Rachel Corenblit, romancière de la résilience
Dans ses livres majoritairement destinés aux grands ados, l’écrivaine laisse son imagination tricoter la réalité de sa biographie, avec des résultats plus qu’attachants.
Dans ses livres majoritairement destinés aux grands ados, l’écrivaine laisse son imagination tricoter la réalité de sa biographie, avec des résultats plus qu’attachants.
La capacité d’un individu à résister psychologiquement aux épreuves de la vie. La résilience. C’est ainsi que Rachel Corenblit définit le thème central de son œuvre littéraire, soit une petite trentaine de textes. Née au Canada, l’autrice («On peut le dire, même l’Académie française a dû s’y faire», sourit celle qui avoue préférer le terme d’écrivaine) a roulé sa bosse de Jérusalem à Toulouse en passant par Nice, Paris et Marseille. Rien d’étonnant que ce soit à Francfort que Dominique Petre la rencontre pour Ricochet…
On la sent engagée et convaincue, l’enseignante qu’elle est a pris du temps sur ses vacances pour répondre à l’invitation d’un groupe de professeurs qui enseignent le français comme langue étrangère dans la région de Francfort[1]. «Tout le plaisir est pour moi», assure Rachel Corenblit, qui essaie de s’organiser au moins un rendez-vous par mois avec des lectrices et lecteurs: «Ces rencontres sont essentielles, car ce n’est que quand on est lu que l’on devient véritablement écrivain», estime-t-elle.
Elle a été invitée à Francfort parce que deux de ses livres ont fait forte impression aux professeurs allemands: 146298 et son petit dernier, pas spécialement destiné à la jeunesse, Les attachants.
Son «bestseller» est un numéro, celui qu’une jeune fille est en train de se faire graver dans la peau dans un studio de tatouage. «Je me suis demandé comment parler de la Shoah, un thème déjà traité des centaines de fois». Et elle a trouvé: 146298, c’est le tatouage que la grand-mère d’Elsa porte à l’avant-bras. Elle refuse d’en parler et se réjouit même de tout oublier avec la maladie d’Alzheimer. Lorsqu’Elsa comprend que sa mamie a survécu à l’enfer des camps, c’est elle qui retrace l’histoire en partant de chaque chiffre, et en se les faisant graver dans la peau. 146298 est un texte poignant, raconté en un jet et sous la forme d’un monologue (comme tous ceux de la collection «D’une seule voix» d’Actes Sud) qui parle visiblement aux adolescents, en Allemagne sans doute encore davantage qu’ailleurs. «C’est aussi parce que le thème est au programme scolaire que je fais tant de rencontres axées sur ce livre», commente Rachel Corenblit modeste, en précisant que le texte «a jailli très vite. Je l’ai écrit en une semaine environ».
Pas facile de venir en Allemagne, mais même quand c’est compliqué, il faut avancer
Dans les écoles dans lesquelles elle s’est rendue avant de s’entretenir avec les professeurs de Francfort, des élèves lui ont demandé ce que cela lui faisait de venir en Allemagne. «Je leur ai répondu que ce n’était franchement pas facile», avoue l’écrivaine aux fortes racines juives, «mais que la vie et la culture c’est cela: même quand c’est compliqué, il faut avancer». Et elle ajoute: «Je n’ai pas oublié que mes maîtres en philo s’appelaient Nietzsche, Kant ou Hegel, ce qui m’empêche d’avoir une vision manichéenne de l’Allemagne».
Les attachants, qui devrait peut-être s’appeler «Les attachiants» est qualifié lors de la rencontre de «cadeau que Rachel Corenblit a fait à toutes les enseignantes et tous les enseignants». Effectivement, Les attachants est un roman plus qu’attachant qui raconte l’histoire d’une jeune prof envoyée dans l’école primaire qui figurait en dernier sur la liste de ses vœux. «J’ai été moi-même enseignante en primaire», raconte Rachel Corenblit, «puis, comme maître formatrice, j’ai accompagné des profs débutants à l’abattoir». Celle qui a vu de jeunes enseignantes «s’effondrer sur le terrain» sait donc de quoi elle parle, et c’est sans doute ce qui fait la qualité d’un roman qui pose intelligemment la question de l’égalité des chances à l’école. «Un livre politique dans le meilleur sens du terme», comme le dit la quatrième de couverture.
Pour une autrice jeunesse française, Rachel Corenblit a un passé particulièrement international: née au Canada, elle a vécu en Israël jusqu’à l’âge de sept ans, l’hébreu est donc sa langue maternelle. «Pour moi, écrire c’était devenir française», explique celle qui est arrivée en France à l’âge où commence la scolarité obligatoire. Adolescente, elle participe à des concours d’écriture et consigne des histoires d’amour invraisemblables dans un «journal intime» qu’elle laisse traîner pour s’assurer d’avoir des lecteurs. «À l’internat, certains me regardaient d’un drôle d’air, preuve qu’ils l’avaient lu», se rappelle-t-elle aujourd’hui dans un éclat de rire. Elle fait ensuite des études de philosophie: «On passe son temps à lire, écrire et réfléchir, que demander de plus?».
Même si elle écrit depuis toujours, l’écrivaine mettra du temps à percer: «J’ai rédigé chaque année un roman, pendant six ou sept ans, mais seulement pour essuyer des refus et provoquer des sous-entendus ironiques dans mon entourage», raconte Rachel Corenblit.
L’endurance d’une coureuse de fond
«Pour être écrivain, il faut à la fois beaucoup de prétention et beaucoup d’humilité», commente l’autrice, «or il faut croire que cette dichotomie est en moi». Rachel Corenblit a l’endurance d’une coureuse de fond ou peut-être ne peut-elle tout simplement pas faire autrement? Elle persévère, jusqu’à cet été de 2006 où enfin, tout va changer. Elle est alors enseignante et installée à Toulouse… mais profite de la pause estivale pour écrire son «roman de l’année». «En vacances en Provence, j’ai rédigé un texte en une vingtaine de jours seulement – mais j’écrivais du matin au soir». Bingo! Non seulement les éditeurs du Rouergue acceptent de publier le manuscrit, mais ils n’y font aucune modification et ils expliquent même à Rachel Corenblit que c’est le livre qu’ils attendaient pour inaugurer une nouvelle collection, «doAdo monde»!
Le texte qui marque un tournant dans la vie de l’enseignante enfin reconnue comme écrivaine est Shalom Salam maintenant et s’inscrit parfaitement dans une collection qui entend «aborder l’histoire contemporaine, ses thématiques politiques et explorer la mémoire du siècle dernier». Le roman Shalom Salam maintenant fait revivre soixante ans d'histoire du Proche-Orient, de 1942 à 2006. Il n’a rien perdu de son actualité puisqu’il a été réédité dix ans après sa première parution. «Ce livre m’est très proche, en fait il raconte l’histoire de mon père et de ma mère», explique Rachel Corenblit. «C’est toujours délicat de parler d’Israël, je suis arrivée à sortir de la contextualisation historique en partant des personnages». Ce sont notamment Camille, d’origine juive et Chaïma, palestinienne, qui se retrouvent par hasard dans un hôpital toulousain et dont les destins familiaux sont liés. «L’histoire est à la fois vraie et romancée, puisque j’ai laissé mon imagination tricoter la réalité», explique Rachel Corenblit.
Sa vie et son œuvre sont intrinsèquement liées
On l’aura remarqué, sa vie et son œuvre sont intrinsèquement liées. Fraîchement arrivée en France, les murs de la chambre de sa baby-sitter, une voisine de 14 ans, sont tapissés de posters de Claude François. «Un chanteur que l’on retrouve dans Le métier de papa», raconte Rachel Corenblit. «On dit parfois que les enfants sont comme des éponges. Je pense que les écrivains ont gardé cette capacité d’absorber des choses… avant de les faire ressortir dans leurs romans», explique-t-elle.
Quand elle avait l’âge de ses lecteurs d’aujourd’hui, elle adorait Barjavel «un peu tombé en désuétude alors que La nuit des temps reste un chef-d’œuvre» et lisait tout ce que sa grand-mère ukrainienne gardait derrière les vitrines de sa bibliothèque. «J’ai eu une sorte de gourmandise sensuelle à caresser les couvertures et à découvrir une littérature pour le moins éclectique, d’Henri Troyat à Guy des Cars en passant par la Bible», relate l’écrivaine.
«J’essaie de laisser des interstices aux lectrices et aux lecteurs, de ne pas tout expliquer». Dans Lili la bagarre par exemple, une gamine de 10 ans qui veut «enterrer tout le monde», on sous-entend que les parents de la terreur du quartier sont en train de divorcer, sans rien expliquer. «Ce roman m’est cher parce que la maman de Lili est institutrice», explique Rachel Corenblit, «et c’est curieusement un de mes textes les plus politiques puisqu’il aborde la problématique des sans-papiers».
Une grande consommatrice de livres qui se réjouit de l’actuelle effervescence
Il y a deux semaines, dans la rue, un jeune lui a souri en l’appelant maîtresse: «Cela m’a fait plaisir d’entendre que cet ancien élève avait gardé de moi l’importance de la lecture». Rachel Corenblit reste elle-même une grande consommatrice de livres et se réjouit de l’effervescence actuelle dans le roman pour ados en France: «Il y a des choses excellentes qui paraissent, sur des thèmes difficiles, comme Samedi 14 novembre, un livre sur les attentats de Vincent Villeminot».
L’achat de ses livres à elle devrait-il être remboursé par la Sécurité sociale? On serait enclin à le penser: «Même triste, même abîmé, même détruit, on peut garder confiance», promet la romancière de la résilience.
[1] Le 27 février 2019, Rachel Corenblit, invitée par le groupe d’enseignant(e)s «LESartEN» intervenait à la bibliothèque «Au plaisir de lire» de Francfort-sur-le-Main.