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Lecture : l'importance de la communication orale

Paul Dupouey
10 octobre 2008

Professeur d’Anthropologie éducative à l’Université des Baléares, auteur de plusieurs publications scientifiques et de romans dont deux traduits en français (Actes Sud et Fédérop) Gabriel Janer Manila a prononcé la conférence inaugurale du XXIIème Séminaire international de pédagogie sociale « Société Educatrice, société lectrice » qui s’est récemment tenu à Cuenca (Espagne) à l’initiative de l’Université de Castille.


Alors que le livre d’enfance et de jeunesse semble avoir désormais trouvé sa place dans notre société, comment expliquez-vous la part encore importante de jeunes qui ne lisent pas ?

C’est une partie encore très importante et qui me préoccupe beaucoup. Je pense en effet que ne pas lire est à la fois la traduction et un facteur de marginalisation.



Mais, en fait, le nombre de jeunes qui lisent croît. Et tous les jours. Les chiffres le montrent dans un grand nombre de pays. Et tous les jours il y a plus de personnes impliquées dans la promotion, dans la motivation, dans le travail de faire aimer la lecture. Il y a de plus en plus de médiateurs. La présence de ces médiateurs est déterminante.



Et leur formation un facteur essentiel. De nombreuses universités multiplient les diplômes dans ce domaine en Espagne, au Portugal et en Amérique latine. Des pays longtemps sous-développés, comme la Colombie, le Mexique ou encore le Chili développent actuellement de telles formations et connaissent, de fait, une progression importante de la lecture chez les jeunes.



Comment expliquer toutefois, le maintien voire le retour d’une bas non lectrice dans nos pays de vieille tradition culturelle et malgré le développement de l’offre éditoriale et de nombreux équipements de type bibliothèques, médiathèques ?

Il y a une relation démontrée avec l’échec scolaire. C’est un problème très difficile qui dépasse donc celui de la seule lecture. Je constate notamment que tous nos systèmes scolaires ont été pensés à une époque où ils devaient former un petit nombre, par ailleurs très soutenus par leur milieu et finalement destinés à devenir une élite, même lorsqu’il s’agissait de projets éducatifs progressistes comme celui de notre Seconde République espagnole. La massification, dont on ne peut d’une certaine façon que se réjouir, confronte l’éducation à un problème nouveau. Même au niveau universitaire, il y a des groupes qui se détachent, qui n’ont pas de pratiques courantes de lecture.



Mais au-delà, il y a bien sûr un problème de société, l’échec d’une société, d’une collectivité qui n’apportent plus de réponses aux questions que se posent les gens et les jeunes en particulier. Cela a toujours été un peu le cas, bien sûr, mais il me semble que c’est davantage encore le cas aujourd’hui.



Comment réagir ?

L’oralité me paraît fondamentale.



Dans mon introduction au Colloque de Cuenca, je me suis permis d’insister, presque paradoxalement, sur l’importance de l’oralité. La motivation pour la lecture suppose un intérêt pour la fiction, un éveil préalable de l’imaginaire, un goût pour la parole comme forme poétique. Nous devons créer au fond de notre imagination, de notre intelligence la capacité de créer, d’imaginer continuellement des voix qui chantent, qui content, qui expliquent. Si nous savons créer ces voix que les adolescents veulent écouter, ils iront naturellement à la lecture.





On évoque parfois une nouvelle « civilisation de l’image ». Pensez-vous qu’il y a trop d’images qui introduiraient une facilité par rapport à l’effort de lecture ?

Oui et non. D’un côté, on ne peut que stigmatiser l’extraordinaire standardisation et donc appauvrissement de l’imaginaire au niveau de la planète dont est responsable, par exemple , Disney. Mais il y a aussi de très grands illustrateurs et de très grandes illustrations qui développent magnifiquement l’imaginaire. Le problème est que, peut-être, l’illustration en vienne à primer sur le texte. Une foire internationale du livre d’enfance et de jeunesse comme celle de Bologne me paraît devenir surtout une foire des illustrateurs.



Je crois que l’essentiel reste la parole. La meilleure illustration me paraît être celle qui stimule la parole, qui favorise le développement du langage.



Vous ne craignez pas le déluge de fiction dans lequel baignent aujourd’hui les jeunes ?

Ce déluge est en effet un désastre. C’est le rôle des médiateurs de se convertir en filtres, en responsables de filtration de ce flot fictionnel pour en ressortir le meilleur à l’intention des jeunes.



Mais la question est complexe. Certes, l’accès à la fiction n’est pas le seul objectif de la lecture, il y a aussi la citoyenneté. Mais je crois la fiction très importante pour l’accès à la littérature. Et c’est la littérature qui permet, mieux que d’autres, de transmettre des valeurs morales capables de fonder la citoyenneté.



Je constate aussi que beaucoup de ces jeunes qui ont dû mal à lire ont aussi du mal à écouter une histoire, et souvent, tout simplement, à s’exprimer eux-mêmes.



Or, entendre une voix, c’est entendre une parole qui vient d’un corps, d’une personne parfaitement réelle, c’est entendre un narrateur, une parole incarnée. C’est essentiel pour la vérité dans la transmission. Et l’on revient ici à la communication littéraire orale, à la communication orale dont je suis, je le répète, un grand défenseur.



Mais le fait de devenir un lecteur ne relève pas de la seule responsabilité de l’école. L’environnement familial et tout l’environnement sociétal sont tous aussi importants.



Dès son plus jeune âge, l’enfant doit entende des mots, des paroles, que ce soit à travers des chansons, des poèmes populaires, des comptines, des contes, tous moyens où la parole se révèle être un instrument de jeu mais aussi un moyen de communication. L’important est donc de ne pas avoir une conception trop scolaire ou académique de la lecture.



Les médiateurs savent-ils le faire ?

Si on les y prépare, si on les y aide.



Comment ? Quelles pistes proposez-vous pour cette formation très particulière ?

Mais j’insiste sur le fait qu’il faut le vouloir. Il ne suffit pas de mettre à la disposition des enfants et des jeunes des ouvrages dans des centres de documentation ou des bibliothèques très bien faites Toute éducation est une intervention. Il ne faut pas avoir peur de vouloir intervenir sur l’enfant pour sa construction. Nous devons tous considérer comme un devoir de contribuer à la construction du futur lecteur mais en sachant que cela passe d’abord par la parole.