Jean-Paul Nozière
Jean-Paul Nozière est né dans le Jura en 1943 et grandit dans une famille d’instituteurs. Il aura donc très tôt pour terrain de jeu l’école et un métier tout trouvé. Après des études à la faculté des lettres de Dijon, il enseigne l’histoire et la géographie pendant près de dix ans (dont deux en Algérie) et devient ensuite documentaliste dans un collège en Côte-d'Or jusqu'en 2003 tout en consacrant son temps libre à une passion : l'écriture. Après avoir fait ses premières armes avec des nouvelles, il se lance en 1979 en publiant un premier récit dans un numéro de J'aime lire et consacre aujourd'hui tout son temps à l'écriture de romans pour adolescents et de romans policiers pour adultes. Il a publié à ce jour une soixantaine de titres publiés chez plusieurs éditeurs. Ecrivain assidu, un brin révolté, Jean-Paul Nozière ne raconte pas des histoires de fées ou de magiciens, mais aime écrire des histoires ancrées dans la société du 21è siècle et beaucoup de ses livres s’inspirent de son adolescence. Sans plus attendre découvrons les réponses de ce romancier boulimique d’informations et passionné de vélo.
A plusieurs. Peut-être aux Rougon-Macquart, cette famille du Second-Empire, née sous la plume d’Emile Zola. Elle représente une société à elle seule. Ou alors, aux personnages des romans de Steinbeck.
- Quelle utopie seriez-vous prêt(e) à défendre ?
Si je pense qu’il s’agit d’une utopie, je ne m’engagerai pas, puisque le propre de l’utopie est d’être irréalisable. En revanche, il y a beaucoup d’idées, de principes, que certains considèrent peut-être comme des utopies, pour lesquels je suis prêt à m’engager. Certaines de ces idées sont visibles dans mes romans. D’ailleurs, d’une certaine façon, mon écriture est déjà un (petit) engagement : je ne raconte pas des histoires de fées ou de magiciens, mais notre société du 21è siècle.
- A part être écrivain ou illustrateur, que rêveriez-vous d'être ?
J’aurais aimé être musicien. La musique (sous toutes ses formes) raconte et touche plus directement, plus clairement, que les mots.
- Où écrivez-vous ? Quel est le lieu qui vous inspire le plus ?
Dans mon bureau, quatre heures par jour et tous les jours et toute l’année (en gros, pendant 320-330 jours).Ce n’est pas le lieu où j’écris qui m’inspire. Ce lieu n’est qu’un endroit calme, familier, où j’ai des repères qui me tranquillisent.
- Quel est le sentiment qui vous habite le plus souvent ?
La révolte. Elle ne me quitte pas depuis l’enfance. Et aujourd’hui, en 2007, comment pourrait-elle ne pas être là, même si, je m’en rends compte, cette attitude de vie est très démodée !! Peut-être même suspecte.
- Quel (s) genre(s) de livre(s) vous tombe(nt) des mains ?
Les livres sans écriture. Les livres racoleurs. La science-fiction. La fantasy. Les livres qui exploitent une mode ou un filon. Les livres œcuméniques (genre Gavalda ou Delerm). Les livres bâclés. Les livres avec une ribambelle de suites. Trois ou quatre de mes propres titres. Mais cette liste est loin d’être exhaustive.
- Que redoutiez-vous enfant ?
Le rire cruel des autres. Ne pas réussir à l’école. Faire pipi au lit. Qu’aucune fille ne m’aime jamais. D’avoir un zizi trop petit. De ne pas savoir comment faire le jour où ça arriverait. Que mes parents meurent. Ne pas devenir le héros que je rêvais d’être. Les enterrements, avec le corbillard qui passait sous la fenêtre de l'école où j’habitais. Que mon frère ne réussisse pas à l’école. Que le ramoneur reste coincé dans la cheminée. Que la Vouivre de Marcel Aymé m’emporte. J’arrête, mais il y a beaucoup d’autres peurs dans l’enfance.
- Vous arrive-t-il de côtoyer des êtres imaginaires ?
Tous les jours. Chaque personne croisée possède une part de mystère qui en fait un être imaginaire.
- Que feriez-vous ou diriez-vous à un ogre s'il vous arrivait d'en croiser un ?
Je lui dirais : « Bonjour, mais s’il te plaît, ferme-là, tes histoires sont toujours pareilles. Allons faire un tour de vélo ensemble et tu verras qu’une barre de pâte d’amande ou des abricots secs, ce n’est pas mauvais non plus. »
- Qu'avez-vous conservé de l'enfance ?
Presque tout. Sauf l’enfance.
- Selon vous, qu'est-ce qui fait vendre un livre ?
Je l’ignore et je m’en fiche complètement. Mon but, en écrivant, n’est pas de faire vendre un roman même si je suis heureux de son succès à sa parution. Je ne suis pas libraire, pas éditeur. Mon travail consiste à écrire le mieux possible ce qui me porte, ensuite inch allah. L’idéal serait qu’un bon livre se vende et qu’un mauvais livre ne se vende pas, mais parfois ça ne marche pas ainsi. J’ai toujours voulu exercer un autre métier pour n’avoir pas à compter sur la vente de mes romans pour vivre. Il se trouve…qu’ils se vendent bien, alors je prends, mais…
- Quel qualificatif vous colle à la peau ?
Il faut demander à ceux qui m’aiment et à ceux qui me détestent. Je ne sais pas ce qu’ils diraient. Quant à moi, on y revient : révolté, peut-être ?
- Quelle est la meilleure phrase qu'un enfant vous ait dite ?
Les livres que vous écrivez vous ressemblent quand on parle avec vous en vrai.
- Quelle est votre définition du bonheur ?
L’absence totale de chagrin.
- Si vous aviez la possibilité de recommencer, que changeriez-vous ?
Tout. Mais vraiment tout. Ce serait idiot de vouloir revivre la même vie, celle que je connais. En revanche, il y a tellement de choses auxquelles je voudrais goûter ! Donc, je serais d’abord une femme, ensuite je vivrais ailleurs qu’en France, ça ce sont les deux éléments dont je perçois le changement immédiat et visible. Après……..les perspectives sont infinies…
- Enfant, quel genre de lecteur étiez-vous ?
Un grand lecteur. Je n’avais pas tellement le choix, vivant dans un village, sans télévision, sans possibilité de me déplacer ailleurs que dans les endroits accessibles à une bécane, ce qui limite l’aventure. En outre, dès l’enfance, j’ai réalisé que les livres étaient beaucoup plus intéressants et excitants que ma vraie vie.
- Vis-à-vis de quoi vous sentez-vous impuissant ?
La liste de mes impuissances serait impressionnante. Par exemple, ce matin je devais démonter un volet pour le repeindre et celui-ci, perché à cinq mètres du sol, pesait dix tonnes. Je suis resté impuissant. Evidemment, face à tout ce qui provoque ma révolte, dès que j’ouvre le journal, mon volet pèse peu, si je puis dire, et pourtant…Tiens, si j’avais rencontré votre ogre, je lui aurais demandé de décrocher ce foutu volet. Un ogre, c’est costaud, forcément car manger les enfants n’est pas à la portée du premier maigrichon venu. C’est ça qui est terrible : découvrir que ses propres impuissances sont des plaisanteries pour d’autres.
- Quel est l'animal auquel vous ressemblez le plus ? Pourquoi ?
A aucun. Ou alors à mes trois chats, à force de les avoir près de moi. Pourtant, je lis dans leurs yeux ce jugement impitoyable : « L’être humain est pour nous un objet d’incompréhension totale. »
- Quel est le mot que vous préférez dans la langue française ?
Je ne sais pas. En revanche je sais celui que je déteste le plus : argent. Même conjugué autrement, thune, pèze, pognon, dollar, euro, or, diamant, fonds de pension, placement, bourse, intérêts, cac 40, plus-value, richesse, pauvreté, smic, parachute doré, actions etc…, Je le déteste. Et les langues de tous les pays sont capables d’en aligner des mots pour désigner cette invention diabolique !
- Que souhaiteriez-vous que l'on retienne de vous ?
Il faudrait que je sois naïf et prétentieux pour imaginer qu’on retiendra quelque chose de moi. Ou alors, si vous voulez me laisser un espoir, qu’on retienne que je savais repeindre des volets, que j’y mettais bon cœur et bonne volonté, mais que mon impuissance à agir était immense.
Vos livres
- Quelle est votre dernière sortie pour la jeunesse ?
Sort fin août 2007, « Nous sommes tous tellement désolés » : éditions Thierry Magnier, puis en octobre « L’île aux chiens » : Gallimard. Côté adultes, en octobre aussi, « Je vais tuer mon papa » : Rivages
- Le(s) livre(s) dans votre production dont vous êtes particulièrement fier ou qui vous laisse(nt) un souvenir particulier ?
Il y en a beaucoup. Si, si, j’ai le culot de penser que j’ai écrit quelques excellents livres (mais j’en ai raté quelques-uns). Je cite, en vrac : Un été algérien, Retour à Ithaque, Bye Bye Betty, Souviens-toi de Titus, Un été 58, Le Ville de Marseille, Adieu mes jolies, Un jour avec Lola, Maboul à zéro, Echec et rap, Tu seras la risée du monde, Mais qu’est-ce qu’on va bien faire de toi, Ci-gît pour l’éternité, Nous sommes tous tellement désolés….Et je dois en oublier deux ou trois. Je vous avais prévenu, je ne la joue pas modeste. Et encore, je ne cite pas certains de mes romans policiers pour adultes (je les citerais tous, sauf…un !)
- Quel est le thème que vous aimez davantage traiter ?
Je ne choisis pas de traiter un thème quand je me lance dans un roman. Je choisis de raconter une histoire, celle qui me pousse dans mon bureau quatre heures par jour et je ne pense pas une seconde à aborder tel ou tel thème. Je découvre ceux-ci (si tant est qu’il faille découvrir un thème !!) à la lecture.
- D'où est né votre premier livre/ illustration ?
Bof. Oublions-le.
- Quel livre en littérature de jeunesse auriez-vous voulu écrire ou réaliser à la place d'un autre ?
Je ne lis quasi plus de livres de jeunesse depuis dix ans. Pour plusieurs raisons. D’abord, beaucoup me tombent des mains si j’essaie. Je ne peux pas m’empêcher de voir la fabrication « pour les enfants » et ça me crispe. Le côté artificiel me crispe. L’absence d’écriture me crispe. La recherche du thème, comme vous l’écrivez à la question précédente, me crispe. L’exploitation de la mode du jour me crispe. La pauvreté des constructions et du vocabulaire employé me crispe. La sensation que beaucoup de ces bouquins ont été écrits vite, durant les trois mois d’été, parce que les neuf autres mois sont utilisés à faire le tour des bibliothèques, des écoles etc…me crispe….
L’autre raison est que je ne veux pas savoir « ce qui s’écrit en ce moment pour les adolescents, ce qui marche ». Je me fiche de ce qui s’écrit « pour » les adolescents, de ce que les adolescents sont censés lire, d’après les prescripteurs, qui ont tous des tas de bons arguments à avancer…mais aucun ne me parait juste. Seul compte ce que moi j’ai envie d’écrire. La meilleure façon de ne pas entendre le chant des sirènes est de se boucher les... yeux.
- Sur quel projet travaillez-vous actuellement ?
Je termine un roman policier pour adultes.
- Où et comment vous voyez-vous dans 10 ans ?
Inch allah, disent les Marocains. Alors, inch allah.
Littérature de jeunesse
- Un livre pour la jeunesse qui vous a marqué petit ?
Il y avait peu de livres pour la jeunesse, mais je me souviens surtout de « Un bon petit diable », des Curwood, des London, des Dickens, de « Sans famille » qui me faisait pleurer et qu’est-ce que c’était bon de pleurer sur les malheurs de Rémy !…Je me souviens davantage des livres pour adultes dont la bibliothèque paternelle regorgeait et que je lisais souvent en cachette. Et, évidemment, la révélation « divine » de l’existence des polars américains de la Série Noire, à partir de 13 ans-14 ans.
Culture
- Un film, une photo/illustration qui vous touche ?
Des films qui me touchent ? Il y en a une belle quantité, ayant été un pilier de cinéma pendant ma jeunesse. En extraire un de l’impressionnante liste est injuste, tant j’ai éprouvé de si belles émotions dans les salles de cinéma. Le cinéma a été pour moi une autre révélation « divine », égale à celle du roman policier. Bon, c’est le jeu, alors tant pis, allons-y. Je n’oublierai jamais ce mouvement de tête de Rita Hayworth, dans « Gilda », qui disperse sa magnifique chevelure rousse, et le regard d’une sensualité meurtrière qui accompagne cette pluie de cheveux.
- Un musicien
Bien des musiques me mettent l’âme en charpie. Une simple chanson populaire peut me plonger dans la béatitude. Mais comme j’écoute peu de musique, faute de temps(écrire est incompatible avec écouter), une nouvelle découverte musicale remplace le coup de cœur précédent et ainsi de suite. Ma dernière découverte, écoutée en boucle dans ma voiture : Esma Redzepova chantant « Szelem szelem ». Je découvre aussi deux magnifiques textes de Abd Al Malik : « soldat de plomb » et « Il se rêve debout. »
- Un lieu où vous aimeriez vivre
Une immense maison, dans un pays du sud, remplie de milliers de livres. Des pièces fraîches, carrelées, dans lesquelles je me déplacerais pieds nus.
- Une phrase (une devise) qui vous guide
J’en propose deux : « Alors, teh, la première connerie qui vous passe par la tête, vous l’écrivez ? », phrase dite par un habitant du Vaucluse à Albert Camus qu’il regardait écrire. La seconde : « Un pied dans la tombe, l’autre sur une peau de banane », citation du peintre Juan Botas.
Actualité
- Vos dernières (bonnes) lectures ?
« Une simple affaire de famille » de Rohinton Mistry. « Cul de sac », de Douglas Kennedy. « Les chutes » de J.C. Oates.
- Un site (sur les techniques graphiques, un auteur-illustrateur, une approche particulière du texte, de la littérature...) que vous souhaitez recommander ?
Le mien, par exemple : http://jpnoziere.com
http://jpnoziere.com