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Ole Könnecke: quand un grand Allemand fait rire les petits francophones

Ole Könnecke
Dominique Petre
13 avril 2018

Ce n’est pas une blague: certains de ses albums se vendent mieux en France que dans son propre pays. Rencontre avec un auteur/illustrateur venu du Nord.


Il y a 56 ans, Ole Könnecke naît à Göttingen, la ville chantée quelques années plus tard par Barbara. Mais lorsque la chanteuse aux yeux de biche visite sa ville natale, le petit Ole et sa famille ont déjà déménagé vers la Suède. C’est à Göteborg, où le magazine Schöner Wohnen, sorte d’équivalent allemand de Marie Claire Maison, envoie son père comme correspondant permanent, que le futur illustrateur passe sa petite enfance. Inutile de dire qu’Ole et sa famille connaissent le «hygge» avant le reste de l’Europe: «J’ai une photo de moi à trois ans sur une chaise d’Arne Jakobsen», raconte l’auteur. Le fait d’être entouré de belles choses modernes, avec des lignes sobres et claires, a très certainement marqué son style, tout comme la culture populaire ambiante: «J’ai grandi avec elle, et notamment avec les nombreux comic strips publiés dans les journaux suédois». A Francfort, où il a été récemment reçu par l’Institut de recherche sur le livre jeunesse («Jugendbuchforschungsinstitut») de l’Université Goethe[1], il a apporté ces livres qui l’ont influencé et qui portent des titres aussi exotiques que Felich od Tidsmakinen ou Barnens Bästa Jul de Olle Eksell, un graphiste scandinave devenu légendaire. «Regardez-moi cela, c’est presque du folklore, la modernité des années 60», commente Ole Könnecke, toujours aussi fasciné par la double page d’un album de son enfance.

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Mais comment font les Suédois pour être si forts en littérature jeunesse?
Mais comment font les Suédois pour être si forts en littérature jeunesse? Ce pays qui a enfanté Elsa Beskow, Astrid Lindgren et Sven Nordqvist est aussi celui qui a donné leurs mamans – apparemment déterminantes dans leur influence – à Kitty Crowther et à Anne Brouillard. «Dans les années 60 l’ambiance en Suède n’était pas comparable avec celle de l’Allemagne», poursuit Ole Könnecke, «à Göteborg, ce n’était pas mal vu de lire des BD. Cela a été un vrai choc culturel pour moi de redéménager vers l’Allemagne pour entrer à l’école.» A Hambourg, le ton est nettement plus sévère, les enfants jouissent de moins de libertés et Ole Könnecke apprend qu’il lui faut vouvoyer les adultes «ce qui ne se faisait plus du tout en Suède». L’influence du pays de son enfance ne se limite pas à quelques fanzines lus dans sa jeunesse; l’auteur/illustrateur est aussi traducteur à ses heures: c’est lui qui a adapté en allemand de nombreux albums d’Ulf Nilsson (Nos petits enterrements, Le meilleur spectacle du monde,…). Il arrive que la Suède influence jusqu’à son coup de crayon: «Dans une des histoires de Lola, j’ai dessiné un personnage en m’inspirant d’un chanteur suédois», explique Ole Könnecke, avant d’ajouter en souriant: «Mais personne ne l’a remarqué».

Après le lycée, il entre à l’université pour étudier la langue et la littérature allemandes… et il se met à dessiner. Sa carrière d’auteur/illustrateur commence comme un jeu, avec un concours de livre d’images organisé par l’éditeur Oetinger, qui promettait de publier le vainqueur. «J’ai atterri un peu par hasard dans le monde de l’album et j’ai mis très longtemps avant d’accepter que c’était ma voie», avoue Ole Könnecke. Pourtant la reconnaissance ne se fait guère attendre: en conséquence du concours il publie chez Oetinger son premier livre en 1990: Lola et les pirates, traduit deux ans plus tard en français.

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Curieusement, l’auteur/illustrateur reste assis entre deux chaises, celle de la BD et celle de l’album, alors qu’il n’a écrit qu’une seule vraie BD, Doktor Dodo schreibt ein Buch, qui remporte en 2002 le Prix Max et Moritz de la meilleure œuvre germanophone de l’année. A Francfort en janvier 2018, c’est à une journée d’étude consacrée à la BD qu’il est invité d’honneur, alors que ses livres sont clairement des albums. Est-ce la ligne claire et le style cartoon qui incitent à cette confusion des genres? Peu importe, le succès continue à sourire au grand illustrateur blond: en 2004, Du schon wieder, un texte de Zoran Drvenkar qu’il a illustré, fait partie de la sélection du Prix de littérature jeunesse allemand. Prix qu’il remporte un an plus tard avec l’album Die Kurzhosengang, (Le gang des culottes courtes, Folio Junior, 2009), l’histoire de quatre jeunes Canadiens devenus du jour au lendemain des héros, également écrit par Zoran Drvenkar mais sous le pseudonyme Caspak/Lanois (le livre prétend que ces deux auteurs sont canadiens et que le texte a été traduit de l’anglais!). En 2011, son imagier Das große Buch der Bilder und Wörter (plus tard traduit par L’Ecole des loisirs, Le grand imagier des petits) fait partie de la sélection du Prix de littérature jeunesse allemand.

Ses imagiers en français ont beaucoup de succès
Ce sont d’ailleurs ses imagiers qui connaissent le plus de succès en France. Le grand imagier des petits en est à son huitième tirage et fait partie de l’abonnement MAX de L’Ecole des loisirs. Et ce n’est pas étonnant, car ce qui ressemble à un imagier habituel cache une structure extrêmement bien pensée et des trouvailles pleines d’humour. A la page des moyens de locomotion, on commence par la poussette et la draisienne… pour terminer par la canne, le déambulateur et le fauteuil roulant.

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C’est Arthur Hubschmid qui découvre Ole Könnecke grâce à une illustration en noir et blanc de Fred und die Bücherkiste parue dans un quotidien allemand. Dans cet album, une déclaration d’amour au livre qui permet de s’évader de la réalité, un jeune vit une aventure sans s’en apercevoir car il est plongé dans la lecture. Le comique naît ici du mélange entre deux histoires, celle du texte et celle des illustrations. La version allemande est publiée en 1995 par Elefanten Press, un an plus tard L’Ecole des loisirs sort Mauvaise caisse! dans une traduction d’Arthur Schwartz. Depuis, l'éditeur parisien suit l’auteur/illustrateur même s’il ne publie pas tous ses titres – un peu plus de la moitié de la trentaine de livres qu’il a écrits ou illustrés est disponible en français. Elvis et l’homme au manteau rouge est publié en 2017 par La Martinière jeunesse «parce que L’Ecole des loisirs n’aime pas les livres de Noël», explique Ole Könnecke. Deux albums qu’il a illustrés pour d’autres auteurs sont publiés par La Joie de Lire: Jop, une histoire d’amitié entre un petit garçon – on pourrait le prendre pour le petit frère d’Anton – et son doudou (une taupe!) de l’auteur suédoise Gunnel Linde, et Mon papa a peur des étrangers, une histoire de l’auteur d’origine syrienne Rafik Schami.

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Du côté de la reconnaissance en France, signalons le Prix Tam-Tam du livre de jeunesse décerné en 1999 pour Lola et le fantôme. Aujourd’hui, l’auteur/illustrateur pose un regard critique sur ses premières œuvres comme la série des aventures de Lola. «Après 28 ans de métier, on remarque les fautes qu’on a faites étant jeune», explique-t-il en feuilletant Lola et les pirates édité en 1990. Et il insiste: «Lorsque j’ai fait cela je n’avais aucune idée de ce que c’est qu’un album». Que veut-il dire par là? «Je ne me suis soucié d’aucune règle et il y a du progrès à faire dans le layout… même si je reste tout de même très attaché à ce livre.». Quelles seraient donc les règles qu’il suivrait aujourd’hui pour concevoir un album? «Je ne peux et ne veux pas répondre à cette question. J’essaie de ne pas trop théoriser mon travail car cela me fait perdre la spontanéité», réplique l’auteur.

Il existe sept albums d’Anton, quatre de Lola et deux de Lester et Bob. Pourquoi est-t-il fan de la loi des séries? «J’aime tellement mes personnages que je veux continuer à savoir ce qu’il leur arrive», sourit Ole Könnecke. Le pauvre Anton va donc devoir vivre plusieurs mésaventures. «La première, Anton et les filles, s’est écrite toute seule, très rapidement et très facilement», commente l’auteur. Cette merveilleuse histoire raconte les vaines tentatives d’Anton pour attirer l’attention des filles du bac à sable. Pour le deuxième tome, Anton est magicien, Ole Könnecke doit davantage se creuser la tête.

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Finalement, c’est un poster pour un spectacle de magie, sur lequelle le prestidigitateur est coiffé d’un énorme turban exotique, qui l’inspire. «Un de mes oncles était magicien et avait une belle collection d’affiches, et c’est comme cela que celle-là a atterri dans mon salon». Avec cette image comme point de départ, il construit l’histoire: «La plupart du temps je pars d’une situation et puis je travaille, il n’y a pas de secret.»

Le sport, c’est merveilleux
A l’origine de son documentaire Le sport, c’est merveilleux, qui sortira à l’automne 2018 en français à L’Ecole des loisirs, il y a une demande de l’éditeur Hanser de faire un livre sur le sport. Commentaire à la Könnecke: «Comme c’est un thème qui a priori ne m’intéresse pas j’ai trouvé l’idée bonne». Selon les versions (il a été traduit dans 13 langues) les disciplines diffèrent: pour les Scandinaves il fallait du handball, tandis que les Australiens ont insisté pour avoir du cricket… «Franchement, j’ai essayé pendant trois jours de comprendre ce sport», raconte l’auteur/illustrateur. «Pour un documentaire comme celui-ci, il est essentiel de savoir de quoi on parle car c’est comme cela que l’on pourra réussir à expliquer les choses simplement». Pense-t-il être finalement parvenu à percer le mystère du cricket? «Je n’ai pas encore eu de retour des Australiens», sourit-il.

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Il était évident que dans la version d’origine allemande, le football allait être le premier sport présenté. «C’est aussi le seul à occuper trois pages», ajoute Ole Könnecke. Le titre allemand de l’album qui montre des animaux dans toutes sortes de positions acrobatiques, Sport ist herrlich, dévoile à lui seul la réserve de l’auteur pour les activités sportives, car la tournure un peu désuète a un petit côté ironique. «Je me suis retrouvé un jour dans une fête avec un éditeur qui qualifiait de “herrlich” chaque livre dont il parlait», raconte Ole Könnecke. «C’est cela qui m’a donné l’idée du titre».

Il a très longtemps «joué» avec les personnages de ses derniers albums, Lester le canard populaire, curieux et bavard et Bob, l’ours qui ne dit jamais un mot de trop, aussi différents qu’inséparables. «Je me suis dit que j'allais les faire parler dans des bulles, à la manière de l’éléphant et du cochon de Moe Williams, un auteur américain. Mais finalement j’ai opté pour une structure claire, sinon rigide: le texte sur la page de gauche, le dessin sur celle de droite et pour une introduction en début d’album». Comme dans la plupart de ses livres, les personnages sont au premier plan, ce sont de véritables personnalités et ce sont eux qui créent l’histoire.

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Ses albums ont tous des formats différents mais on retrouve, outre l’humour pince-sans-rire, un même style de dessin, très «cartoon», et une ligne claire. Une exposition qui lui est consacrée au musée d’Altona, à Hambourg, s’intitule judicieusement «tout simplement ligne-génial». L’outil de travail préféré de cet illustrateur, qui dit penser en noir et blanc, est un stylo comme ceux qu’utilisent les enfants à l’école, rempli d’une encre de fabrication japonaise. Il colorie ses images, mais pas trop, à l’ordinateur afin de pouvoir toujours faire marche arrière. A propos des ordinateur et  de la marche arrière: il a beaucoup travaillé sur écran mais en est un peu revenu: «Après douze ans, je me suis aperçu que mes illustrations étaient devenues un amas de petites images mises ensemble comme on ferait un puzzle». Ole Könnecke se rend compte qu’il passe du temps à essayer de faire paraître naturelles des illustrations créées sur ordinateur. Il se force alors à dessiner à la main des compositions entières, avec un bord délimité et parfois coloriées à l’aquarelle. «Au début c’était une véritable torture mais ensuite cela m’a procuré beaucoup de plaisir au travail et de satisfaction devant l’illustration finie», assure-t-il. Gageons que ses lecteurs auront autant de plaisir et de satisfaction à découvrir les derniers albums conçus de cette façon, comme Les aventures de Lester et Bob ou Le Sport, c’est merveilleux. Car à défaut d’être un grand sportif, Ole Könnecke est un auteur merveilleux.


[1] Lors d’une journée d’étude en l’honneur du Professeur Bernd Dolle-Weinkauff, spécialiste allemand de BD le 27 janvier 2018.

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