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Rire et réfléchir avec le talentueux Olivier Tallec

Fêter la langue française en Allemagne avec la lecture trilingue franco-germano-arabe d’un de ses albums, Louis Ier roi des moutons? Olivier Tallec a trouvé que ce n’était pas une mauvaise idée et il s’est même déplacé pour l’occasion. Invité à Francfort-sur-le-Main pour deux rencontres publiques en mars dernier[1], l’auteur-illustrateur est également intervenu dans de nombreuses classes[2] où il a répondu à de nombreuses questions. Cela aurait été dommage que les lecteurs et lectrices de Ricochet ne puissent pas en profiter.

Tallec
Dominique Petre
26 juin 2024

Des cartons de pizzas contre des livres
Né en 1970 en Bretagne, Olivier Tallec a toujours aimé dessiner. «Mes parents devaient m’obliger à aller à la plage», se souvient-il, «car je préférais rester dans ma chambre pour dessiner». À l’École supérieure des arts appliqués Duperré (Paris), il étudie le graphisme et la typographie. Après quelques beaux voyages - Asie, Brésil, Madagascar et Chili – il s’installe dans la capitale française et travaille comme dessinateur de presse et comme graphiste. 

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«Grand Loup & Petit Loup» de Nadine Brun-Cosme; le dessin de la couverture de «C’est mon arbre» montré par Olivier Tallec au Lycée français de Francfort et Dagfrid, l’héroïne nordique d’Agnès Mathieu-Daudé (© Père Castor, © Dominique Petre, © L’école des loisirs)

«Quand je me suis retrouvé à gagner ma vie en dessinant des cartons de pizzas à emporter, je me suis dit que quelque chose devait changer», explique-t-il un sourire aux lèvres. Olivier Tallec ne s’était jamais imaginé illustrateur jeunesse, mais les rayons fournis des librairies font naître en lui cette nouvelle idée. «J’ai choisi une dizaine de dessins et j’ai fait le tour des éditeurs», raconte-t-il. Un premier essai couronné de succès, puisque Gallimard Jeunesse lui demande d’illustrer un livre CD écrit par Emmanuel Viau, Anton et la musique cubaine, qui est publié en 1998. Aujourd’hui, Olivier Tallec est très critique vis-à-vis de ses premières commandes: «Je me contentais de dessiner au lieu de raconter des choses». Cela n’empêche pas les demandes d’affluer; plusieurs centaines d’histoires comme celles de Rita et Machin, de Grand loup & Petit loup ou des livres d’observation ludiques Quiquoi doivent leurs images à Olivier Tallec. 

Un illustrateur devenu auteur
Depuis une quinzaine d’années, l’illustrateur Olivier Tallec est devenu auteur. Il a réalisé une quinzaine d’albums «tout seul»: «C’est une énorme satisfaction d’avoir en main un objet dont on est responsable du contenu et de la forme», commente-t-il, avouant que l’écriture l’impressionnait: «Il m’a fallu du temps avant de pouvoir me dire que je pouvais concevoir images et texte d’un album. Ce n’est sans doute pas un hasard si le premier livre que j’ai réalisé tout seul était un livre dépourvu de mots, et le second un livre-jeu. Le texte est venu petit à petit». 

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Un t-shirt Lacoste signé Olivier Tallec et «Louis Ier roi des moutons»: un album présenté en trois langues à la bibliothèque de Francfort avec Noha Hamdy et Olivier Tallec (© Olivier Tallec pour Lacoste, © Actes Sud Sindbad, © Dominique Petre)

Vu le succès remporté par les histoires qu’il a écrites, comme Louis Ier roi des moutons, une fable sur les abus du pouvoir ou C'est mon arbre, une histoire sur la propriété, il aurait été dommage qu’Olivier Tallec ne franchisse pas le pas. Mais pour lui, les images constituent une histoire dans l’histoire: «Il n’est donc pas correct de parler d’illustration d’un texte», affirme-t-il. Il continue d’ailleurs avec plaisir à dessiner des histoires écrites par d’autres auteurs et autrices comme la série des Dagfrid imaginée par Agnès Mathieu-Daudé pour L’école des loisirs.

Davantage de plaisir avec le papier 
Dans un carnet qu’il montre volontiers aux élèves francfortois, Olivier Tallec note ses idées et fait de premières esquisses: «Je construis mes histoires en faisant les deux en parallèle» explique-t-il. Pour chaque livre, il réalise à peu près un tiers de dessins en plus de ceux contenus dans l’album final. «Certains sont parfaitement réussis mais ils ne collent pas dans le découpage définitif», commente Olivier Tallec en montrant dans les classes quelques exemples concrets. Combien de temps lui faut-il pour finir un dessin et quelles techniques privilégie-t-il? «Une à deux journées complètes pour une peinture dans un format proche des grands albums» et «la gouache, l’acrylique et le crayon», répond l’auteur-illustrateur qui précise: «peindre sur papier me procure davantage de plaisir que d’utiliser une palette graphique sur tablette ou ordinateur».

Olivier Tallec
Une illustration issue d’«Abécébête», une couverture d’album qui suscite des questions à l’École Europénne et un dessin qui n’a pas trouvé sa place dans un album (© Actes Sud, © Dominique Petre, © Dominique Petre)

La couverture? «C‘est souvent la dernière image à laquelle on s’attelle, elle doit résumer ce que l’on veut dire de l’histoire». Olivier Tallec est un grand amateur de typographie et il n’est pas rare qu’il réalise le titrage, comme pour C’est mon arbre ou Le roi et rien, toutes deux réalisées avec la technique de la carte à gratter.

Inspiré par une question d’enfant
Où trouve-t-il son inspiration? Olivier Tallec répond avec un exemple concret: «J’étais assis sur un banc à côté d’une grand-mère et de son petit-fils. Celui-ci lui a demandé: “Mamie, qu’est-ce qu’il y a après rien ?” et je me suis dit: “un début d’histoire”». Plus généralement, Olivier Tallec pense que «l’inspiration, c’est la mémoire des choses»: «tout sujet est un bon sujet pour un livre… à condition de trouver la bonne manière de le raconter». Pour Un meilleur meilleur ami«Je me demandais ce que c’était qu’un ami et s’il faut nécessairement en avoir un meilleur ou s’il vaut mieux en avoir plusieurs». Pour C'est mon arbre: «J’ai eu envie de consacrer un livre au thème de la propriété. J‘écoute souvent la radio et les nouvelles en travaillant», poursuit Olivier Tallec, «et le mur que les États-Unis érigeaient à la frontière avec le Mexique a influencé celui construit par l’écureuil dans l’album». 

Olivier Tallec
«Les nouvelles aventures de Rita et Machin», un film tiré des albums de et Olivier Tallec publiés chez Gallimard, photo de classe avec auteur et dédicace dans l’école Textor de Francfort (© Eurozoom, © Dominique Petre, © Dominique Petre) 

Une star sans nom issue d’un logo de caisse d‘épargne
C'est mon arbre est son plus grand succès. Pourquoi avoir choisi un écureuil en guise de protagoniste? «Au début, c’était un koala, j’ai essayé avec un chien aussi mais quelque chose ne fonctionnait pas…», répond Olivier Tallec. «Il me fallait un personnage solitaire, un peu égoïste. J’ai vu l’écureuil sur le logo de la caisse d’épargne, et comme j’éprouve un grand plaisir à dessiner cet animal très graphique, le tour était joué». L’auteur-illustrateur précise: «Mon but n'était pas de dessiner un écureuil réaliste – d’ailleurs beaucoup pensent qu’il ressemble à un renard. Ce sont les expressions qui m’intéressent». 

Au fur et à mesure des albums C’est mon arbre, Un peu beaucoup, J’aurais voulu et Un meilleur meilleur ami, l’écureuil est devenu une véritable star avec une vingtaine de traductions et des objets dérivés: des sacs en papier «c’est mon/ma libraire», un doudou de Moulin Roty «c’est ma peluche», un jeu, une lampe de poche… Et bientôt une série d’animation. 

Comment l’écureuil se prénomme-t-il? «Au départ, je ne prévoyais qu’une histoire avec lui, C’est mon arbre, qui se déroule principalement dans sa tête», répond Olivier Tallec. «Je n’ai donc pas ressenti le besoin de lui donner un nom. Maintenant qu’il est le héros de plusieurs albums, c‘est une question que l’on me pose souvent et qui sera le thème d’un épisode de la série d’animation sur laquelle je travaille actuellement».

Olivier Tallec
L’écureuil d’Olivier Tallec aurait-il voulu devenir une peluche ou un sac ? (© Pastel, © Moulin Roty, © compte instagram Olivier Tallec)

À Francfort, dans la cour de récréation de l’École européenne, un bel écureuil roux croise le chemin d’Olivier Tallec… retournant malheureusement dans «son» arbre avant de se laisser prendre en photo avec l’auteur-illustrateur.

Beaucoup de temps pour Le roi et rien
À Francfort-sur-le-Main, Olivier Tallec a également présenté la version allemande de Le roi et rien, l’histoire d’un roi qui a tout et à qui il ne manque donc qu’une chose: rien. Un album sur lequel l’auteur-illustrateur a passé plus de temps que d’ordinaire: «S’attaquer à ce concept philosophique, ce n’était pas rien», sourit Olivier Tallec.

L’humour est omniprésent dans ses albums. Même le livre qu’il a réalisé pendant le confinement, Le livre des arbres et des plantes («visiblement j’étais en manque de nature») est drôle. Son humour se fait plus piquant dans les quatre livres de dessins humoristiques publiés par Rue de Sèvres, qui s’adressent à un public plus âgé.

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Deux princesses lisent «Le roi et rien» lors de la présentation bilingue de l’album à la bibliothèque pour enfants KiBi de Francfort (© Dominique Petre, © Gerstenberg Verlag, © Dominique Petre)

Son album préféré: Trois cailloux, le dernier
Son livre préféré? «C’est toujours le dernier que j’ai réalisé », répond Olivier Tallec, « car je n’en vois pas encore les défauts».  Celui qui, après 25 années d’expérience, commence seulement à être moins sévère envers lui-même ajoute en souriant: «Je suis un éternel insatisfait».

À Francfort-sur-le-Main, les enfants qu’Olivier Tallec rencontre ont droit à une avant-première: la lecture de son dernier album, Trois cailloux, sorti peu après sa visite en mars 2024 chez Pastel. «J’avais envie d’écrire une histoire sur ce que c’est que de se sentir chez soi et sur la migration» explique-t-il, précisant: «Quand j’étais petit, mes parents déménageaient tous les trois ans et j’étais bien obligé de suivre le mouvement».

Le pitch de l’album? Trois cailloux se font chasser du sommet de la montagne où ils se sentaient chez eux puis de tous les endroits où ils atterrissent. «Au début», raconte Olivier Tallec, «j’avais pensé à des bâtons, mais après réflexion j’ai opté pour des pierres. Elles sont sans jambes ni bras alors forcément, quand elles migrent, ce n’est pas de leur plein gré».

Olivier Tallec
«Trois cailloux» et trois artistes: Jörg Mühle, Anke Kuhl et Olivier Tallec s’échangent des albums à Francfort et une dédicace «c’est ma classe» (© Pastel, © Dominique Petre, © Dominique Petre) 

Les enfants, très observateurs, ont remarqué que ses albums se terminent souvent par une double-page sans texte, comme une sorte de dénouement final alternatif. Olivier Tallec leur explique qu’il privilégie les fins ouvertes parce qu’il estime «n’avoir aucune leçon à donner». «Mon but», conclut l’auteur-illustrateur, «c’est que l’enfant ou l’adulte, quand il referme un de mes livres, continue à réfléchir».

Le grand talent d’Olivier Tallec est d’y parvenir avec des livres qui font également rire.


[1] Invitation conjointe de l’Institut français Frankfurt, de la bibliothèque municipale Stadtbücherei Frankfurt, de l’éditeur Gerstenberg et de l’association de parents du Lycée français UPEA
[2] La Textor Schule, le Lycée Français Victor Hugo et l’École Européenne de Francfort-sur-le-Main

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Olivier Tallec

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