Odile Flament et CotCotCot: du numérique au beau papier
Rencontrée pour la première fois en 2013[1], CotCotCot était à l’époque une maison d’édition purement numérique. Désormais, elle propose des albums papier remarqués. Sept ans après, il est intéressant de la (re)découvrir alors qu’elle a fait partie du programme «Talentueux Indés» de la Foire du livre de Bruxelles.
Rencontrée pour la première fois en 2013[1], CotCotCot était à l’époque une maison d’édition purement numérique. Désormais, elle propose des albums papier remarqués. Sept ans après, il est intéressant de la (re)découvrir alors qu’elle a fait partie du programme «Talentueux Indés» de la Foire du livre de Bruxelles.
Cet article a initialement été publié dans la revue belge Lectures.Cultures (n°17, mars-avril 2020). Nous reproduisons ici le texte de l'article avec l'aimable autorisation de son auteure, Isabelle Decuyper, et de Lectures.Cultures.
Odile Flament, qui êtes-vous?
Bruxelloise d’adoption depuis 2004, j’ai choisi d’y créer mon entreprise. D’abord la Sorbonne avec l’étude des langues étrangères appliquées, un travail dans l’import-export en Allemagne, puis un bureau de conseil en stratégie parisien avec la réalisation de recherches documentaires avant d’être promue responsable des Services d’information Benelux basés en Belgique. J’y ai repris des études, un MBA à Leuven, qui semblait avoir un bon programme entrepreneuriat.
Cotcotcot, une maison d’édition originale?
Oui, les débuts tout du moins. D’abord tournés vers le numérique avec des projets comme «Bleu de toi» ou «Qui fait bzz?» et un travail sur le format de la page. «Germe aussi l’idée de pouvoir publier en papier ce qui existe en tablette», avais-je émis comme souhait en 2013. L’impression papier est devenue une réalité.
Pouvez-vous évoquer ce passage du numérique au papier?
Ce fut une grande chance et une belle aventure de pouvoir mener le projet numérique Ma mamie en poévie avec François David, directeur littéraire de Møtus, poète, homme de papier ancré dans la petite édition. Très respectueux du travail de création, ses suggestions étaient toujours fort justes. Dans ce livre illustré par Elis Wilk, une petite fille fait le portrait tendre de sa grand-mère, atteinte de la maladie d’Alzheimer, fascinée par ses expressions poétiques, ses voyages imaginaires et les vieilles chansons françaises. L’album papier est né fin 2017. Versions papier et numérique coexistent désormais. Le livre connaît un grand succès; est sélectionné pour la Biennale Paul Hurtmans 2020 et a même fait l’objet d’une nouvelle édition.
Ligne éditoriale?
Je suis attentive à l’ambiance poétique qui se dégage de chaque ouvrage. En général, je rentre d’abord par le texte, avec une exigence certaine pour le style et le propos. Dès la première lecture, le texte d’Anne Crahay m’a paru sonner tout particulièrement bien à l’oreille, dans le rythme, les sonorités et la justesse des mots. À fleur de page, les émotions sont là. Les livres que je publie sont ceux que j’aurais adoré lire étant enfant. Je fais en sorte que mes valeurs rencontrent celles exposées dans nos livres. Ne pas mentir aux enfants, s’adresser à eux à hauteur de petits d’hommes, même si la thématique semble parfois dure, me semble vital. Tout est question de dosage et de subtilité. Côté illustrations j’ai une nette préférence pour les créations plus adultes. Dans l’esthétique wabi-sabi, on reconnaît la beauté et la poésie des choses imparfaites et modestes... Ainsi, pour les haïkus, loin du japonisme, tous les codes du visuel japonais sont présents.
Dans les projets que je publie, la décision est quasi immédiate comme lorsque Martina Arranda m’a présenté La brodeuse d’histoires au Wolf. Un vrai coup de cœur de même pour les illustrations de Kaatje Vermeire… Je suis d’ailleurs heureuse que la version française de De vraag van Olifant[2], devenu Éléphant a une question, une adaptation sensible d’Emmanuèle Sandron du texte de Leen Van den Berg, fasse partie de la présélection du prix Versele 2020. Plus récemment, j’ai eu besoin d’une parenthèse plus légère et le personnage dans l’histoire de Romane Lefebvre m’a paru très attachant. Cet album et celui de Nina Le Comte sur les migrants sont des projets de fin d’études effectués sous la direction d’Émile Jadoul et Francine Zeyen (ESA Saint-Luc de Liège).
En 2019-2020, les publications se succèdent…
Le sourire de Suzie d’Anne Crahay fait partie de la Petite Fureur de Lire et de l’exposition «1, 2, 3… maisons». Une histoire sur les difficultés à être soi-même, le besoin d’être aimé et l’injonction faite aux enfants de sourire pour nous rassurer. Un projet numérique prévu en 2020.
Des haïkus plein les poches: une introduction à l’art et à l’esprit du haïku, nourrie de poèmes écrits par des maîtres du genre et des enfants, lors d’ateliers animés par l’auteur Thierry Cazals, rencontré lors d’un salon du livre. Les illustrations sont de Julie van Wezemael (Académie royale des Beaux-Arts de Gand) dont j’ai découvert le travail en marge de la grande exposition de Carll Cneut à Gand.
Le haïku est comme un cercle
une moitié fermée par le poète
l’autre moitié par le lecteur.
(Seisensui Ogiwara)
Ce livre-atelier invite petits et grands à picorer ses 17 chapitres, à se lancer dans l’écriture au travers de quelques jeux poétiques et à se promener, le livre sous le bras. Il a nécessité deux ans de travail: Thierry m’a fait parvenir le texte petit à petit, m’interdisant dans un premier temps de commenter. Ont suivi plusieurs relectures. La narration du livre est très fluide. Thierry a su trouver le ton juste pour s’adresser aux adultes et aux enfants sans donner l’impression de leur faire la leçon. Julie a également créé une série de vignettes fort amusantes permettant au livre de respirer. Avec 2 versions: Sensei (édition limitée couverture cartonnée) et Petit Scarabée (édition brochée). Projet numérique prévu en 2021.
La brodeuse d’histoires, dans lequel les thèmes de la transmission et de l’illettrisme sont abordés avec beaucoup de délicatesse par Martina Aranda, diplômée de l’Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles. Un travail de l’ellipse – dans le texte et les illustrations – remarquable pour un premier album.
Début 2020 paraît De l’embarras au choix de Romane Lefebvre, une jeune Lilloise diplômée de l’ESA Saint-Luc à Liège. Un bonhomme, reclus chez lui, semble s’ennuyer. Un jour, une couleur se glisse dans sa maison et l’invite à sortir... Un album sur la difficulté de faire des choix et d’apprendre de ses erreurs pour toujours voir la vie du bon côté.
Ce printemps voit paraître De ville en ville, une balade poétique pour découvrir des villes imaginaires, au cours de laquelle le lecteur est invité à chercher le narrateur. L’album présente la particularité d’une lecture dans son sens horizontal ou dit «paysage», avec le texte en page supérieure et une illustration pleine page en page inférieure. Pour celui-ci, j’ai eu le plaisir de travailler avec Emmanuèle Sandron et Brigitte Susini.
Et Allers-retours, créé par Nina Le Comte, Bretonne, aussi diplômée de l’ESA Saint-Luc à Liège, qui vient d’effectuer un stage chez Milimbo[3], petit éditeur et atelier graphique espagnol. Cette jeune créatrice traite le thème de la migration avec une puissance évocatrice des images telle qu’elle se passe de mots! Avec un préambule aussi fort: «Le sentiment de la misère humaine est une condition de la justice et de l’amour» (Simone Weil, L’Iliade ou le poème de la force).
En projet?
Le chant du phare d’Alizée Montois, qui a étudié à l’Académie des Beaux-Arts de Tournai. L’histoire d’un marin échoué qui attend sa vague et décide de construire un phare à plus de 200 kilomètres des côtes. Avec une citation de Victor Hugo sur la puissance de la beauté en épigraphe.
Je nourris par ailleurs la volonté de faire collaborer auteurs et autrices francophones et illustrateurs et illustratrices néerlandophones, avec quelques très beaux projets dans les cartons! Enfin, je réfléchis également à l’aspect du livre, plus léger, plus abordable, étant écologiquement plus consciente.
Infos:
www.cotcotcot-editions.com
[1] «Odile Flament et CotCotCot: les artisans du numérique», Lectures, 182, septembre-octobre 2013, p. 72-76.
[2] Version néerlandophone parue aux éditions De Eenhoorn.
[3] www.milimbo.com