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Le BD : une lecture plurielle

Vanessa LEVEQUE
1 janvier 1990



PARCOURS PROFESSIONNELS POUR LA LECTURE DE JEUNESSE



Rencontre

Mercredi 12 janvier 2005

16h15-17h15





Animatrice : Corinne ABENSOUR, maître de conférences à l'Université Paris XIII


Intervenants :

- Gwen de Bonneval, auteur et illustrateur de BD (Samedi et dimanche, Basile Bonjour…), il dirige le magazine Capsule cosmique, publié depuis 2003 aux éditions Milan.

- Benoît Marchon, responsable de la bande dessinée chez Bayard Presse. Il est chargé de recruter des auteurs et de piloter leur travail pour remplir les pages BD des différents magazines qu'il dirige, et en particulier J'aime la BD ! Ce dernier est entièrement consacré à ce genre.

- Emmanuel Proust, il a fondé sa propre maison en 2002 grâce à l'appui de La Martinière. Il a commencé en rachetant les droits des différentes oeuvres qu'il avait créées chez Hachette Livres, et notamment les séries Petits Meurtres et Atmosphères. Il a ensuite développé trois nouvelles collections (Trilogies, Agatha Christie et Ciné9). Il aime adapter des œuvres littéraires (et en particulier des auteurs de polars comme James Elroyd) ou demander directement à des romanciers d'écrire de la BD sur des thèmes d'actualité. Il a édité la célèbre Auschwitz, bande dessinée très controversée qui a néanmoins obtenu de nombreux prix.






Cette rencontre portait sur la lecture de la BD dans les écoles (du primaire au lycée) : quels auteurs choisir ? Comment étudier ces œuvres ? Quel intérêt cela apporte-il aux élèves ? Autant de points prévus au programme.



La bande dessinée est en effet un médium à part entière, sur lequel on peut proposer des analyses comparables à celles de la littérature. Ce genre offre une grande richesse car les publics et les sujets abordés sont multiples et chaque œuvre est quasiment unique. La distinction reste cependant à faire entre la BD marketing et la BD d'auteur.

Emmanuel Proust a parlé à ce propos de " littérature dessinée ". Il souhaite par cette expression faire réfléchir sur la place du dessinateur, qui n'est pas un simple illustrateur comme en jeunesse, car il fait passer des messages forts dans ses planches.
Benoît Marchon contestait ce terme, car il rattachait la BD à la littérature, qui appartient à un univers différent. Pour lui, la bande dessinée est un art qui possède une narration spécifique et très riche, le texte étant appuyé par l'image. Emmanuel Proust a donc trouvé l'expression " narration dessinée ".



La discussion s'est poursuivie sur l'aspect créatif de la BD, qui se rapproche de la création telle qu'on la connaît en littérature jeunesse.

Cette similitude s'est malheureusement révélée néfaste pour la BD, qui a été déconsidérée des adultes. Pour acquérir ses lettres de noblesse, elle s'est donc tournée vers un public plus âgé, en délaissant les enfants.

Aujourd'hui encore, les BD jeunesse restent des travaux stéréotypés où il est dur de faire de la création. Quelques auteurs adultes se lancent néanmoins dans la BD pour enfants, soutenus par des petites maisons d'édition, comme celle d'Emmanuel Proust. En effet, de nombreuses maisons se sont créées pour changer cette évolution de la bande dessinée en donnant leur chance aux jeunes auteurs et à ceux qui veulent faire découvrir une autre BD aux enfants. Ce changement est aussi soutenu par les magazines, nouveau vecteur de transmission de la bande dessinée.






Les adaptations d'œuvres littéraires sont un bon moyen de faire découvrir la lecture aux enfants. Emmanuel Proust, qui a été amené à adapter des auteurs comme Agatha Christie en BD, nous a ici fait part de son expérience. Il explique que certains romanciers sont plus faciles que d'autres à mettre en images, car leur style s'y prête bien. Le but de ces adaptations est de construire un véritable échange entre le texte et le dessin, en croisant des œuvres de littérature populaire ou des policiers avec la narration propre à la BD.



A ce stade de la discussion, Corinne Abensour a essayé de rediriger le débat vers le thème initialement prévu, en demandant aux intervenants quelles bandes dessinées ils conseilleraient aux professeurs.

Benoît Marchon s'est tout d'abord montré sceptique quant à l'intérêt d'étudier la BD à l'école. En effet il trouve que c'est une lecture extraordinaire et facile d'accès, vers laquelle les enfants se tournent assez spontanément. Il aimerait donc qu'on leur laisse profiter de ce domaine, sans leur imposer de titres ni de médiateur, car cela risquerait de les dégoûter.

Tout un débat est alors parti de cette idée. Gwen de Bonneval estimait en effet que l'école a évolué et s'est ouverte au monde. Il est donc normal que les enseignants cherchent à faire découvrir aux élèves des titres autres que ceux qui sont hyper médiatisés. De plus, être dans la liste des ouvrages préconisés par le ministère de l'éducation nationale peut permettre à des auteurs de se faire connaître ou de leur donner une seconde vie.

Pour Gwen de Bonneval, la réponse la plus adaptée à la question " quelles BD faire lire aux enfants ? " se trouve dans les nombreux magazines consacrés à ce genre. Ils présentent en effet des histoires courtes et variées (et pas seulement des extraits comme dans certains manuels scolaires) ce qui permet d'étudier des œuvres diverses sans couper la narration.

Emmanuel Proust, lui, n'avait pas de titres à donner en particulier aux professeurs, mais un simple conseil : celui d'aller dans les librairies voir les BD, les feuilleter pour en choisir une qui leur plait à eux. Il pense en effet qu'on parle mieux de ce qu'on aime bien.

Il a ensuite précisé que les BD tirées d'adaptations sont souvent choisies par les professeurs pour être étudiées en classe, car elles permettent de faire des comparaisons entre les deux œuvres, voire avec l'adaptation cinématographique si elle existe. De plus, il expliquait qu'elles peuvent permettre aux enfants de découvrir l'univers des romans après celui des BD, si l'adaptation leur a plu.

Benoît Marchon a rebondi sur ce sujet en parlant de Je bouquine, un des magazines qu'il pilote. Un roman littéraire y est adapté chaque mois, complété par un dossier sur l'œuvre et son auteur.

Néanmoins, il ne faut pas réduire la BD à un accès à une littérature plus complexe. La bande dessinée peut certes permettre de confronter les points de vue, de lancer des débats, etc. mais c'est aussi une œuvre elle-même avec toute sa richesse. Il est donc intéressant de l'analyser aux deux niveaux.

Un des principaux problèmes est que les enseignants ne s'y connaissent généralement pas : il est très difficile pour eux de savoir quelle BD adresser à quel public. Ce à quoi Gwen de Bonneval répond qu'une bonne bande dessinée jeunesse doit pouvoir être lue par tous, y compris par les adultes, sans qu'ils s'ennuient.






Un débat a alors été lancé avec les enseignants présents dans la salle.
Les professeurs expliquaient qu'ils voulaient faire découvrir aux enfants autre chose que Titeuf, mais qu'eux-mêmes manquaient de formation. Ils aimeraient donc être guidés dans leurs choix par les éditeurs, afin de découvrir les œuvres d'art qui se cachent dans certaines bandes dessinées. Leur but n'est pas non plus de couper les enfants de la BD qu'ils connaissent : ils souhaitent seulement compléter ce panorama en abordant ce genre de façon ludique, sans dégoûter les élèves.
Pour cela, ils créent entre autres des partenariats entre les professeurs de français, d'arts plastique, d'histoire… chacun abordant un des aspects de l'œuvre. Les invités ont été très étonnés car ils ne pensaient pas que leurs ouvrages pouvaient être étudiés ainsi. Le reste de la rencontre a donc été un échange entre professeurs et éditeurs, où chacun faisait découvrir à l'autre son point de vue.

Un gros problème a été soulevé à plusieurs reprises par la salle : celui du coût des BD. En effet, les écoles ont des budgets très limités et ne peuvent pas se permettre d'acheter des ouvrages pour tous les élèves, et les parents rechignent de leur côté à fournir à leurs enfants des BD comme support de cours. Cette question matérielle freine donc l'étude des bandes dessinées dans les écoles, ce que les professeurs trouvent navrant.