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La Course, de Bologne à Bologne…

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Christine Morault
4 avril 2012


L’histoire de l’album de Cho Eun-Young, La Course, est une belle histoire, et c’est une histoire entièrement liée à la Foire de Bologne. C’était un projet exposé sur le stand coréen en 2009 et c’est maintenant le Grand Prix 2011 de la biennale de Bratislava qui s’expose dans cette édition 2012 de la Foire. Voici comment tout cela est arrivé :

Le stand collectif coréen a toujours été l’un des lieux les plus féconds de la Foire. Les professionnels du monde entier y trouvent, à côté des grandes maisons, des créateurs singuliers et des livres uniques, originaux, parfois encore à l’état de projets. Nulle part ailleurs on ne touche d’aussi près le foisonnement créatif d’un vivier inégalé de dessinateurs et de peintres, qui sont bien souvent les auteurs de leurs propres fictions. Un numéro de La Revue des livres pour enfants de La Joie par les livres (Bibliothèque Nationale de France), était largement consacré en juin 2011 aux albums coréens. Cette livraison a très bien rendu compte de l’histoire du livre illustré de ce pays, en établissant notamment des ponts entre l’art populaire, le manga coréen et cette étonnante profusion de talents.

 



Nous avions déjà édité l’artiste Gyong Sook Goh, grâce à Jaimimage, créative petite maison d’édition coréenne que nous avait présenté il y a bien des années Elisabeth Lortic, de l’association française des Trois Ourses. Mais c’est à Bologne, en 2009, que j’ai vu pour la première fois La Course, grâce à une très intéressante initiative de Jiwone Lee, historienne de l’art et enseignante à l’école de Design de l’Université de Séoul. Elle avait organisé avec l’Université et le soutien de la Korean Publishers Association, l’exposition de projets d’albums illustrés par ses étudiants du département illustration. Cette formation, très sélective, accueille pour deux ans une dizaine d’étudiants pour six professeurs. Sur de sobres étagères, une vingtaine de maquettes avaient été disposées, accompagnées d’un petit livret sur leurs auteurs. C’est bien la justification d’une Foire comme celle de Bologne que de permettre le croisement et la rencontre des talents nouveaux et de ceux qui ont pour métier de les reconnaître et de les éditer. Et les professionnels ont faim de ces opportunités neuves pour découvrir les futurs artistes du livre illustré pour la jeunesse.


 




 

J’avais remarqué deux maquettes : Un jour de Yoo Ju-Yeon et La Course de Cho Eun-Young. Un jour renouvelait de manière très moderne et audacieuse le lavis à l’encre de la peinture traditionnelle coréenne. Et c’est ce livre que nous avons décidé d’éditer en premier. Il fait partie aux éditions MeMo d’une série d’albums de créatrices coréennes, en premières éditions, suivies parfois par une édition dans leur pays. Le plus récent d’entre eux, La Soupe de maman baleine de Yana Lee vient de sortir en janvier 2012.
La Course m’avait frappé par sa puissance mais, sans doute un peu décontenancée par son thème et sa singularité, j’avais d’abord hésité à l’éditer. Très particulière, en effet, est l’histoire de cette petite fille, emmenée par son grand-père sur un champ de courses. Elle s’enchante de la beauté des chevaux, se prend de passion pour l’un d’entre eux mais découvre ensuite que seul compte l’appât du gain pour tous ces turfistes. C’est à la fois la perte de l’innocence de l’enfance et la première rencontre avec les tristes jeux des adultes que réalise cette petite fille lors de La Course. Mais elle reporte son amour des chevaux sur celui, en peluche, qu’elle tient dans ses bras dans la dernière image, une image à la fois mélancolique et d’une heureuse douceur.


 


 



Ce fut à l’occasion de la venue des éditions MeMo, invitées en mai 2009 par la Book Art Fair du Salon du livre de Séoul, par Jiwone Lee qui en était commissaire, que j’ai revu Eun Young et son projet. Dans une petite salle, Eun Young avait disposé tous les éléments de son livre. Et il ne s’agissait pas d’originaux classiques ! Tous les éléments y figuraient comme autant de pièces d’un puzzle : certains des motifs étaient peints sur papier, d’autres étaient peints sur des calques et c’était leur superposition qui donnait le mouvement fiévreux des chevaux et l’explosion de couleurs de La Course. Très impressionnante aussi la galerie de portraits des spectateurs et des parieurs sur les tribunes. D’authentiques « trognes », d’hommes surtout, croqués avec une justesse d’observation et un regard très peu commun sur la Corée populaire, bien loin de certaines adaptations plus classiques de contes traditionnels coréens. Pendant cinq ans, elle avait dessiné chevaux et parieurs sur des champs de course, fascinée par l’atmosphère qui y règne.

J’ai vu bien des projets en presque vingt ans d’existence de la petite maison d’édition que nous animons, avec Yves Mestrallet. Mais il est rare de voir un créateur s’affranchir aussi librement des représentations classiques du livre pour enfants. Et pourtant il s’agit bien d’un livre pour enfants, sa thématique fait écho à toutes les initiations au monde des adultes par lesquelles ils doivent passer. L’observation naïve des préparatifs d’une course de chevaux, l’enthousiasme pour ces magnifiques animaux, l’excitation folle avant la déception sont des émotions fortes. Elles sont traduites dans une alternance de grands traits de pinceau aux violentes couleurs et de portraits crayonnés au fusain, proches du roman graphique.


 



 

Nous avons édité cet album en 2010 avec une couverture tirée de l’un de ses carnets de croquis équestres. Il a été remarqué et soutenu par des libraires et de nombreux bibliothécaires. Il a également suscité l’admiration de grands professionnels du livre illustré mais sans atteindre des niveaux de vente très importants. C’est donc avec un plaisir particulier que nous avons reçu la nouvelle de l’honneur qui lui est réservé par la Biennale de Bratislava et à présent par la Foire de Bologne. C’est aussi, pour nous, la conscience renouvelée que nul ne peut jamais prédire, après bien des années d’édition, le destin d’un album et la mystérieuse alchimie de son accueil par tous ceux qui choisissent, distinguent ou tout simplement aiment les livres pour les enfants.




























 
 



Christine Morault

Fondatrice et éditrice des éditions MeMo

Cho Eun-Young