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Rencontre avec Jo Witek - 2ème partie

Catherine Gentile
15 juin 2014


Suite de l'entretien que Jo Witek a accordé à notre correspondante Catherine Gentile au Salon du livre de Montreuil.



Catherine Gentile : Dans Mauv@ise connexion, publié chez Talents hauts en septembre 2012, vous abordez justement une situation de violence à laquelle une jeune fille est confrontée via Internet, où elle se trouve seule face à un prédateur.
Jo Witek : Oui. La narratrice, Julie Nottini, a dix-huit ans quand elle relate son histoire et quatorze au moment des faits. Elle a choisi le pseudo de Marilou pour tchatter et devenir une fille plus sexy et plus effrontée. Malheureusement, elle va croiser sur le Net un homme qui va la piéger, qui prend le contrôle.
Mauv@ise connexion est un roman, mais j’ai rencontré plusieurs jeunes filles qui m’ont dit avoir vécu la même chose que Julie / Marilou – en me précisant qu’elles ont su couper avant d’en arriver à la dépendance affective. Je me rends souvent dans les collèges et me rends compte de la violence de certains échanges entre adolescents. Rumeurs, délation, harcèlement ou simples moqueries répétitives... Nos « petits chéris» en groupe sont capables du pire et en ce sens Facebook est un catalyseur. Les jeunes se retrouvent parfois seuls face à cette violence, en eux et chez les autres. Les adultes référents, autres que les parents sont souvent des aides précieuses pour qu’ils puissent en parler. Je trouve d’ailleurs qu’au collège et lycée, un temps de parole de sujets d’actualité, de société ou de philosophie devrait être prévu en début de journée. On parle beaucoup des ados mais au finir, on les écoute peu. Les anglo-saxons sont en avance là-dessus.






Justement, la plupart de vos romans ont pour héros des adolescents. Mais on y trouve aussi de très beaux personnages adultes, qui n’ont pas oublié qu’ils ont été jeunes et qui savent parler aux jeunes, les rassurer, les accompagner.

Oui. Les rapports intergénérationnels m’intéressent, tout comme la lutte contre les clichés contre les jeunes, qui ont trop souvent mauvaise presse auprès de certains adultes. Dans beaucoup de mes livres, des personnages âgés se trouvent là au bon moment, pour ceux qui ont besoin d’être écoutés, d’être en confiance, d’être épaulés. Je pense à Robert Jean, le chef de bord du TGV, dans Peur express ; à la grand-mère de Xavier, dans Récit intégral (ou presque) de mon premier baiser et Récit intégral (ou presque) de ma coupe de cheveux ratée ; ou bien encore au Capitaine, dans En un tour de main. Je n’ai pas connu mes grands-parents, il faut croire que ce lien m’a manqué …






Extraits :

Récit intégral (ou presque) de mon premier baiser, p. 51 - 52, Seuil jeunesse, 2011

« La soirée d’hier a été géniale, contrairement à ce que j’avais imaginé.

Ma grand-mère m’a parlé avec beaucoup de franchise des rapports hommes / femmes, et j’ai vraiment apprécié parce que, dans ma famille, c’est bien la seule à s’être dit que son expérience pouvait m’aider.

Elle m’a dit à peu près ça : […] « Baudelaire m’a toujours aidée à sublimer l’amour, c’est pourquoi je veux t’offrir ce recueil. Sublimer, c’est voir toujours plus beau, plus grand, c’est se donner la chance d’aimer large, à la folie. […]

Je lui ai quand même demandé pourquoi on se sentait si seul quand on était amoureux, et pourquoi ni l’école ni les parents ne nous apprenaient rien sur ce sujet.
-    Parce que l’amour ne s’apprend pas vraiment. Si l’amour avait un mode d’emploi, on s’ennuierait à mourir. Mais tu as raison, notre société parle plus de fesses et de strings que de la relation amoureuse. […] L’essentiel, vois-tu, est que tu te sentes bien, que tu restes toi-même avec la personne aimée, et ce n’est pas toujours facile. L’amour est à la fois une descente en soi-même et une randonnée dans le cœur de l’autre. C’est un étonnant voyage mais, chaque fois que tu te sentiras perdu, je serai là pour toi. »


Peur express, p. 152, Actes Sud junior, 2012


« Clopin-clopant, Robert Jean avait fini par atteindre la voiture 8 pour découvrir, à bout de souffle, les deux jeunes adolescents au sol. Dylan menaçant le jeune Virgil d’un pistolet de collection. Virgil encore plus livide que la première fois, le visage balafré d’une tristesse insondable. Sans trop savoir pourquoi, il avait éprouvé une sorte de pitié face à ces deux gamins complètement perdus, oscillant un bref instant entre le rire, la peur et les larmes. Finalement, apercevant l’arme de collection du jeune Dylan, ses tremblements et son regard confus, il s’était dit que les trois pouvaient convenir quelle que soit la raison de cette stupide situation. Alors il s’était glissé dans son vieux pardessus de père de famille et avait naturellement repris les choses en main. Exactement comme il le faisait quand ses fils étaient encore adolescents et qu’ils réclamaient des limites. Son métier en ce sens l’avait toujours aidé dans sa vie familiale. Il savait garder son sang-froid, envisager les problèmes les uns après les autres, rappeler les règles de vie, punir parfois avec juste mesure, montrer le chemin aux voyageurs égarés. C’est ainsi que lui était venue l’idée de calmer les deux jeunes gens par un travail d’intérêt collectif. Une façon de canaliser leurs angoisses et de leur faire payer les actes délinquants sur le terrain. »


En un tour de main, p. 58, Seuil jeunesse, 2011


« Le Capitaine lui avait ouvert le sésame de sa vie d’artiste. […]

- Du haut de mes douze ans, je voulais toucher à tout et connaître tous les trucs, mais le Capitaine stoppa net ma prétention de jeune fougueux. Il m’invita à m’asseoir sur le lit-machine et me parla en "homme’’.

- Fiston, tu es doué, je le sens ! lui avait-il avoué dans l’obscurité de sa caverne d’Ali-Baba. Je vais donc passer beaucoup de temps à t’apprendre ce que je sais. Tu le mérites. »



Parlons à présent de l’écriture. L’une des questions que nous, lecteurs, nous posons fréquemment lorsque nous lisons un roman dont les héros sont des adolescents, concerne la manière dont ils s’expriment. Soit, l’auteur les fait parler avec des mots ou expressions d’adolescents, ce qui donne au final une impression d’artifice, soit il compose des dialogues corrects grammaticalement, dénués de jargon « jeune ». Comment faites-vous à ce propos ?

C’est simple : je ne me pose pas la question et je fais parler l’adolescente en moi. Évidemment, j’entends parler les adolescents, j’entends mes enfants. Je leur demande de temps en temps si l’on emploie encore tel ou tel mot ; si on va encore au « bahut » ou en « perm’» par exemple. Je m’amuse à glisser dans les dialogues des termes ou expressions qu’ils utilisent. Mais j’invente mon personnage tout en écrivant. Une fois qu’il est de chair, qu’il évolue dans son environnement, qu’il a un passé, je travaille par interprétation et je pars avec lui… Dans les dialogues, je ne cherche pas à « faire » ado, mais je retrouve l’ado que j’étais. Et parfois, je dis les dialogues à haute voix pour en éprouver la justesse.

L’écriture a toujours été très importante pour moi. J’ai vécu à l’âge de 14 ans une expérience douloureuse et fondatrice. J’étais en pension chez des religieuses et j’échangeais des lettres avec une amie. L’une des religieuses a surpris cet échange, a confisqué nos lettres et les a toutes lues. Un viol psychologique qui m’a salie. J’ai alors compris que l’écriture était importante, et j’ai arrêté d’écrire. Trop engageant, blessant. J’ai préféré devenir comédienne. Mais je me suis vite rendu compte que cela n’était pas ma voie : j’aimais le texte, l’étude du texte, les mots, mais je n’aimais pas être sur le devant de la scène…

Je me suis ensuite tournée vers le cinéma. Je lisais des scénarios et devais établir des fiches de lecture dans lesquelles je donnais mon avis. Cette expérience a, sans aucun doute, influencé mon écriture. Je réalise que, parfois, je pense en décors avant de penser en mots.


En effet, le livre qui est le plus en décor, c’est Peur express, il me semble, ce train qui roule dans la neige à grande vitesse...

Oui, le TGV est un décor romanesque formidable ! Dans ce train évoluent des personnages qui ne se connaissent pas, mais tous ont peur. C’est la première fois qu’ils voyagent seuls. J’ai choisi pour l’écrire d’adopter des changements de point de vue pour être au plus près des personnages. Cela n’est pas forcément simple pour les lecteurs d’ailleurs, notamment dans la première partie du roman. Mais je me refuse à simplifier trop, à faire la littérature qu’attendraient les jeunes. J’aime les surprendre ! Et puis, même s’ils ont parfois du mal à comprendre les points de vues narratifs en littérature, ils comprennent très bien en revanche, les plans serrés, plans larges, ou les mouvements de caméras suggestifs du cinéma.


Vous êtes aussi l’auteure de plusieurs documentaires, publiés aux éditions de La Martinière jeunesse : Tout savoir sur le sexe, sans tabous ni complexe, co-écrit avec Michel Piquemal ou le Dico de la jeune fille.

On y retrouve les thématiques qui vont intéressent. Mais ce travail d’écriture est très différent, non ?


Oui c’est Michel Piquemal qui m’a beaucoup aidée à débuter en jeunesse, qui m’a proposé d’écrire avec lui en 2009 un livre sur la sexualité destiné aux lycéens. Cette expérience d’écriture m’a plu et j’ai ensuite publié un dico autour de la féminité.








Le travail dans le livre documentaire est très différent de l’écriture de fiction. La notion d’âge se pose d’emblée, alors que ce n’est pas le cas pour un roman. Je suis convaincue que la lecture d’un roman n’est jamais dangereuse ; on peut toujours le fermer s’il dérange. Le lecteur laisse naturellement tomber si le début le dépasse ou le met mal à l’aise. En revanche, pour le documentaire, l’âge doit être ciblé car c’est une lecture plus transversale : on zappe. Je pense aux dicos des filles qui sont sortis en pagaille et qui s’adressaient au 11-16 ans ! Un monde sépare ces deux âges. C’est pourquoi j’ai choisi l’appellation de « jeune fille », expression un peu désuète mais qui rappelle que je m’adresse aux pré-pubères (10-13 ans). J’ai d’ailleurs accepté ce dico à condition d’y glisser des éléments sur les droits de la femme, des portraits de femmes, et une ouverture sur les cultures du monde.

Derrière l’apparente simplicité du texte documentaire, se cache beaucoup de travail en amont : la recherche documentaire tout d’abord, la phase de vulgarisation des informations proposées et le passage à la rédaction définitive du texte, qui doit délivrer des informations justes, claires et accessibles. Tout cela prend énormément de temps. C’est la raison pour laquelle je fais peu de documentaires car je veux le faire bien, et en complicité avec l’éditeur. Ce secteur de l’édition jeunesse est d’ailleurs en perdition, de plus en plus délaissé par les éditeurs parce qu’il se vend moins. Ils ne jouent pas encore la carte du numérique qui serait, dans ce domaine, un formidable outil, tant pour la mise en ligne rapide des informations que pour leurs mises à jour et la lecture transversale. Quelque chose est à trouver… à inventer, entre papier et numérique, l’un ne tuant pas forcément l’autre.

Mais je défends le documentaire. Il est plus que jamais nécessaire.

Les enfants et les adolescents ne font pas la différence entre l’information brute qu’ils trouvent immédiatement sur Internet, dont ils ne savent pas identifier la source et la validité, et l’outil documentaire, qui est pensé par des éditeurs, auteurs, et des spécialistes et mis à leur portée par un travail essentiel de vulgarisation et d’écriture. Ils ne hiérarchisent pas et sont peu critiques. J’ai travaillé dix ans en tant que rédactrice web, et journaliste, je sais donc ce qu’on trouve sur le net. Les données se récupèrent d’un site à l’autre, les erreurs se répandent et deviennent références… Le nerf de la transmission du savoir est là pour demain. Ne pas confondre l’information avec la connaissance. Les données avec les pensées.


Vous êtes aussi l’auteure de trois albums pour les petits : Les bras de papa rien que pour moi, Le ventre de ma maman, toi dedans, moi devant, Dans mon petit cœur illustrés par Christine Roussey, et publiés aux éditions de La Martinière jeunesse. Pouvez-vous nous parler de ce travail, spécifique encore, à destination des jeunes lecteurs ?








C’est une belle aventure. Un trio de femmes avec Béatrice Decroix, mon éditrice et Christine Roussey, l’illustratrice. J’ai écrit un premier texte d’album autour de l’attente du bébé, du point de vue émotionnel d’une petite fille. Un texte pour habiter cette attente de neuf mois. L’album a bien marché, alors la petite fille qui n’a pas de prénom a continué à exister. J’ai écrit deux autres textes autour de la relation au père, un autre qui explore les sentiments qui nous traversent d’un jour à l’autre. La petite fille devient presque une série… d’histoires. Toujours autour des émotions, de l’intériorité et d’un point de vue d’enfant. Le prochain sera autour des joies, de tous ces instants riches qu’il faut savoir apprécier et garder comme des trésors. J’ai voulu que ce soit tout simple, épuré. Pas de message pédagogique, ni éducatif, pas de grandes idées. Juste les émotions, le quotidien, et la découverte de soi aux travers des rapports aux autres. Je trouve que parfois les albums pour enfant deviennent des exercices de style. Des galeries d’art qui manquent terriblement d’humilité et de simplicité. Pour moi, un bel album est celui qui reste à hauteur d’enfant, avec une alliance forte entre le texte et l’image. Un subtil mélange de deux univers, avec une liberté de deux artistes. J’ai eu cette chance avec Christine et grâce au soutien de mon éditrice, nous n’avons pas besoin de nous parler des heures. Christine reçoit les textes. En retour, je reçois son univers. Nous nous surprenons l’une et l’autre, c’est une jolie complicité artistique. L’album fera l’objet d’une exposition et d’une résidence de Christine à la médiathèque de Valencienne cette année.

 

L’écriture pour le numérique vous intéresserait ?

Pourquoi pas. J’aimerais, si j’avais plus de temps, réfléchir à une forme d’écriture pensée pour le numérique. J’adorerais en tant que lectrice, m’abonner à un site payant, sur lequel je pourrais lire des textes inédits des auteurs que j’aime. La nouvelle est un genre qui me semble tout à fait à sa place en publication numérique sur abonnement. On pourrait aussi inventer un petit roman pour les jeunes avec des interactions narratives sur le Net ou des forums d’échanges autour des héros (les ados adorent écrire des fan fiction). Protéger les droits d’auteur sur le Net et règlementer nos publications ne doit pas nous empêcher de réfléchir, de nous amuser avec ces nouveaux médias. Je regrette en ce sens que les auteurs, les illustrateurs, les éditeurs, les développeurs du Net se rencontrent si peu pour inventer ensemble.

Même si on se croise sur les salons, nous n’avons jamais ou très peu l’occasion d’échanger vraiment sur nos métiers et l’évolution du monde de l’édition. Tout cela reste très informel.


Sur quoi travaillez-vous en ce moment ? Vos prochains livres ?

J’ai en projet un thriller qui traitera de la relation mère-fils. C’est l’histoire d’un héros abimé par une mauvaise relation avec sa mère névrosée. Mon héros ne sera pas loin de Virgil de Peur express, un être fêlé, solitaire, enfermé dans des TOCS, et qui ne bénéficie, pour seule lumière quotidienne, de l’écran de son ordinateur. L’intrigue se déroulera au cœur d’une famille aisée. Toujours ce thème de l’enfermement, qui m’est cher, mais cette fois dans la cellule familiale… qui n’est pas toujours – et surtout à quinze ans – un long fleuve tranquille !

Je travaille aussi sur un documentaire avec l’auteur Philippe Godard. Il s’agit de raconter sous forme de portraits, l’histoire de cinquante-six femmes qui ont marqué les XXe et XXIe siècles. Des femmes modernes, souvent courageuses et caractérielles. Bref, de vrais modèles féminins pour les filles et les garçons d’aujourd’hui. Un bouquin que j’espère familial à partager avec ses parents, grands-parents…

Et puis, deux projets de romans ados autour de thématiques essentielles aujourd’hui, parce que plus que jamais d’actualité : le droit à l’avortement et la prostitution du point de vue d’une fille de prostituée.


Le mot de la fin ?

J’adore écrire pour la jeunesse. On dit que les ados lisent peu. C’est vrai. Moins que ceux de ma génération ? Pas sûr. Ils lisent autrement. En tous cas quand ils dévorent un roman, ce sont des lecteurs hyper attentifs et sans pitié dans leurs commentaires. Avec eux, ça passe ou ils nous cassent de façon laconique. J’aime cette franchise dans les rapports humains, qui parfois, c’est vrai, s’étiole chez nous, les adultes…




Pour aller plus loin :

  • Fille-mère  (Prix Elle magazine, comptoir des Cotonniers 2004), parue dans Mères et filles, ouvrage collectif, Cherche-Midi, 2004
  • Tu aimeras la vie  (Prix La Noiraude/Lamballe 2003), parue dans Le Onzième Commandement, ouvrage collectif, Terre de Brume
  • Les Petites Valises, chroniques sur la maternité, éditées par Emma Floré, 2000 (mises en onde pour France-Culture par Blandine Masson)

Jo Witek travaille aussi dans l’écriture de textes pour le spectacle vivant, pour le cinéma et le journalisme.



16.6.2014