Martin Jarrie
On croise les magnifiques illustrations de Martin Jarrie dans les magazines, les albums jeunesse et la publicité. Têtes de bulles (Rue du monde, 2015) est le dernier album de cet artiste à l’œuvre prolixe. En 1997, il a obtenu le grand prix de la Biennale internationale de l'illustration de Bratislava pour deux albums Le Colosse machinal (texte de Michel Chaillou, Nathan, 1996) et Toc, toc, monsieur Cric-Crac ! (Nathan, 1995). En 2002, Au bout du compte (texte de Régis Lejonc, Le Rouergue) a reçu le Baobab (prix du meilleur album) du Salon de Montreuil. En 2011, une mention spéciale est attribuée à son ouvrage Hyacinthe et Rose (texte de François Morel, Thierry Magnier, 2010) à la Foire internationale du livre pour enfants de Bologne. En 2013, nouvelle mention spéciale à Bologne pour Le rêveur de cartes (Gallimard jeunesse / Giboulées, 2012). Rencontre.
Pascale Pineau : Quand avez-vous commencé à vous intéresser au monde de l'art ?
Martin Jarrie : Très tôt, et pourtant rien ne me prédestinait à cet univers. Je suis le dernier d'une famille de neuf enfants, originaire du monde rural. Mes parents étaient paysans en Vendée, dans une petite commune située à la frontière du Maine-et-Loire. C'est par le biais de revues d'art introduites à la maison par deux de mes frères, partis au séminaire, que j'ai commencé à m'y intéresser. Je devais avoir 12 ou 13 ans. C'est un domaine qui m'a emballé tout de suite. J'étais sous le charme des reproductions de tableaux de grands peintres comme Géricault, Boucher, Chardin... Les dictionnaires illustrés ont également compté. J'aimais aussi la bande dessinée, je lisais par exemple Pilote. Après le baccalauréat, j'ai eu envie de m'inscrire dans une école d'art. C'est ainsi que je me suis retrouvé aux Beaux-Arts d'Angers.
Source : http://martinjarrie.com
Aviez-vous un objectif en tête ?
Je me suis simplement dit que je pourrais peut-être vivre de mon dessin.
En m'inscrivant aux Beaux-Arts, j'espérais m’initier à la peinture mais la période ne s’y prêtait guère. On était après 1968, et la peinture n'était plus vraiment valorisée. L'époque était plutôt à la déconstruction du cadre, de la toile... Ce qui n'était pas inintéressant, mais pas vraiment ce que j'attendais. J'ai eu tout de même des professeurs formidables ; je me rappelle de l'un d'entre eux qui avait une passion pour le dessin et la sculpture. L'école des Beaux-Arts m'a ouvert à ce qui se passait dans l'art contemporain, à ce moment-là.
Et après ces années d'étude ?
Des amis s'étaient lancés dans l'illustration publicitaire. Ils m'ont donné l'idée de suivre cette voie. J'ai commencé par faire des dessins humoristiques pour une agence d'urbanisme à Angers. Après quelques tâtonnements, j'ai contacté des agences publicitaires à Paris. Le dessin réaliste correspondait à ce que je me sentais capable de faire et c'est ce que j'ai proposé.
Comment êtes-vous passé de la publicité à l'édition jeunesse ?
Je me suis fait repérer comme illustrateur animalier à travers une grande campagne effectuée pour une marque de cirage, Lion noir. Pierre Marchand m'a sollicité pour participer aux premiers titres de la collection « Découvertes Gallimard ».
A un moment donné, j'ai monté deux dossiers sur les conseils de mon agent, l'un pour la publicité, l'autre montrant un travail différent, notamment des dessins à l'encre. Pour cette deuxième facette, j'ai choisi de prendre un pseudo. C'est comme ça qu'est né le nom de Martin Jarrie. Je ne voulais pas d'un nom excentrique mais que celui-ci corresponde à mon histoire personnelle. La Jarrie est le nom de la ferme où je suis né. A l'âge de 18 mois, mes parents ont déménagé pour s'installer dans la ferme St-Martin. J'ai associé ces deux noms de lieu, cela me rattachait à mon passé, aux sources de mon enfance.
Dans mon parcours, 1991 et 1992 représentent deux années charnières. Je travaillais encore beaucoup pour la publicité, mais déjà pour l'édition.
Et pour la presse aussi ?
Au milieu des années 1990, j'ai eu pas mal de commandes pour Télérama, Enjeux - Les Echos, et Libération pendant des années. Parallèlement, je travaillais aussi beaucoup pour la presse américaine.
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Petit à petit, je me suis orienté vers une technique plus rapide, avec un grand sentiment de liberté. J'inventais un style au fur et à mesure. J'éprouvais un grand plaisir à jouer avec les formes. J'exposais aussi dans des galeries. Ma première exposition personnelle était à la galerie Michel Lagarde, en 1994. J'y présentais des peintures à l'acrylique sur papier marouflé, sur bois ou sur carton ; j'avais également réalisé des objets de la maison comme des fers à repasser, qui renvoyaient aux travaux de couture de mes sœurs. Il y avait toujours un lien avec les choses de l'enfance, la maison familiale. Je reste nourri de cette époque première assez solitaire.
A quelle époque, la littérature jeunesse est-elle réellement entrée dans votre vie d'artiste ?
Dans les années 1990. En 1995, le directeur artistique de chez Nathan m'a proposé d'illustrer un texte d'Alain Serres : Toc, toc ! Monsieur Cric-Crac ! Ensuite, il y a eu Le colosse machinal. Les illustrations avaient été réalisées pour le Salon du livre jeunesse en Seine-Saint-Denis de 1996, à la demande d'Henriette Zoughebi, qui en était la directrice. L'idée de l'album est venue après.
En 1998, j'ai réalisé les illustrations d'Un petit air de famille, mon deuxième projet avec Alain Serres. Tout un travail d'anatomie imaginaire.
Quelles évolutions observez-vous dans vos illustrations ?
Au début, je faisais des personnages très allongés comme on peut le voir dans Toc, toc ! Monsieur Cric-Crac !. J'avais envie de créer à partir de formes simples. A un moment donné, je me suis senti coincé dans ces personnages longilignes et j'ai changé. Cela s'est passé au début des années 2000. J'aime travailler la peinture de façon à avoir une matière assez épaisse, pour un aspect archaïque, enfantin. Je suis passé de l'acrylique à la gouache. Une façon de chercher des pistes nouvelles. Mes couleurs qui étaient atténuées, comme « cassées », sont devenues plus vives, plus franches.
Vous avez réalisé de superbes planches de fruits, de légumes et puis aussi de fleurs. Cela correspond à un goût prononcé pour de tels sujets ?
J'avoue que les fruits et les légumes m'enthousiasment. Il y a quelque chose qui relève de la rondeur que j'aime bien. Et c'est assez facile de les représenter en peinture épaisse. Pour les fleurs, je me suis senti moins à l'aise, car le sujet demande une plus grande délicatesse. Hyacinthe et Rose a ainsi constitué pour moi un vrai défi.
Votre œuvre révèle une certaine attirance pour les séries, les catalogues ?
Oui. Pour réaliser Le rêveur de cartes, j’ai énormément pensé au Catalogue d'objets introuvables de Jacques Carelman.
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Les gros plans sont importants dans vos illustrations, pourquoi un tel choix ?
J'aime bien que le sujet principal se détache, accroche l'œil. Qu'il soit évident et qu'il intrigue également. Les fonds de couleur ont par ailleurs leur importance.
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Quel serait votre souhait aujourd'hui ?
Peindre, sans contrainte, peindre... J'ai commencé un travail sur de petits formats depuis un an. J'arrive à plus d'une quarantaine, j'aimerais en faire une centaine au total.
Si vous aviez à citer le nom d'un ou deux peintres marquants pour vous, lesquels choisiriez-vous ?
Du côté de l'art brut, il y a le Suisse Adolf Wölfli, par exemple, et puis l'artiste Noir-américain Bill Traylor... Sur un autre plan, j'aime beaucoup Eduardo Arroyo, sa façon de travailler la toile, de découper l'espace. Et tellement d'autres…
28.04.16
Illustrations de Martin Jarrie