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Lisez jeunesse !

La littérature jeunesse fait débat !

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François Busnel
4 janvier 2011

Danièle Sallenave sort un ouvrage que tout parent devrait offrir à ses enfants. Elle nous explique pourquoi on écrit des romans.

Je dois l'avouer, je n'ai jamais cru aux vertus de ce que le monde de l'édition appelle la "littérature jeunesse". Sans doute est-ce une tare, mais ce "secteur" m'est toujours apparu comme une invention marketing destinée à écouler une production souvent mièvre et à soutenir des maisons en mal de chiffre d'affaires. Je n'en accable ni les éditeurs ni les lecteurs, mais ma propre incapacité de me plonger avec délice dans des versions expurgées de chefs-d'oeuvre dits "classiques" ou des resucées plus ou moins niaises de textes que l'on gagnerait à faire lire dans leur version originale. Qui décide qu'un roman doit être lu "à partir de 8 ans", "10 ans", "12 ans" ? Absurde coutume, qui contribue à lisser la curiosité - et à l'éteindre ! Pour le dire autrement, il faut donner aux jeunes des lectures qui ne sont pas de leur âge. Jack London, Robert Louis Stevenson, Jules Verne, Alexandre Dumas, Homère ou Tolkien, mais aussi Balzac, Stendhal, Maupassant, Simenon ou Graham Greene ne sont pas de si mauvais maîtres. Ajoutons Frédéric Dard, Rabelais et quelques autres factieux.

Il y a, bien sûr, des exceptions. En voici une. Danièle Sallenave vient de publier un petit livre que tout parent devrait offrir à ses enfants. Elle y explique, avec finesse et humour, pourquoi on écrit des romans. Anne écrit (à la main). Ses neveux, 6, 9 et 16 ans, font irruption dans la pièce et la bombardent de questions : Pourquoi écrit-on ? A quoi sert une histoire ? Comment sait-on qu'elle est réussie ? L'inspiration remplace-t-elle le travail ? Un roman dit-il la vérité ? Qu'est-ce qu'un personnage ? Un écrivain est-il simplement un auteur ? Quel est le rôle d'un poète ? Faut-il se servir de soi-même pour écrire ? Et la grammaire, dans tout cela ? Autant de questions que feraient bien de se poser certaines grandes personnes lorsqu'elles se piquent d'écrire un roman. Danièle Sallenave communique avec bonheur son plaisir de lectrice et d'écrivain. Iconoclaste, elle détricote les idées reçues en citant quelques illustres complices. Ainsi Maxime du Camp rappelant que son ami Flaubert "disait que le style et la grammaire sont choses différentes ; il citait les plus grands écrivains qui presque tous ont été incorrects, et faisait remarquer que nul grammairien n'a jamais su écrire". Revigorant !

par François Busnel
( L'Express – mercredi 24 novembre 2010 - http://www.lexpress.fr)

Danièle Sallenave, Pourquoi on écrit des romans, Gallimard Jeunesse Giboulées 2010, 10,50 euros.

Lisez (de la littérature jeunesse) François Busnel !
Cher François Busnel...
La littérature jeunesse, estimez-vous dans l'une de vos chroniques, vous apparaît comme "une invention marketing destinée à écouler une production souvent mièvre et à soutenir des maisons d'édition en mal de chiffre d'affaire." Face à une telle affirmation venant de l'un des acteurs les plus importants de la vie littéraire dans les média, nous sommes nombreux à osciller entre l'irritation et l'envie de vous inviter à boire un verre (mais certainement pas un chocolat, invention marketing destinée à attirer une clientèle mièvre dans les cafés en mal de chiffre d'affaire) pour vous éclairer. A la réflexion, cette deuxième option sera la mienne, partant du principe que l'ignorance est dans bon nombre de cas, et dans le vôtre je l'espère, chose réversible.

Plusieurs postulats trahissant votre méconnaissance en la matière émanent de votre chronique. La littérature jeunesse ne serait constituée que de classiques abrégés et de "rescucées plus ou moins niaises de textes que l'on ganerait à faire lire dans leur version original". Et d'ajouter que nos chers enfants devraient lire « des lectures qui ne sont pas de leur âge » (sic) telles London, Verne, Stevenson, Dumas, Maupassant, Simenon, etc.

A ce stade, je me permettrais de vous poser quelques questions : pourquoi faites-vous le métier que vous faites ? Pourquoi lisez-vous et chroniquez-vous chaque semaine de la littérature contemporaine écrite par des écrivains vivants et destinés à des adultes ? Pourquoi ne vous contentez-vous pas de relire Racine et Maupassant et d'inviter vos lecteurs à en faire de même ? Au nom de quoi les enfants et adolescents devraient-ils être privés du regard et de la voix d'auteurs contemporains tandis que leurs aînés y ont droit ? Pourquoi, tant que vous y êtes, ne pas arrêter la création en BD et se contenter d'Astérix et de Tintin ? (Adieu Johann Sfar, adieu Marjane Satrapi, adieu Riad Satouf, adieu tous vos camarades. N'essayez pas de raconter le monde, Hergé et Goscinny l'ont fait avant vous.) Pourquoi continuer à écrire des polars et ne pas simplement relire Agatha Christie ? Et enfin, parmi les livres « pour adultes » que vous recevez chaque semaine, combien de grands livres ? Et combien de livres édités avec l'imprimatur des services marketing de telle ou telle maison en mal de chiffre d'affaire ?

Soulignons que votre opinion sur la littérature jeunesse en général figure en ouverture d'une chronique élogieuse consacrée à un livre de Danièle Sallenave, contre-exemple selon vous de cette pseudo-littérature indigeste qui encombre les rayons des libraires et les esprits si mal nourris de nos jeunes. Soit. Mais pourquoi alors ne pas commencer chacune de vos chroniques sur Philip Roth ou James Ellroy par « parmi les nombreux livres creux, prétentieux, inintéressants et stupides qui se publient chaque semaine, j'ai choisi de vous parler de celui-ci, qui ne leur ressemble pas » ?

La littérature dite « jeunesse » est un espace de création où des écrivains (et parfois des "faiseurs", mais ni plus ni moins qu'ailleurs) interrogent la perception si singulière que les enfants et les adolescents ont de la vie et du monde, en s'adressant à leur intelligence et à leur sensibilité, à leur humour -qui fait défaut à tant d'adultes, et à leur curiosité. Avec les mêmes outils que les autres écrivains et poètes (les mots, simplement les mots, sans sucre, sans guimauve, sans petits noeuds roses) ils s'emparent des sujets éternels que sont l'amour, la mort, la guerre, l'amitié, l'ambition, la trahison, la perte, le rêve, pour tenter d'en cerner les contours avec une voix qui cherche à retrouver l'intensité des premiers regards, des premières émotions et du "temps perdu". Nier cela, c'est nier aux enfants et aux adolescents la place et le respect qui leur reviennent, auxquels ils ont tout autant droit que vous ou moi. Quelle différence alors avec les auteurs « pour adultes » ? pourriez-vous rétorquer. Eh bien, la même que celle qui existe entre une sonate, un concerto et un opéra : jamais qualitative, toujours formelle.

Comme un certain nombre de mes camarades, j'écris des livres pour la jeunesse, pour adultes, des traductions et des scénarios. Je n'établis et n'établirai jamais de hiérarchie entre ces genres, ou ces formes, qui me permettent d'explorer différentes facettes d'un même matériau que l'on nomme la "réalité". Et si à ce stade vous décidez d'allez prendre un verre ailleurs, j'espère de tout coeur que vous y croiserez (au hasard, car la liste pourrait être très longue) les compagnies éclairantes de Joyce Carol Oates, Christophe Honoré, David Grossman, Claude Ponti, Ahmed Kalouaz ou le fantôme de ce cher Lewis Caroll, qui vous murmurera peut-être, (autour d'un excellent scotch), combien il est dommage de ne pas savoir saisir la fiole sur laquelle il est écrit « Buvez-moi »...

Bien à vous.
par Valérie Zenatti
( vendredi 10 décembre 2010 )

COMMENTAIRES :

- Dominique Bry ( vendredi 10 décembre 2010) :
Je ne comprends pas François Busnel. Qu'il ne croie pas "aux vertus de ce que le monde de l'édition appelle la 'littérature jeunesse' ", passe encore. Qu'il trouve la "production souvent mièvre" me conduit à me demander ce qu'il pense de la bande dessinée...

François Busnel confesse sa propre "incapacité de se "plonger avec délice dans des versions expurgées de chefs-d'oeuvre dits "classiques" ou des resucées plus ou moins niaises de textes que l'on gagnerait à faire lire dans leur version originale" (sic). Et n'accable ni les lecteurs, ni les éditeurs. C'est gentil de sa part. Il ne manquerait plus qu'il méprise les lecteurs pour avoir des goûts qu'il ne partage pas. Et juge les éditeurs au passage. Editeurs qui le font vivre puisque sans livre, point de chronique de Monsieur Busnel.

Le salon du Livre et de la presse jeunesse de Montreuil vient de fermer ses portes et a accueilli près de 150 000 visiteurs du 1er au 6 décembre dernier. J'ai visité le salon : auteurs, dessinateurs, scénaristes et visiteurs n'avaient pas l'air de trouver cela "mièvre". J'ai beaucoup aimé le regard des enfants qui découvraient les livres présentés, exposés, vendus sur place. J'ai beaucoup aimé la démarche des instituteurs et des professeurs qui ont emmené leur classe pour aller à la rencontre des livres. J'ai parlé avec des auteurs et des dessinateurs qui m'ont expliqué leurs difficultés de vivre de leur passion. J'ai parlé avec de petits éditeurs qui ne publient que quelques livres par an et qui veulent également exister au milieu des majors.

Comme chaque année des prix ont été remis lors du salon, et les lauréats de 2010 s'appellent Isabelle Bournier et Jacques Ferrandez pour Des hommes dans la guerre d'Algérie, Ghislaine Herbéra pour Monsieur cent têtes, Christophe Honoré et Gwen Le Gac avec La Règle d'or du cache-cache, Hélène Rajcak et Damien Laverdunt avec Petites et grandes histoires des animaux disparus, Bruno Gibert et son Petit Gibert illustré, Patricia Geis pour La Petite Galerie de Andy Warhol...

Autant de "mièvreries" et de "resucées" qui permettront aux petits et aux grands de parcourir coupures de presse, images d'archives, témoignages d'intellectuels et de chercheurs, photographies, affiches d'époque sur la guerre d'Algérie, d'approcher l'univers d'Andy Warhol, de jouer avec les mots et dénicher la poésie qui en émane, ou découvrir le Dodo, le dauphin de Chine, ou l'élephant nain de Sicile, Danièle Sallenave, selon Monsieur Busnel "communique avec bonheur son plaisir de lectrice et d'écrivain". Monsieur Busnel, lui, communique.

- Christine Marcandier-Bry ( vendredi 10 décembre 2010 ) :
"Je songe parfois aux critiques littéraires, qui lisent pour avoir lu. Comme sur la liste de l’école en début d’année, lorsqu’ils ont lu un livre, ils en ont un de moins à lire. Ils ne lisent pas pour oublier ce qu’ils ont lu, ce qui est le meilleur moyen de se souvenir de ce qui vous a touché, mais pour décider de ce qu’ils vont en dire. Avec ou sans crayon dans la main, ils élaborent leur commentaire. L’ennui doit sembler normal : lire est leur métier. Mais surtout, à tant lire, à tant chercher à débusquer l’insolite, le singulier, l’ex-ceptionnel, comment trouvent-ils les mots pour transmettre l’envie de lire à des lecteurs qui n’ont ni la même exigence, ni la même ambition, ni la même unité de mesure ?"
(Ellen Willer, Le garçon qui ne pouvait pas voir les livres en peinture, L'Ecole des Loisirs, 2007, "Medium").

- Coquecigrue ( vendredi 10 décembre 2010 ) :
Il y a bientôt quarante cinq ans naissait une collection de romans pour adolescents qui portait le nom de "Plein Vent".
André Kédros, écrivain grec de langue française pour adultes, dont les romans exploraient l'histoire sociale et celle de la résistance grecque à laquelle il avait participé, avait aussi écrit pour la jeunesse quelques romans publiés surtout chez "Rouge et Or" sous le pseudonyme de André Massepain.

Sous ce même pseudonyme, il créa cette collection qui vivra jusqu'en 1987 et donnera le jour à plus de deux cent titres dont un certain nombre écrits par des auteurs de littérature adulte, conçue selon le principe suivant : "L'adolescent a sa psychologie, ses problèmes, ses centres d'intérêt. En tenir compte ne veut pas dire faire du didactisme. c'est demeurer responsable, aller à la maturation, comme un jardinier, c'est maintenir l'intérêt de l'adolescent pour la littérature. En somme, tous les livres de qualité pour les adolescent devraient pouvoir être lus avec intérêt par les adultes. Le contraire n'est pas vrai."

Prolongeant ses principes, je défends depuis 25 ans l'idée que ce qui n'apparaît pas dans la littérature "des grands" et qui reste nécessaire à la formation intellectuelle et psychologique de l'adolescent, c'est la gestion du passage à l'âge adulte, dans une société où pour bien des raisons dont certaines sont excellentes par ailleurs, il n'existe presque plus de rites de passage. Même les romans adultes où apparaissent un héros dont on narrera l'enfance et l'adolescence verront les interrogations particulières de celui-ci au moment de l'entrée dans l'âge d'homme exposées sous le prisme de ce qu'il nous sera raconté de sa maturité.

Ce n'est pas le cas d'un bon roman jeunesse. Celui-là s'attachera au contraire à raconter comment la prise de conscience de la difficulté d'assumer les responsabilités que la société impose à l'adulte se dessine, se construit et finalement se dépasse avec une netteté et une force de transmission qu'on ne retrouvera nulle part ailleurs. La
jeunesse demande aussi d'être traitée comme un sujet en soi, et ne pas offrir à l'adolescent un univers littéraire où il peut se reconnaitre, faire face a des problématiques qui sont les siennes et pas celles des adultes, c'est risquer de n'avoir aucune chance d'en faire jamais un lecteur. Voulez-vous donc que seuls quelques jeunes issus d'un milieu favorisé et cultivé se découvrent lecteurs ? Et encore, j'en connais beaucoup qui, de ces jeunes générations toutes privilégiées qu'elles soient, mais qui ont de quoi occuper leurs journées solitaires à autre chose que le livre (ce qui n'était pas notre cas, souvenez-vous en) en oublient d'aimer lire...

Je ne reviens donc pas sur ce qu'ont dit tant la rédactrice de l'article que les commentateurs ci-dessus, j'ajouterai simplement : M. Busnel, votre ignorance de ce qu'est la littérature jeunesse n'est pas seulement regrettable pour ce qu'elle a d'infiniment désagréable à tous ceux qui y travaillent et réfléchissent depuis plus de 50 ans. Elle vous entraîne à scier la branche sur laquelle vous êtes assis. Quand vous n'aurez plus de lecteurs, M. Busnel, que ferez-vous donc ?
par Hélène Ramdani, éditeur jeunesse aussi.

- Pierre Ferron ( samedi 11 décembre 2010 ) :
François Busnel est "l'un des acteurs les plus importants de la vie littéraire dans les media "? Je comprend le malaise de "la vie littéraire". Je l'entend tous les soirs sur France-Inter ("Cinq-sept boulevard", de l'excellent - lui - Philippe Collin). Soporifique. Je coupe le son pratiquement tous les soirs. Il faut un invité exceptionnel pour que l'émission prenne une tournure intéressante.

Busnel semble avoir en main une fiche en bois où sont gravées les questions, toujours les mêmes, à la surface. Une sorte de bureaucrate du journalisme. Il semble même parfois qu'il considére que "la vedette" dans son émission, c'est lui, pas l'invité(e), qui serait une sorte de faire valoir. Tellement banal dans le PAF actuel me direz-vous. Oui, et tellement dommage.

Qui saurait ressusciter l'esprit de Kriss, qui savait s'intéresser à tout et à tous, et nous en transmettre l'âme ? Qui saurait nous faire revivre la pertinente impertinence de "L'oreille en coin", ou la malice de José Artur ?

Et pour le "purement littéraire", les silences méditatifs de Pierre Desgraupes, qui laissait le temps à son interlocuteur de réfléchir avant de répondre.

Pour revenir au sujet : il semble que François Busnel ait perdu son âme d'enfant. Dommage. Pour lui. Et pour ses enfants, s'il en a.

Je dirai, moi, que j'ai découvert la littérature, comme tant d'autres, par ces "petits" livres qu'il semble mépriser : bonheur de s'asseoir dans un coin et de découvrir un autre monde, à portée de nos yeux et de nos âmes d'enfant.

Chance d'avoir eu des parents qui nous fournissaient toutes ces merveilles, du "Club des cinq" aux Trois Mousquetaires (et les bandes dessinées, de "Tintin" à "Spirou", en passant par "Les pieds nickelés" et "pire" encore). Versions expurgées ? Cela nous laissait le temps de courir vivre les aventures. Parce qu' un enfant ne fait pas que lire, faut qu'ça bouge, aussi.

Et à nos propres enfants, plus tard, nous avons pu offrir ces pures merveilles illustrées qui paraissent maintenant. C'est sans doute pour ça qu'ils lisent encore. Mais maintenant c'est Merleau-Ponty, Lévy-Strauss, ou Jean-Sol Partre. Moins drôle, mais c'est la suite des aventures.

Longue vie à la littérature pour la jeunesse, et à la jeunesse pour la littérature.

( Je reviens, pour Alice, ou Le Seigneur des Anneaux, et même – tiens - Harry Potter ou Cent ans de solitude. Je ne sais toujours pas dans quelle catégorie les classer. C'est un bordel, dans ma bibliothéque ! )

- Marielle Billy ( samedi 11 décembre 2010 ) :
Voilà ce débat pénible que veut ouvrir, ré-ouvrir ce Monsieur Busnel !

La littérature dite "jeunesse" est comme l'autre (dite "vieillesse" ?) : dix perles de culture pour deux perles sauvages. Mais l'important c'est qu'elle existe, qu'elle s'approche de ces jeunes gens et que parfois, dans un instant de grâce, elle les (nous) touche.

Et on pourra aussi parler avec bonheur du théâtre (jeunesse), des albums (jeunesse) ! un monde tellement ignoré aussi.

http://www.mediapart.fr

Textes reproduits avec l'aimable autorisation du CRILJ.

Dessins par Etienne Delessert.