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Date

Myriam Colin

1 septembre 2007

La jeune illustratrice Myriam Colin créée des livres tactiles à destination de tous les publics : déficients visuels et voyants avec l’espoir de créer des ponts entre ces deux publics. C’est suite à un stage aux éditions Les doigts qui rêvent qu’elle entamera une réflexion sur le livre tactile. Aujourd’hui cette passionnée par les rapports entre l'illustration et l’image tactile a fait sienne cette démarche au point d’ailleurs de se définir comme une illustartiste tactile. Diplômée des Arts décoratifs de Strasbourg et de l'Ecole de l'Image d'Epinal, elle a d’ailleurs monté un projet du nom de Colin Maillard soutenu par le dispositif Défi Jeune Alsace et crée des mallettes pédagogiques tactiles. A partir de l’œuvre d'un artiste contemporain, elle remplit ces mallettes d'objets qu'elle créé et qui reprennent l'univers de l'artiste. Mais cette jeune illustratrice n’en oublie pas son travail d’illustratrice pour enfants et adultes et travaille en parallèle sur d’autres projets : une adaptation du Petit Chaperon Rouge devrait paraître cet automne chez Les Doigts qui Rêvent, l’ouvrage «  Mes erreurs d'orthographe » (titre provisoire) sortira aux éditions suisses Drozophile, et un dernier sur la Grèce aux éditions Grandir. Découvrons cette jeune artiste au projet original.

- Pourriez-vous vous présenter en quelques lignes ? (parcours, études, formations...)
Je suis une Illust'artiste tactile.

- C'est quoi ?
Une espèce de poisson errant et diplômé des Arts décoratifs de Strasbourg, Dsad, option Objet Livre ; après avoir obtenu un Dnat, Design graphique, Image et Narration à l'Ecole de l'Image d'Epinal. C'est au cours de cette période que j'ai débuté ma réflexion sur le livre tactile suite à un stage à la maison d'édition Les Doigts Qui Rêvent. Cependant la question de la cécité était déjà présente dans mon travail lors de ma formation universitaire (gravure/dessin), Faculté d'Arts Plastiques.
J'ai eu des hameçons sur mon chemin qui m'ont conduit vers une finalité : le monde de l'illustration et de l'image tactile.
J'aime chanter à perdre baleine : c’est un chant incompréhensible (ce qui est pratique). Certains ont le traducteur intégré tandis que d'autres ont la patience d'écoute*.
(*Un logiciel d'apprentissage du langage baleine est en cours d'élaboration et sortira prochainement.)

- Comment vous est venue l'idée de réaliser des livres tactiles ?
Traversée tactile : j'ai rencontré un livre tactile, des gens de l'édition Les Doigts qui rêvent, des artistes, des parents d’enfants déficients visuels, et les enfants eux-mêmes qui m’ont fait prendre conscience des besoins réels. Il y a très peu d’« illustrateurs tactiles » et le nombre de supports existants est actuellement bien insuffisant par rapport aux besoins.

Le constat du peu d’ouvrages existants pour ce public, et ma volonté de partager avec ce public ma passion du dessin et de l’art, ont abouti à la création de livres tactiles. La majorité des documents disponibles est une adaptation/transcription d’un contenu conçu pour des voyants à but informatif/didactique où la notion de plaisir, de l’expérience esthétique est quasi inexistante.

Ainsi, j’essaie, avec ma sensibilité d’illustartiste, de concevoir des images tactiles en me projetant dans ce nouvel espace régi par une autre topologie, avec ses propres codes.
Enfin, des expériences professionnelles dans différentes structures (centres socioculturels etc.) m’ont amené à reconsidérer la relation plus générale de l’art et l’enfant, et du « non public », celui soit disant non intéressé ou qui a très peu accès à l’art : les non et malvoyants, les enfants défavorisés, …
Il y a encore beaucoup de choses à faire en direction de ce public…

Ce projet de mallette tactile vient à son tour répondre à un manque, celui du rapport entre les lieux d'art (Musées, Centres d'art, etc.) et le public non/malvoyant - le non public.
Des personnes travaillant à différents niveaux dans le domaine artistique m'ont aidé à le formuler, énonçant leurs attentes.

Ainsi ces mallettes éducatives tactiles, sont destinées à tous les publics : déficients visuels (malvoyants et aveugles) et voyants pour aborder l’art et l’illustration.
Elles contiennent des supports tactiles dont la forme se décline en livres, objets et planches de dessins en relief. Véritable « Caverne d’Ali Baba » remplie de formes, de matières, de textures et d’expériences tactiles pour permettre aux enfants de s’approprier des histoires, des objets, des sensations et ainsi d’organiser leur pensée pour peut-être relier l’affectif et le culturel.
Toutes les informations contenues dans les mallettes seront à la fois écrites en noir et en braille ; un alphabet braille et un petit historique seront aussi à l’intérieur.
Ces supports tactiles auront une autonomie, mais avec la possibilité que j’intervienne pour utiliser les outils au sein d’un groupe d’enfants. Elles seront à la disposition des écoles spécialisées pour enfants déficients visuels, aux écoles, aux bibliothèques, aux associations, etc.

 

 

 

- Que souhaitez-vous faire passer avant tout par ce projet ?
Que des ponts sont à construire entre ces deux publics : mal/non-voyant et voyant.
Un livre, ou tout support tactile, est une expérience enrichissante autant pour un malvoyant/non-voyant que pour un voyant.
Chacun a des images dans la tête qui doivent à un moment ou à un autre sortir pour naître sous les doigts en noir ou en relief.
L'art est une ressource inépuisable pour se "construire" soi-même, communiquer, partager et s'exprimer. Le livre est un moyen fondamental pour appréhender les arts plastiques.
Il est avant tout une expérience sensorielle et un objet de communication. C’est pourquoi, les mallettes pédagogiques ont aussi destination à réactualiser notre regard sur cet objet et à faire du livre tactile un véritable support d’échange.

« Un enfant aveugle qui n’apprend pas à toucher reste à l’écart du monde, dans la nécessité d’être assisté par les autres. Il est encombré de ses mains, non par un manque biologique mais par un défaut d’éducation.
David Le Breton, La saveur du monde, Une anthropologie des sens, Métailié, Paris, 2006.

- Projetez-vous de l'éditer et, si oui, quand et avec quelle maison d'édition ?
La première mallette tactile portant sur une œuvre du Frac Alsace, sera produite en trois exemplaires. Elle est soutenue par deux associations, L’art au-delà du regard et l’Association des Aveugles et Handicapés Visuels d’Alsace et de Lorraine, la maison d’édition Les Doigts qui Rêvent et enfin par le Frac Alsace qui se chargera de sa diffusion.
D’autres projets de mallettes sont en préparation, pour lesquelles je cherche des éditions.
L'adaptation du Petit Chaperon Rouge, devrait paraître cet automne chez Les Doigts qui Rêvent.

 

 

 

 


Parution en Avril 2007 du Petit Chaperon Rouge aux éditions les Doigts qui Rêvent

 

Mes autres projets de livres tactiles sont en attente : je dois les repenser, afin de simplifier leur production pour ensuite trouver une édition prête à les éditer. L'un est une adaptation du poème de J.L. Borgès, La Lune ; un autre d'un poème d'Andrée Chedid.
Le dernier à ce jour est tiré de la Météo marine de France Inter qui fonctionnera avec une mallette tactile pour faire sa propre météo.
Un autre suivra (je garde les autres pour plus tard) : il s'agit d'un livre à compter à nouveau associé à une mallette pour aborder les nombres. Je cherche également un éditeur pour ces projets.

 

 

 

 


extraits du projet de livre tactile La météo marine, janvier 2007. Auquel s'ajoutera la réalisation d'une malette tactile pour faire son propre bulletin météo marine.

 

Enfin, du côté de mon travail d'illustration, un livre sur mes erreurs d'orthographe sortira prochainement aux éditions suisses Drozophile, un second sur la Grèce aux éditions Grandir, et pour finir une plaquette pour la Bibliothèque Municipale de Strasbourg sur les règles de lecture est en cours d'achèvement.

 

 

 

 


Illustrations du projet Chanter à perdre baleine, une douzinae d'erreurs d'orthographe à paraitre aux éditions drozophile, 2007
- raie d'oreiller
- j'ai mis mes pastèques

 

- Ce projet vous a-t-il confirmé ou induit d'autres pistes ?
Je voudrais faire évoluer ces mallettes en y incluant une troisième dimension : l'espace.
Des objets fonctionnant avec un livre amèneraient les lecteurs à appréhender l'espace (jeux de construction, etc.)
Je travaille aussi sur l'idée de livres à colorier tactilement et de cahiers de dessins tactiles, d'autocollants tactiles et enfin de livres audio.

- Quelles sont vos perspectives ou vos envies pour l'avenir ?
Finir et voir éditer mes projets de livres tactiles et en faire d'autres, inonder les librairies de ces livres... plus sérieusement arriver à trouver la solution pour que les éditions s'engagent dans ce marché (du livre tactile).
Dessiner l’avenir avec des couleurs tactiles. Elles restent à définir et à répandre sur tous les livres et dans tous les lieux, écoles spécialisées ou non, non lieux afin que l’on puisse toucher l’art, les images, le dessin ou du moins s’en approcher aussi bien en France qu’à l’étranger.
J’aimerais mettre en place un échange avec les écoles spécialisées et d’art du Liban, Maroc, Tunisie, Egypte afin d’aider à la conception de livres tactiles, d’échanger nos modes de fonctionnement et sensibiliser notamment les étudiants en art à l’image tactile (codes, ect.).
Il y a une urgence du faire, de produire et de donner des « crayons tactiles » pour voir naître des dessins à toucher.
Autrement j'ai envie de faire des albums à colorier, une encyclopédie du poisson, un livre confidence de mon arrière grand-mère et aussi exploiter mes carnets de dessin.

 

 

 

 


Et si on l'ouvrait ?, illustration d'un texte d'auteur, 2007.

 

- Que pensez-vous avoir gardé de votre enfance ?
spontanéité, curiosité, observation, rire/sourire
rire et parfois de rien encore plus
goût des couleurs - bouger
croire à ce que l'on ne voit pas
vouloir tout toucher
se raconter des histoires à partir du rien
pouvoir passer des heures à observer un scarabée et le baptiser "Arnaud".

- Quel(s) illustrateur(s), quel(s) auteur(s) jeunesse vous interpelle(nt) et vous
inspire(nt) ?

Dans les principaux habitants des nuages que je traîne toujours avec ma tête, il y a Quentin Blake pour sa spontanéité/ son humour - l'intelligence du rapport texte/image et la nonchalance maîtrisée et énergique du trait. (J’y travaille)

Il y a ensuite Paul Cox pour la variété d'approche de son travail (dessin/ volume) et de ces champs d'action (décor de théâtre/ publicité / édition). L'aspect "recherche" de sa démarche associée au ludique me plaît et c'est sans prétention de ma part que je dirais que je m'y retrouve. Les références qui nourrissent son travail, me permettent de comprendre sa démarche et me guident dans la mienne vis-à-vis de ma réflexion sur l'image tactile (de la topologie propre à celle-ci), mais aussi dans la manière d'amener l'enfant vers l'art.

Je voudrais aussi citer Bruno Munari, dont les multiples casquettes (designer, illustrateur, graphiste, peintre, théoricien de l'art, etc.), ont abouti à la réalisation d’ouvrages fondamentaux dans l'aventure du livre jeunesse. Il réinvestit le livre comme objet (format, reliure), réinterroge la relation intime de l'enfant au livre, l'acte de lecture (découverte ludique de l'objet par des trous, des parties à soulever, etc.). Cette démarche, tout comme celle de Paul Cox, m'aide à trouver une cohérence au sein de la mienne, entre ma recherche tactile et l'illustration.

Et enfin Kitty Crowther : sa façon de raconter les histoires, la pertinence des sujets abordés, si complexes mais si finement mis en mot et en image. J'admire son usage si personnel des crayons de couleur, qui ajoute une certaine fragilité enfantine qui me touche.

 

 

 

 


Illustrations issues d'un projet de livres, Comment les feuilles montent-elles aux arbres ? croquis 2007.

- Comment vous situez-vous dans le milieu de l'édition jeunesse ?
Dans un bocal en compagnie d'une myriade de poissons rouges, flottant sur une mer de livres. On plonge, on lit beaucoup pour observer les courants d'air chaud ou froid, en essayant de se maintenir dans le bon (courant).
Parfois adopter une mémoire de poisson vous permet de vous octroyer une place et votre sensibilité de se retrouver.
Dedans et dehors, difficile à dire jeunesse / adulte / tout public : dépasser les classements, c'est ce qui me motive avant tout.
C’est pourquoi je ne sais pas où je me trouve : je sors, je rentre dans mon bocal pour en ressortir sur différents abords.
Quand on fait des livres tactiles même si c'est avant tout à destination du secteur jeunesse, c'est une autre île. Il y a encore beaucoup de travail pour que ce secteur se développe et les éditeurs jeunesse doivent s'engagent davantage. Tout les enfants mal/non-voyants et voyants ont besoin de ces livres.
Il n'y en aura jamais assez, le choix est un critère de liberté, nécessaire pour la construction d'un enfant.

- Quel(s) texte(s) classique(s) aimeriez-vous mettre en image ?
Don Quichotte de la Manche, de Cervantès et Sindbad le marin.
mais aussi de la poésie notamment R . Desnos, Rimbaud.

Myriam Colin fait partie des jeunes talents de Ricochet