Marie-Florence Ehret
Ricochet : Vous n'avez pas toujours été écrivain, quels ont été les métiers qui ont marqué votre vie ?
M.F Ehret : Le métier qui m'a le plus marquée, qui nous marque tous : " Le dur métier de vivre ", comme dit Pavese… j'ai détesté être employée de banque à 16ans, j'ai adoré être vendeuse ambulante à 25. Entre les deux, j'avais été étudiante et voyageuse (une maîtrise sur la condition de la femme en Algérie dix ans après l'Indépendance). Je me suis amusée à être opératrice-projectionniste de cinéma… autant de métiers, autant d'aventures, comme on dit en amour… professeur, par exemple, une aventure passagère, mais aucune qui fut insignifiante !
Ricochet : Toute petite, aimiez vous plutôt les cours de recréation bruyantes et animées ou les bibliothèques calmes et silencieuses ?
M.F Ehret :J'ai détesté la cour de récréation de Sainte Marie de Passy où les filles jouaient au ping pong tellement mieux que moi, et me réfugiai alors dans les romans et la correspondance, j'adorais la cour du lycée Marie Curie où l'on attrapait des scarabées pour les mettre dans les culottes des garçons et où l'on violait les coquelicots dans leur robe rouge chiffonnée…
Ricochet : Avez vous toujours aimé écrire ?
M.F Ehret : Vous voyez, j'aimais écrire, des lettres sans fin de mon exil parisien, des poèmes, un journal… je recopiais des phrases que je ramassais comme on ramasse des galets ou des coquillages. J'aimais le geste de l'écriture, l'odeur du papier, de l'encre…
Ricochet : Quels auteurs ont marqué votre jeunesse ?
M.F Ehret : A vingt ans, j'ai renié -honte à moi - Colette, et le plaisir qu'elle m'avait donné, des Claudine à Sido, de la Chatte aux Vrilles de la vigne, en passant par La Vagabonde, la Toutounière… tout tout Colette ! Je ne renierai pas aujourd'hui les Enid Blyton de mes huit ans, le bouleversement de la Saison en enfer à seize… Les Contes et Légendes de Bretagne ou du Japon dans leur couverture cartonnée, les illustrés, comme on les appelait alors, je lisais tout et n'importe quoi… J'étais boulimique de lectures, droguée… j'ai tout lu, j'ai tout oublié, ou presque !
Ricochet : Votre premier livre a été publié en 1986, et depuis, vous en avez beaucoup écrit, pour la presse, pour les adultes comme pour les enfants, des recueils de poèmes… mais quel est votre "exercice" préféré ?
M.F Ehret : Chaque livre a sa justesse, son temps, je ne préfère pas les fraises au saucisson, et ne saurais me nourrir d'un aliment unique, fut-il d'ambroisie ! autrement dit, je n'ai pas d'exercice préféré sinon celui de l'écriture, dans tous ses états.
Ricochet : Vous avez voyagé à travers le monde, quelles ont été les influences de vos nombreux voyages sur vos écrits ?
M.F Ehret : Ecrire m'accompagne dans mes voyages. Sans ce compagnonnage, je suis perdue, je coule, en quelque sorte, le temps ne me porte plus… Mes sujets me servent parfois de prétexte pour partir : Alexandrie pour Hypatie (Hypatie, fille de Théon, Ed. Ateliers des Brisants) Rapt à Bamako (Edicef) pour le Mali… J'ai fait un bref journal de mon bref séjour au Burkina la semaine dernière, et nous avons écrit cinq histoires pour enfants avec cinq auteurs burkinabés, qui paraîtront j'espère dans la collection du Caméléon vert chez Edicef.
Ricochet : Quels ont été les personnages, les lieux ou les évènements qui ont marqué votre vie d'auteur ?
M.F Ehret : Bernard Noël et Corto Maltèse ont marqué ma vie de manière indélébile. L'un est poète, l'autre aussi, différemment. L'un écrit, l'autre est écrit.
Mon fils est une rencontre capitale. C'est pour lui que j'ai écrit mon premier livre jeunesse : " A cloche-cœur ".
Le quartier de Paris où je vis : la Goutte d'or, est mon port, mon nid, mon foyer, mon pays ! j'ai écrit Salut Barbès en hommage à ce quartier décrié. Plusieurs de mes romans jeunesse s'y déroulent. (" Mortel coup d'œil " " Vol sans effraction " et bien sûr " A cloche-cœur ") C'est lui, mon quartier, qui m'a donné le goût du monde entier !
Ricochet : Quel a été votre parcours scolaire ?
M.F Ehret : Comme je vous l'ai dit, j'ai dû interrompre mes études à 16 ans pour aller travailler à la banque. Mariage forcé que j'ai rompu dès que possible (dès que ma mère a pu se prendre en charge) pour galérer joyeusement de bourses minables en jobs minables, baby-sitting et chambre de bonnes ! J'ai fait deux licences, Philo et Lettres Modernes, et du théâtre, et cette maîtrise dont j'avais choisi le sujet pour passer l'année en Algérie… un DEA, et puis un autre… Parcours chaotique, boulimique, incohérent, capricieux…
Ricochet : Comment naissent vos écrits ? Quelles sont vos méthodes de travail ? Plutôt papier-crayon ou plutôt clavier et souris ?
M.F Ehret : J'aime toujours le geste de l'écriture, les petits carnets sur lesquels on prend des notes, écrire dans le métro, au café, n'importe quoi, n'importe où… mais c'est devant mon écran (d'ordinateur portable, dans le train, à l'hôtel, dans des maisons prêtées, des chambres de fortune, chez moi, aussi de temps en temps) que le texte s'élabore, que la sauce prend, que le travail se fait et se refait.
Ricochet : Quel est le livre jeunesse dont vous êtes la plus fière ?
M.F Ehret : Suis-je fière d'A cloche-cœur ? C'est mon best-seller, mon fils me l'avait bien dit, mais ne lui ai-je pas volé sa voix, volé sa vie pour l'écrire ? D'être l'auteur de ses jours me donne-t-il le droit de toucher les droits d'auteur du livre ??? Même si la moitié de ce que cela raconte est inventée (quelle moitié ? Je ne vous le dirai pas !) je l'ai vampirisé pour écrire, alors, suis-je fière ?? Oui.
Ricochet : Les enfants jouent-ils un grand rôle dans votre vie d'écrivain ?
M.F Ehret : Depuis une quinzaine d'années, je fais des ateliers d'écriture, je préfère dire des rencontres d'écriture, avec des enfants, des adultes. Non seulement cela me rapporte de quoi vivre en complément de mes droits d'auteurs, mais encore cela m'entraîne dans ce que j'aime le plus : des voyages, des rencontres. Je suis attendue, accueillie, fêtée souvent ! Et comble du comble : de nos rencontres naissent des histoires, des poèmes, des récits !
Sans ces rencontres, sans l'écriture jeunesse, aurais-je pu résister à la pression mortifère du monde éditorial et médiatique ? Sans ce lien vivant avec les lecteurs, aurais-je pu continuer à écrire, c'est à dire à vivre ?? Pavese n'a pas pu.
Ricochet : A votre avis, le livre jeunesse a-t-il encore de beaux jours devant lui ou risque-t-il de se faire détrôner par le multimédia ?
M.F Ehret : Qu'est-ce qu'un livre ? Le support papier fait-il le livre ? La charge imaginaire et symbolique dont le livre est le corps peuvent-elles s'incarner autrement ? Les mots, la grammaire me paraissent la matière vitale de la pensée, le papier, non… Mais il a un charme que l'écran n'a pas. En mesure-t-on bien la puissance ? Je laisse l'avenir venir, mais il faut voir le rôle que joue l'objet-livre auprès des tout-petits, la relation magique qui s'instaure entre l'enfant, le lecteur et le livre… Il me semble que le duel, même " interactif ", avec le seul écran n'est pas prêt de le remplacer !
Ricochet : Quels sont vos projets pour les mois et les années à venir ?
M.F Ehret : J'espère publier l'année prochaine " Imagine Alexandrie ", en diptyque contemporain avec " Hypatie, fille de Théon " qui était l'histoire d'une philosophe du Vème siècle. Des proses poétiques nées dans un studio de jazz de mon quartier (Studio des Islettes). Reprendre des textes jeunesse restés " en souffrance " cette année… Il y a aussi un recueil de nouvelles… Des envies de retourner au Burkina-Faso, un voyage en Inde du Sud au mois d'août…