Natali Fortier
Ricochet : Natali Fortier, avec Lili Plume, vous semblez avoir pris une autre
dimension, celui d'un grand projet, faire un livre toute seule. Pourriez-vous nous expliquer ce cheminement ?
Natali Fortier : Depuis très longtemps,
Mes dessins me parlent, et je sais bien que personne ne les entend. Je leur ai donné la voix de divers auteurs, mais je commençais à ressentir un réel manque.
J'avais la sensation de me bâillonner. J'adore la tonalité des mots, assembler des phrases. Mais une histoire...C'est tout une autre histoire. Je n'osais pas, C'était improbable que j'y arrive. Pourtant il est arrivé un moment où il fallait que je me lance. Lorsque je dessine pour les autres, je ne veux pas les trahir. Lili Plume s'est imposée, a enfin pris la parole, elle me laisse toute liberté.
Ricochet : Quelles ont été vos sources d'inspiration (pour le texte et le dessin)pour ce nouvel album ?
Natali Fortier : Le mot qui a tout déclenché est celui de peine perdue.
Est-ce que cela en vaut la peine ? Toute l'énergie à tenter de franchir une nouvelle étape, à se battre pour réussir à faire ce que l'on veut.
Pour les dessins, je voulais que Lili soit le plus possible en vie. Je voulais la sentir bouger. Je me suis inspiré de Klee pour le paysage, mais sinon j'ai une énorme admiration pour Saul Steinberg, ça ne doit pas être facile de le retrouver dans Lili Plume, mais il jouait sans cesse. J'aime beaucoup le travail de Beatrice Alemagna, Michel Galvin, Olivier Douzou...Il y a quantité de gens qui m'accompagnent dans mon atelier.
Ricochet : Pourquoi parlez-vous autant des objets de ceux qu'on perd, ceux qu'on a
plus, ceux qui sont absents ?
Natali Fortier : L'entrepôt de Lili est un peu comme un cerveau, il était nécessaire d'alléger mon propos... La perte des gens qu'on aime, celle du temps, des illusions... Je me suis servie des objets pour parler de ces sentiments.
J'ai mis beaucoup d'objets mais ce sont leurs histoires qui sont importantes. Tous ces objets sont des pensées éparpillées, et aussi la place immense de l'absence.
Ricochet : Dans cet album, les vignettes sont comme arrachées d'un carnet de dessin. Pourquoi ?
Natali Fortier : La première à qui j'ai tendu Lili Plume, c'est à Isabelle Gibert, j'ai une totale confiance dans son regard car j'ai fait d'autre livre avec elle. Tous mes dessins sont sur des carnets, c'est elle qui a décidé d'en laisser la trace parfois, et de jouer avec la typographie. J'en suis vraiment contente.
Ricochet : Lili Plume est à la fois une rêveuse et une consolatrice. Est-ce selon vous l'une des fonctions d'un livre pour enfants ?
Natali Fortier : L'enfant passe souvent encore plus vite que nous d'une émotion a l'autre. Il peut faire une colère violente ou être frappé par le chagrin, soudain une fourmi passe et il oublie tout pour la suivre, puis rigole. C'est ce que je demande aujourd'hui a un livre, que les mots l'amènent d'un passage a l'autre.
Ricochet : Souvent dans les albums que vous avez illustrés, revient le thème du
voyage, comme une aventure où l'on retrouve sa liberté et le fait d'être soi-même. Pourriez-vous nous en dire plus ?
Natali Fortier : C'est vrai le voyage permet d'être soi, parce que personne ne nous connaît, on a le droit d'être n'importe qui. On n'attend rien de vous. Les gens de rencontre n'ont ni passé ni avenir, seulement l'instant. On peut ne rien dire du tout ou raconter des histoires, on a le droit de s'inventer.
Ricochet : Vos personnages évoluent souvent comme sur un fil, dans un petit monde où
tout est possible. Est-ce que vos personnages, selon vous, caractérisent le monde de l'enfance ?
Natali Fortier : Est-ce qu'il y a vraiment une frontière entre le monde de l'enfance et celui de l'adulte ? Je suis certaine qu'il y a des zones uniquement réservées à l'un et à l'autre, mais beaucoup d'espaces sont des allers-retours. En tant qu'adulte, j'ai souvent besoin de me faire croire que tout est possible, je fais une bifurcation par le terrain de jeu.
Ricochet : Votre style très particulier permet au simple lecteur de vous reconnaître
au premier coup d'œil. Cette reconnaissance n'est-elle pas d'après vous à double tranchant ?
Natali Fortier : Moi aussi, je reconnais les autres. J'aime suivre quelqu'un, qu'il me fasse visiter les endroits où il vit, petit a petit. À double tranchant... Je ne peux pas être quelqu'un d'autre. C'est jamais le même livre. Mais il est vrai qu'il me manque du temps pour faire des tentatives, je voudrais pouvoir faire plus de recherche, j'adorerais apprendre encore plus... Je voudrais qu'on ouvre l'éventail, les sculptures, la gravure...Il faut aussi que l'on me propose des textes, des sujets différents.
Ricochet : Quand et comment vous est venue l'envie de faire de la peinture ? Comment expliquez-vous votre venue à l'illustration et plus généralement à la littérature de jeunesse ?
Natali Fortier : Je me ne suis pas posé la question, c'était comme ça, c'était même que ça. À la petite école, je dessinais, le cahier posé sur mes genoux cachés sous la table.
J'avais besoin d'apprendre, au Québec, je n'ai pas réussi ma scolarité. Je suis partie aux Etats-Unis, on m'a pris à l'Académie of Art. C'était une Université séparée en deux parties. Dans l'une, j'étudiais l'art et la seconde était pour l'illustration, la publicité, dans celle-là, je travaillais comme femme à tout faire. J'ai autant appris, à regarder les étudiants dessiner.
Je rêvais de L'Europe.
En France, j'ai été euphorique aux beaux-arts de Paris. La presse a commencé par être une solution pour continuer de peindre. Au magazine littéraire, j'illustre des critiques de livre. Même sans les lire, je me suis mis à aimer de plus en plus l'objet livre. Je crois être assez acharnée, lorsque je désire. Entre la première fois où j'ai frappé à la porte d'une maison d'édition et où l'on a enfin accepté de me confier un texte, il s'est passé plus de six ans. L'édition a beaucoup changé et je la découvre et l'apprécie de plus en plus. La différence avec la peinture, c'est que le livre s'ouvre et m'ouvre vers les histoires des autres.
Ricochet : Y-a-t-il des textes qui vous aimeriez illustrer ?
Natali Fortier : Boris Vian, Maupassant, Ionesco, des contes cruel d'Andersen... Beaucoup de choses encore, un beau texte érotique, des polards. Pour les enfants, j'aime les mythes, les légendes, des textes avec des sorciers, d'ogres, des loups, des géants, des monstres... J'ai fait très peu, de tout ce que j'ai envie de faire.
Malika Ferdjoukh, Jules, Syros, 1996
Cécile Gagnon, Six Cailloux blancs sur un fil, Le Seuil jeunesse, 1997.
Claire Derouin, Les contes de la Méditerranée, Nathan
François David, Des mains pleines de doigts, Nathan
Poésies, comptines et chansons pour le soir, Gallimard jeunesse.
Olivier Douzou, Va t'en, éditions du Rouergue, 2000, coll. 12*12
Olivier Douzou, Merci, éditions du Rouergue, 2000.
Olivier Douzou, Les Doigts Niais, éditions du Rouergue, 2001.
Marc Ligny, Le clochard celeste, Nathan, 2002.
Arnaud Alméras, Guillaume restera, Nathan, 2002, coll. Demi-Lune.
Vanessa Rubio et Patrice Favaro, Qu’est ce qu’il a ? Le handicap, Autrement jeunesse.
Claude Carré, Tu rentres a la maison, Acte sud Junior, 2002.
Gérard Moncomble, Les voisins font un cirque le dimanche, Thierry Magnier, 2003.
Herman Melville, Moi et ma cheminée, L'Ampoule, 2003.
Minne, J'aime, Albin Michel jeunesse, 2003.
Paule du Bouchet, Violette, Gallimard jeunesse, 2003.
Charles Cros, Le hareng saur, Rue du Monde, 2004.
Et plusieurs collectifs chez Nathan, Gallimard, Acte Sud…