Louis Joos (2)
Suite de l'entretien mené par Janine Kotwica.
LOUIS JOOS : OMBRES ET LUMIERE
Par Janine Kotwica
Plusieurs des histoires de Norac se déroulent dans des paysages polaires.
Carl, contrairement à moi, est un grand voyageur, il est allé dans toutes les contrées de ses albums.
Angakkeq : la légende de l’oiseau-homme est encore une histoire à connotation mythologique, avec ce personnage hybride légendaire, qui joue les adjuvants dans la quête du héros. La fillette africaine voulait sauver sa mère, ici, le jeune garçon veut sauver son père. Dans tous ces livres, il y a une très belle foi dans les potentialités de l'enfance.
C'est le seul livre dont j'ai vu le personnage, dans un des seuls voyages que j'ai faits, au Musée de la vie amérindienne d'Ottawa, qui exposait des masques d'homme-oiseau.
Angakkeq : la légende de l’oiseau-homme. Pastel, 2004
On trouve ici encore un de vos thèmes récurrents, celui de la solitude de l'être humain dans l'immensité du monde.
Le personnage perdu, seul, doit trouver des réponses en lui-même, mais la solitude, ce n'est pas triste du tout. J'aime la solitude…
Livres polaires encore, Le sourire de Kiawak, avec de magnifiques portraits d'enfants, et Le rêve de l'ours où domine un autre de vos thèmes de prédilection, l'opposition de l'ombre et de la lumière, des mondes anciens et du monde moderne, dans la quête conjointe d'une mère qui cherche son enfant et d'un enfant qui cherche sa mère. Les scènes nocturnes sont superbes. Et des ours comme héros : il y a beaucoup d'ours dans vos livres !
Ce sont des animaux dangereux dans la nature, mais très gentils sur le papier!
Le rêve de l'ours. Pastel, 2000
Vous avez étonné Carl Norac par la justesse des paysages et des types humains qu'il avait fréquentés, et par les similitudes entre vos illustrations et les œuvres d'artistes qui ont représenté ces contrées sur le motif…
… que je ne connaissais pas. Ce sont des rencontres en quelque sorte ! Lorsque je découvre une histoire à illustrer, que je l'entende raconter ou que je la lise, une ambiance se dégage… Sinon je ne fais pas le livre. Il faut que je me sente en phase, au niveau de ce qui se raconte.
C'est particulièrement réussi dans Un loup dans la nuit bleue…
Oui, Carl connaissait l'histoire de mon père et du loup et l'a adaptée à sa façon.
Les portraits humains de Mère Magie sont saisissants dans leur violence…
J'ai pensé que, pour cette aventure, qui se déroule quelques part durant la préhistoire, il fallait des visages forts. J'ai mélangé les techniques pour figurer les matières. C'est le monde rude de la peau de bête et du minéral.
Beau comme au cinéma est baigné de lumière et de la force de l'imaginaire, et le héros est seul, pas dans la nature, mais « chez les hommes », comme le Petit Prince.
C'est un monde humain, mais aussi le monde du cinéma, du récit, d'idées mentales et graphiques. Au cinéma, j'aime bien Cassavetes, Fellini, j'aime bien Bergman…
Les films en noir et blanc, j'adore. Il y a un film de Michaël Hanneke, Le ruban blanc, qui se passe juste avant la guerre de 1914, un film terrible, très noir, très dur, c'est un film extraordinaire. C'est une œuvre. Voilà le genre d'ambiance que j'aime. Et aussi, la pleine lumière. J'aime les contrastes, les images très contrastées. Je trouve ça très excitant à travailler. Comme au cinéma, j'essaie de varier les plans, de ne pas toujours présenter les personnages en entier. Parfois un grand angle, parfois un plan très serré.
Un très beau livre, avec des paysages et des portraits remarquables, fait aussi avec Carl Norac, Le dernier voyage de Saint-Exupéry, vous a introduit à La Renaissance du livre dans une collection de grands textes littéraires illustrés.
Le directeur de la Renaissance du livre m'a donné rendez-vous dans un lieu très chic, à Bruxelles, un hôtel-restaurant. Il m'a dit : « Voilà, J'ai une idée (il était très seigneur) : vous allez illustrer Baudelaire, Les Fleurs du mal. C'est vénéneux ». Tentant ! Mon amie, très littéraire, m'a dit cette chose qui a déclenché chez moi l'envie de m'investir dans le projet : « Baudelaire ne fait pas de la poésie. Il fait du Baudelaire ». Baudelaire a été condamné par la censure, et le procureur s'appelait… Pinard !
Quatre livres éblouissants, où les images flirtent avec l'abstraction, où on trouve beaucoup de sensualité, et l'expression pure des sentiments loin de toute représentation anecdotique.
Je trouve que, des poètes comme Verlaine, Baudelaire, Artaud, Queneau, on ne peut pas dessiner ce qu'ils disent dans leurs poèmes. Je ne vais pas peindre «« Le ciel […] par-dessus le toit / Si bleu, si calme ! »...
Antonin Artaud. La Renaissance du livre, 2006
Pour Artaud, à mon sens le plus beau des quatre, vous avez ressenti sa douleur, sa folie, sa violence…
Et l'enfermement. Je connaissais peu Artaud. J'avais un livre avec quelques extraits de ses écrits et des commentaires par divers écrivains. Et une photo d'Artaud, très marqué, extraordinaire que j'avais dans ma documentation depuis une vingtaine d'années. Quand j'ai eu la demande de faire ce livre, j'ai ressorti ces documents, et j'ai lu énormément Artaud dans la collection Quarto de Gallimard, et beaucoup d'articles sur Artaud qui, quelle que soit sa folie, est un écrivain extraordinaire. Enorme. D'une grande intelligence. Et sans les remparts de la morale. Gide, par exemple est un grand écrivain, mais il y a toujours la morale qui l'entoure. Artaud, non… rien. C'est pour cette raison que j'ai voulu illustrer quelques uns de ses textes.
Et que vous avez rendu par une explosion du graphisme et des couleurs…
Pour moi, cela allait de soi. Et je voudrais parler aussi de la présentation du livre. Le metteur en page a parfaitement compris et accompagné les dessins. Le papier est beau, la reliure, la jaquette…
Poèmes / Raymond Queneau. La Renaissance du livre, 2007
Pour l'univers plus ludique de Queneau, vous avez réalisé des exercices de style graphiques très jubilatoires, intégré des éléments typographiques et des calligraphies dans vos peintures avec sensibilité, intelligence et humour…
J'ai aimé mélanger les techniques, il y a du collage, de l'impression de caractères, des photocopies, de la peinture… Queneau, c'est le jeu, et aussi une belle présence humaine.
Dans plusieurs de vos livres, il y a des scènes de cirque et, en particulier des clowns. Que représente ce monde circassien pour vous ?
Travailler dans un cirque est un métier exigeant, le public n'imagine pas le labeur pour arriver à la perfection des gestes, au rythme du spectacle le plus varié sur une piste de treize mètres cinquante de diamètre. Le monde du divertissement se doit de fonctionner sans faille et de s’isoler du monde quotidien.
Les artistes de cirque provoquent la joie, l'hilarité, le suspense, la féerie avec la plus grande facilité apparente. Le clown nous fait éclater de rire, entre en scène pour nous distraire des petits incidents qui peuvent survenir au cours du spectacle. Ah ! La musique et l'odeur du cirque !
Les albums jeunesse de Louis Joos sont édités chez Pastel.