Jean-Baptiste de Panafieu: «les enfants adorent les histoires vraies»
Rencontre avec l’auteur d’une centaine de documentaires mais aussi d’une trilogie romanesque, L’Éveil.
Rencontre avec l’auteur d’une centaine de documentaires mais aussi d’une trilogie romanesque, L’Éveil.
Peut-on parler de vocation plutôt que de métier quand on pressent petit ce que l’on fera grand? Enfant, Jean-Baptiste de Panafieu rêvait de devenir réalisateur de films. «Pas de fiction», précise-t-il, «mais de documentaires, sur les poissons et sur la mer. Mon idole, c’était le commandant Cousteau».
Après le bac, Jean-Baptiste de Panafieu étudie la biologie, passe l’agrégation puis se lance dans un doctorat en océanographie et devient professeur de «S.V.T» (comprenez des sciences de la vie et de la terre), pendant plus de dix années.
À cette période, Jean-Baptiste de Panafieu réalise une première commande en tant qu’auteur pour l’éditeur Nathan: Explorons la nature, un livre d’activités. Lors d’une récente intervention dans une classe primaire à Francfort-sur-le-Main[1], l’auteur précise qu’il a écrit cet album «au siècle dernier». Un «wow!» choral admiratif est la réaction spontanée des jeunes élèves qui ne s’étonneront pas d'apprendre que Jean-Baptiste de Panafieu a également écrit sur le thème des dinosaures… L’auteur prétend que s’il était resté enseignant, il serait devenu «un vieux prof aigri». Quand on assiste à ses interventions dans des classes, on a un peu de mal à le croire.
D’abord le film, puis l’album documentaire
Jean-Baptiste de Panafieu ne reste pas enseignant, mais sa volonté de vulgariser le savoir scientifique persiste. Concrétisant son rêve d’enfant, il se lance dans la réalisation de documentaires pour la télévision après une année sabbatique (en 1993) qui lui a permis d’obtenir une licence en cinéma. Il produit des documentaires pour le Centre National de Documentation Pédagogique et en scénarise pour la célèbre émission Thalassa diffusée sur France 3. Ces films sont consacrés à des thèmes comme les effets des marées sur les animaux, l’érosion des plages, les volcans ou encore la géologie des paysages.
Cela ne l’empêche pas de multiplier les expériences éditoriales. En 1995, Jean-Baptiste de Panafieu publie Marée haute, marée basse chez Gallimard. «C'était extraordinaire de mettre un pied dans une maison d’édition de qualité, d’avoir l’occasion de faire un bel objet». Il propose ensuite un livre sur l’évolution des espèces (Drôles de cousins): «ce thème était alors absent de la littérature jeunesse», explique-t-il. Pour Gallimard, il réalise des albums sur la préhistoire et les océans. Peu à peu, Jean-Baptiste de Panafieu va passer d’un médium à l’autre. «Milan m’a proposé un livre sur Les couleurs de la nature. Il fallait aller au-delà de la simple description des plantes et des animaux. Et je me suis vraiment éclaté.» Pourquoi les cerises sont rouges et le zèbre rayé? Dans l’éblouissant album publié en 2006, Jean-Baptiste de Panafieu décortique l'infinie variété chromatique de la nature, couleur par couleur. Les superbes photos (de différents photographes) illustrent la diversité et la beauté du monde du vivant.
Un auteur de documentaires reste un auteur
Et c’est ainsi qu’après avoir été professeur puis scénariste et producteur de films, Jean-Baptiste de Panafieu se lance, à 40 ans, dans une troisième vie professionnelle, celle d‘un auteur. Plutôt prolifique, il comptabilise 25 ans plus tard une centaine (!) de documentaires, en grande majorité destinés au jeune public et en grande majorité scientifiques. Parmi ses dernières productions, signalons deux BD: Les Forêts, un monde fabuleux à découvrir, dessinée par la Suisse Adrienne Barman chez Casterman et Extinctions, illustré par Alexandre Franc chez Dargaud.
Face aux dangers qui menacent le monde du vivant, Jean-Baptiste de Panafieu préfère «faire prendre conscience plutôt que d’expliquer ce qu’il faut faire». «J’ai un peu de mal avec la littérature militante», sourit celui qui s’est engagé politiquement pendant des années dans son quartier de Montreuil.
«Un auteur de documentaire reste un auteur», précise Jean-Baptiste de Panafieu. « Il faut de temps en temps le rappeler car on ne pense souvent qu’au contenu, aux informations que l’on peut trouver dans le livre. Or je raconte les choses à ma façon. Même dans le documentaire la forme est importante». Un exemple? Jean-Baptiste de Panafieu cite Hélène Rajcak et Damien Laverdunt: «leur Monde invisible des animaux microscopiques est un album scientifique bourré de créativité». L’album (Actes Sud Junior 2016) propose de découvrir dans des doubles pages à rabats un milieu agrandi jusqu’à 150 fois et par conséquent de nombreuses petites bêtes insoupçonnables à l’œil nu.
Jean-Baptiste de Panafieu a lui aussi innové dans le monde du documentaire scientifique. Son livre Évolution publié par les Éditions Xavier Barral en 2007 a fait sensation. L’album (pas jeunesse, une brique scientifique de 400 pages) est fruit de cinq ans de travail de l’auteur et du photographe Patrick Gries.
Jamais l’histoire du vivant n’a été expliquée et illustrée de cette manière
Jamais l’histoire du vivant n’a été expliquée et illustrée de cette manière: les squelettes de vertébrés permettent de mieux comprendre la théorie de l’évolution. Au-delà de leur beauté formelle – les clichés de Patrick Gries sont presque poétiques – la structure osseuse des animaux renvoie l’humain à son histoire. L’évolution est un thème récurrent dans l’œuvre de Jean-Baptiste de Panafieu notamment parti Sur les traces de Charles Darwin dans un album éponyme illustré par Vincent Desplanche (Gallimard jeunesse 2004). Il est aussi l’auteur de Darwin à la plage et de la BD Évolution, Darwin, Dieu et les hommes chevaux. Mais aucun n’a eu le retentissement d’Évolution, salué par les critiques comme «l’un des plus beaux livres naturalistes» du monde. «Ce succès a changé la façon dont j’ai été perçu», raconte Jean-Baptiste de Panafieu.
Jean-Baptiste de Panafieu s’était déjà rendu à Francfort-sur-le-Main grâce à cet album. «L’éditeur Xavier Barral faisait des livres magnifiques mais il n’était pas particulièrement polyglotte», explique l’auteur. «Quand il m’a demandé de l’accompagner à la Foire de Francfort pour l’aider à vendre Évolution à l’étranger, j’ai dit oui». Voilà l’auteur transformé en vendeur de droits, et avec succès, puisque l’opus a été traduit en six langues.
Le public des 8-12 ans? «Un rêve pour les auteurs de documentaires»
Pourquoi, après un tel succès pour adultes, s’est-il spécialisé dans le documentaire pour jeune public? «Les enfants adorent les histoires vraies» répond Jean-Baptiste de Panafieu. «Le travail de recherche de l’information reste, mais il faut trouver une perspective qui suscite l’intérêt des plus jeunes». Dans Drôles de parents par exemple, vingt animaux sont analysés du point de vue de la relation parents-enfants. Les particularités illustrent la diversité de cette relation: les rois de la fidélité sont les pigeons et les hippocampes, le coucou fait couver ses œufs par d’autres, la femelle crabe pond plus de 100 000 œufs et chez les pucerons – pardon les puceronnes – il n’y a pas de mâle. «Les 8-12 ans sont un rêve pour les auteurs de documentaires», poursuit Jean-Baptiste de Panafieu: «ce public s’émerveille de tout, en particulier de la nature et des animaux! Comme ils sont passionnés, on peut entrer dans des explications détaillées dont beaucoup d’adultes se détourneraient. Il faut juste prendre soin d’adapter l’écriture à la tranche d’âge à laquelle on s’adresse».
Pour écrire un livre, Jean-Baptiste de Panafieu met «entre deux semaines et deux ans selon les cas». «On demande rarement à des auteurs de documentaires ce qui les inspire parce que leurs livres sont souvent des commandes des éditeurs», poursuit-il, «mais cela ne veut pas dire que je ne me lève pas parfois la nuit pour noter des idées dans mon petit carnet». Un petit carnet qu’il montre volontiers aux élèves qu’il rencontre à Francfort.
L’Éveil, une trilogie pour aller plus loin
Après un passage dans plusieurs classes de primaire, Jean-Baptiste de Panafieu rencontre des élèves plus âgés du collège. Il peut alors parler d’un de ses livres préférés, qui n’est pas un documentaire, L’Éveil. «L’histoire m’a très longtemps trotté en tête. Après une série d’albums sur les animaux d’élevage, collection pour l’éditeur Gulf Stream dans laquelle je racontais le réel, j’ai été pris par une envie d’aller plus loin.»
Dans la trilogie romanesque, l’adepte de science-fiction imagine un monde avec des animaux «éveillés». «J’étais tombé sur un article sur un gène greffé à une souris en laboratoire qui lui avait permis de sortir plus aisément d’un labyrinthe. Je me suis demandé ce qui se passerait si cette souris était complètement modifiée», explique-t-il.
Deux à trois ans de réflexion et plus d’un an d’écriture ont produit une trilogie dans laquelle les animaux sont à la fois des représentants de leur espèce et des individus. «Je me suis limité aux animaux à sang chaud pour ne pas avoir un trop grand nombre de personnages», précise Jean-Baptiste de Panafieu. «Ce sont les animaux que l’on mange, or il est difficile de savourer un animal "éveillé" avec qui on pourrait discuter philosophie ou politique». L’Éveil n’est pas seulement un captivant roman mais aussi une réflexion sur la condition animale dans notre monde.
Des réponses simples à des questions fondamentales
Jean-Baptiste de Panafieu s’étonne que la littérature jeunesse soit encore et toujours considérée comme de seconde classe. «Je suis mieux payé quand j’écris pour les adultes alors que mes livres pour enfants se vendent mieux» explique-t-il, avant de conclure: «Quelque chose ne va pas dans le système».
Son roi des ventes n’est pas Évolution mais le nettement moins spectaculaire La Terre, la vie, l’Univers paru en 2012 dans la collection «Les petites questions» chez Milan. «Dix mille exemplaires se vendent chaque année, on doit être à quelque quatre-vingt mille albums écoulés», explique l’auteur. «Il s’agit d’une commande, l’éditrice voulait un livre sur les grandes questions que posent les petits et auxquelles les parents ont du mal à répondre».
Seize questions sur les origines de la vie, l’histoire de la planète terre et son évolution sont ainsi posées dans l’album illustré par Mayana Itoïz. «La grande difficulté, c’est d’arriver à répondre de manière simple et claire» précise Jean-Baptiste de Panafieu. Et effectivement: quand on dispose de 500 signes pour expliquer aux enfants de 6 à 8 ans «pourquoi est-ce que l’on meurt», il vaut mieux être un auteur du calibre de Jean-Baptiste de Panafieu.
[1] En mai 2022, Jean-Baptiste de Panafieu a rencontré plusieurs classes dans le cadre de l’initiative «auteurs et autrices à l’école» du Lycée français Victor Hugo de Francfort et de son association de parents d’élèves UPEA.
Il a tourné avec l’Institut français Frankfurt une courte vidéo pour la journée de la biodiversité visible sur YouTube: https://www.youtube.com/watch?v=fIyGyTAOlXY