un lecteur, par essence, est quelqu’un de très averti. Si à Montreuil le public est toujours aussi nombreux, c’est peut-être parce que les organisateurs ont réussi, au fil des ans, à donner à ce rendez-vous une aura particulière. J’avoue ne pas être en mesure de la cerner. Il faut de toute façon se réjouir, il me semble que les salons du livre bénéficient d’une manière générale d’une très belle fréquentation. On vient certes pour les auteurs, les tables rondes, les expositions, mais au final, ce que l’on emporte chez soi, ce sont les livres.


         Je me suis aussi demandé si, à l’instar des professionnels, le public était spécialisé. Ne trouve-t-on que des lecteurs de polars dans les salons de polars, des lecteurs de science-fiction dans les salons de science-fiction et des lecteurs de littérature jeunesse au salon de Montreuil ? La question peut paraître stupide et la réponse est bien sûr négative, mais il m’est arrivé de rencontrer, par exemple, un lecteur de bande dessinée qui avait cessé de lire de la bande dessinée pour s’adonner exclusivement à la littérature jeunesse illustrée. La démarche de ce lecteur qui était aussi collectionneur d’autographes était motivée par le fait qu’il considérait qu’il y avait trop de collectionneurs d’autographes en bande dessinée. Il lit cependant, et c’est là l’essentiel.


         La littérature jeunesse ne cesse d’innover et son marché est en expansion constante. On le doit aussi bien aux éditeurs qu’aux auteurs et il est devenu plus que jamais nécessaire de classifier les œuvres. Dans cette grande boîte que constitue la littérature jeunesse, on a tendance à multiplier les sous-boîtes. Une boîte pour les premières lectures, une boîte pour l’apprentissage de la lecture, une boîte pour les documentaires pédagogiques d’aide à la lecture à l’intention des 4-6 ans et ainsi de suite. Certes, comment ferions-nous pour retrouver une boîte de raviolis si celle-ci était classée dans la boîte des boîtes à sardines ? Mais un livre ne peut pas être uniquement réduit à un objet de consommation courante. Son essence dépasse de très loin les fonctions des produits industriels. Gardons à l’esprit qu’un polar, qu’un roman de science-fiction, ou qu’un album illustré est bien plus qu’un simple polar, qu’un simple roman de science-fiction, ou qu’un simple album illustré. On peut classer les livres, mais ce classement peut devenir absurde si on commence d’abord par fabriquer les boîtes, puis par invoquer les titres qui les rempliront.

 
 



         Pour le reste, eh bien Montreuil c’est avant tout une immense librairie, condensée sur cinq jours et trois étages. Qui dit librairie, dit exploration. On peut aller jusqu’au fantasme et imaginer l’expédition décisive jusqu’au cœur même du mystère de la transmission. Il faut oublier le plan et se perdre, se perdre et oublier le temps. Vous trouverez ainsi les livres et les livres vous trouveront. Et puis, quand un lecteur s’en va en me remerciant pour mes ratures et mes gribouillis dans le livre qu’il vient de trouver et d’emporter, je peux contempler le bonheur du lecteur et le bonheur du livre. Quel meilleur sort peut-on souhaiter à un auteur ?