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La mort dans la littérature enfantine contemporaine en France

Alessandra Gianoli
1 janvier 1990

Le mal et le malheur existent. Faut-il à tout prix en tenir abrités les enfants?

Les préserver au chaud, à l’abri du malheur – et de la vie – aveugles, sourds, muets?



Claude Roy


Aborder la mort dans les livres pour enfants peut déranger les adultes pour différentes raisons : un sujet trop tristes pour les petits, trop loin de leur monde, trop difficile à expliquer.

En réalité, les enfants ont déjà développé leurs idées sur la mort : les plus petis pensent qu’il s’agit d’un moment passager, associé au voyage et au sommeil ; après ils ont tendance à l’identifier à un personnage imaginaire (le diable, une vieille femme...) ; à 9-10 ans, ils comprennent enfin que la mort est un événement définitif et la personne morte ne reviendra plus sur terre, mais pourra vivre dans un «paradis» selon les croyances.

En plus, les enfants connaissent déjà la mort : ils la voient tous les jours (au moins dans le journal télévisé), ils ont peut-être eu une expérience indirecte (la mort d’un grand-père ou d’un ami âgé).

Il est inutile de faire semblant que la mort n’existe pas. Et il est nuisible de ne pas répondre aux questions des enfants. Le silence fait plus peur qu’une vérité douloureuse, car la vérité douloureuse peut être acceptée et surmontée, tandis que le silence cache pleins de cauchemars dans l’esprit enfantin.

C’est pour briser ce silence que j’ai décidé d’écrire mon mémoire sur un sujet «dérangeant». Et j’ai découvert que plusieurs livres de jeunesse contemporains «parlent» de la mort. Plusieurs auteurs courageux dénoncent le silence et l’incapacité des adultes de
parler aux enfants de la mort.

Comme dans la vie, les livres présentent d’une part des enfants qui ont besoin de savoir, qui demandent, et de l’autre des adultes qui - trop lâches, trop souffrants et trop protectifs - ne savent pas quoi dire et souvent ne disent rien, en niant la parole.

Mais la médiation de la parole est très importante pour les plus petits, qui veulent comprendre ce qui se passe quand un ami ou un parent laisse cette vie, quand eux aussi ils la devront laisser.

Alors, si les parents et les éducateurs ne se sentent pas à même d’aborder la mort, ils peuvent toujours choisir un livre et le donner tout simplement aux enfants, qui trouveront dans les pages écrites les réponses qu’ils cherchent.



Comment la mort est traitée dans ces textes pour l’enfance? J’ai pris en considération certains aspects, dont je montrerai ici les résultats les plus intéressants, qui varient selon les différentes tranches d’âge des lecteurs.



La mort : thème central ou marginal ?


Il est plus probable que les romans dont l’intrigue est bâti sur le sujet de la mort s’adressent aux enfants un peu plus grands. Car les thèmes principaux de ces livres sont le deuil et la souffrance, la maladie mortelle, la représentation de l’enterrement, la recherche
d’une explication religieuse. Où est parti Baltus? de Derouin et Delafon met en scène la volonté de Victor de savoir «où est parti» son ami Baltus après sa mort : le livre devient une recherche de la signification de la mort, qui demeure un mystère pour les enfants (et
aussi pour les adultes!!).

Dans Le secret de Martin de Bechaux, la centralité du thème fait progresser l’histoire : le désir de découvrir la vérité sur la mort de son père pousse Martin à partir vers une ville qu’il ne connaît pas pour retrouver ses grand-parents. Une aventure pour découvrir la
triste vérité.

En revanche, les livres pour les plus jeunes présentent souvent des éléments qui les aident à comprendre la mort. Et qui aident les adultes (voire les écrivains) à aborder le sujet.

Agnès Desarthe utilise l’expédient d’un devoir qu’ Héloïse doit faire pour «la fête des pères» : une description de son père en forme de poème. La fille a des difficultés car son père est mort, alors elle demande l’avis de sa mère et enfin elle compose une très belle
poésie :



Papa

Mamie dit que tu es au ciel

Maman dit que tu penses à nous là où tu es

Moi je dis bonne fête papa

Au ciel

Là où tu es

Je pense à toi




Romans réalistes ou romans merveilleux ?



Le réalisme prévaut sur le merveilleux en suivant une tendance actuelle de la littérature de jeunesse et les préférences des enfants d’aujourd’hui.

Des personnages invraisemblables peuplent les livres pour les plus petits et aident à introduire et à réfléchir sur un thème si difficile. La Mort, in La petite fille et la Mort de Rodolphe, vient chercher un parent de Chloé mais il ne sait plus qui, alors elle demande
l’avis de la fillette. Le diable, in L’heureux gagnant de Ben Kemoun, rend visite à M.

Trumel et lui annonce qu’il a gagné un étrange «prix» : il saura que sa mort aura lieu dans trois jours, pendant lesquels il pourra voir réalisés tous ses désirs.

D’autres éléments fantastiques - rêves et voyages imaginaires dans d’autres mondes qui renvoient à d’autres types d’existence - se trouvent dans les romans où meure l’enfant protagoniste, comme Thomas et l’infini de Deon-Delessert et A la vie, à la... de Roger.



Qui meurt dans les livres pour enfants ?




Comme dans la vie réelle, la mort arrive à tout moment de l’existence : non seulement les grand-parents et les amis âgés s’en vont, mais aussi les parents et les enfants - ce qui est beaucoup plus difficile à accepter et à comprendre. Surtout car, aujourd’hui, avec les
progrès scientifiques et l’absence d’épidémies, la mort des jeunes est moins probable.

Des fois, les auteurs mettent en scène la mort d’animaux-compagnons des enfants pour s’approcher au thème. La grand-mère aux oiseaux de Coulonges traite l’amitié entre Brigitte et l’oiseau Fiérot, qui terminera ses jours sous les griffes d’un chat.

D’autres livres font réfléchir sur la mort sans qu’aucun personnage ne quitte ce monde.

Les filles ne meurent jamais de Solotareff raconte l’histoire d’amour de Jean et Gaële durant les vacances à la mer. La disparition soudaine de la fille fait croire à Jean qu’elle est morte.

Il vivra alors le deuil et la souffrance, jusqu’à l’année suivante, quand il découvrira qu’elle avait été tout simplement à l’hôpital, d’où elle est revenue en pleine forme.




Pourquoi les personnages meurent ?




Les personnages des livres pour enfants meurent pour des causes différentes, comme dans la vraie vie. Les causes les plus fréquentes sont les maladies, en particulier le cancer. Dans ces cas-là, la pudeur des auteurs leur empêche d’utiliser le mot «cancer», substitué par des
périphrases ou des métaphores (comme «la Vomille» in A la vie, à la..., qui renvoit au langage des enfants et au verbe «vomir», symptôme de la maladie). D’autres maladies nommées sont celles au cœur et l’Alzheimer, très actuel, et le Sida, thème encore plus tabou. Cristophe Honoré, in Tout contre Léo, traite avec simplicité et ironie le Sida et l’homosexualité du point de vue de P’tit Marcel, frère de Léo, malade d’une maladie qui ne laisse pas d’espoir.

Mais il y a aussi les causes accidentelles et provoquées. La drogue cause la mort de David, personnage d’Un pacte avec le diable de Thierry Lenain : David est un garçon sympatique et gentil que Roxanne rencontre par hasard ; mais il devient une autre personne sous l’effet de la drogue. Roxanne, s’étant attachée à lui, voudrait l’aider à s’en sortir, mais la fin tragique est assez proche.

Le suicide est un sujet aussi dur : Hélène Montardre, in Au bout du cerf-volant, l’évoque avec délicatesse. Après la mort du père, l’existence est difficile pour Mathieu, son petit frère et sa mère. Symbole de l’espoir dans la vie est un cerf-volant, protagoniste d’un film et d’un prix auquel participent les deux frères. Le cerf-volant qui repart toujours en s’envolant, comme la vie.



La vie en effet continue, doit continuer. C’est le message que les écrivains veulent transmettre aux enfants. Plusieurs sont les systèmes de consolation : l’espoir religieux (lié à l’existence d’un «paradis»), l’espoir laïque (les choses positives de cette vie et les souvenirs de la personne morte), l’espoir laïque associé à la croyance dans un au-delà, à la possibilité de communiquer encore avec les âmes des morts.
Parler aux enfants de la mort, donc, pour leur faire apprécier la vie!

Alessandra Gianoli





Bibliographie




Textes abordant le sujet de la mort utilisés pour l’analyse :




BECHAUX C., Le secret de Martin, Paris, Bayard, Envol, 1998


BEN KEMOUN H., L’heureux gagnant, Paris, Castor poche Flammarion, 1996


BRUN-COSME N., La maison des trains, Paris, Ipomée-Albin Michel, 1995


CHERER S., Une brique sur la tête de Suzanne, Paris, L’Ecole des Loisirs, Neuf en poche, 1992


COULONGES G., La grand-mère aux oiseaux, Paris, Presse Pocket, 1996


DEON M. ; DELESSERT E., Thomas et l’infini, Paris, Gallimard, 1995


DEROUIN C. ; DELAFON M., Où est parti Baltus ?, Paris, Editions Brepols, Collection Explique-moi, 1997


DESARTHE A., La fête des pères, Paris, L’Ecole des Loisirs, Mouche, 1992


GUDULE, La vie à reculons, Paris, Hachette jeunesse, Le livre de poche, 1994


HASSAN Y., Un grand-père tombé du ciel, Paris, Casterman, 1997


HASSAN Y., Momo, petit prince des Bleuets, Paris, Syros jeunesse, 1998


HONORÉ C., Tout contre Léo, Paris, L’Ecole des Loisirs, Neuf, 1996


LE BOURHIS M., Le silence des ruches, Paris, Castor poche Flammarion, 1998


LENAIN T., Un pacte avec le diable, Paris, Syros, Collection Les uns les autres, 1993


LENAIN T., Un marronier sous les étoiles, Paris, Syros, Souris rose, 1998


MAUFFRET Y., Le bonzaï et le séquoia, Paris, Epigones, Myriades, 1994


MOKA, Thomas face-de-rat et Amélie Mélasse, Paris, L’Ecole des Loisirs, Mouche de poche, 1994


MONTARDRE H., Au bout du cerf-volant, Paris, Rageot, Cascade, 1992


MOREL R., Un kilo d’oranges, Paris, Hachette jeunesse, Le livre de poche, 1989


PEREZ S., Comme des adieux, Paris, L’Ecole des loisirs, Médium, 1996


RODOLPHE, La petite fille et la mort, Paris, Magnard, Les p’tits fantastiques, 1998


ROGER M. S., A la vie, à la..., Paris, Pleine lune, Nathan, 1998


SMADJA B., Maxime fait des miracles, Paris, L’Ecole des Loisirs, Mouche, 1992


SOLOTAREFF G., Les filles ne meurent jamais, Paris, l’Ecole des Loisirs, Médium, 1998


VERMOT M. S., La fin d’un été, Paris, Castor poche Flammarion, 1995


VERMOT M. S., Les volets clos, Paris, Editions de Seuil, 1996


VERMOT M. S., Une vie à part, Paris, L’Ecole des Loisirs, Médium, 1997


DESARTHE, Agnès, La fête des pères, Paris, L’Ecole des Loisirs, 1992 : pp. 87-88.






Alessandra Gianoli vient de soutenir son mémoire de maitrise en Langues et Littératures Etrangères (français et anglais).

Le titre du mémoire, en langue française, est "La mort dans la littérature enfantine contemporaine en France".

Elle a aussi passé un semestre à l'Université de Nanterre-Paris X en 1998 dans le cadre du projet Erasmus-Socrates.
e-mail : [email protected]