Roland Godel : la place du coeur !
Roland Godel vit à Genève (Suisse). Il est auteur de livres pour la jeunesse. Ses deux derniers romans ont reçu de très belles distinctions : le prix Gulli pour Dans les yeux d’Anouch paru aux éditions Gallimard jeunesse, et le prix Unicef pour J’ai osé dire non ! paru aux éditions Oskar. Après des études en sciences politiques et des années dans le journalisme, il travaille aujourd’hui en communication au service d'un conseiller d'Etat genevois.
Nathalie Wyss : Quelle place ont les histoires dans votre vie ?
Roland Godel : La place du cœur ! C’est quelque chose qui m’accompagne tout le temps, parfois jour et nuit, et même dans les moments où je n’écris pas. Ça fait partie de moi et ça ne laisse pas énormément d’espace pour d’autres occupations !
Qu’est-ce qui vous inspire ?
Les gens, avant tout, avec leurs particularités, leurs failles. Les relations entre les gens, les émotions, les sentiments qu’on exprime ou ceux qu’on essaie de cacher. Dans mes livres, j’aborde des sujets très variés, mais ça tourne toujours autour des personnes et de ce qu’elles croient, de ce qu’elles vivent et ressentent.
Comment écrivez-vous ? Vous laissez-vous porter par l’histoire ou établissez-vous un plan au préalable ?
Les auteurs de romans qui vous disent qu’ils avancent sans plan, au fur et à mesure de leur inspiration, je ne les crois pas ! Un roman, c’est quelque chose de construit, comme une maison. Elle doit avoir du caractère, elle doit être agréable, et elle doit tenir debout. Il faut d’abord imaginer sa forme générale, puis construire les étages, les chambres, les couloirs. Il faut de l’harmonie, de la logique interne. Puis on y met les meubles et la décoration, et c’est là-dedans qu’on fait vivre les personnages. Un roman, c’est un travail de création mais c’est aussi de l’artisanat !
Le génocide arménien, le harcèlement, une catastrophe écologique, la chasse aux sorcières, l’homosexualité : les thématiques de vos livres ne sont pas toujours faciles. Est-ce voulu ainsi ? Comment les enfants et les adolescents appréhendent-ils cela ?
C’est vrai, je traite de sujets de société souvent délicats sur lesquels chacun de nous peut s’interroger, comme la tolérance, la misogynie, les différences religieuses ou culturelles. Je suis convaincu que les enfants et les adolescents comprennent beaucoup plus de choses que ce qu’on s’imagine. Ce sont des lecteurs sensibles, attentifs et pointus, ils sont ouverts et ressentent les émotions sans être enfermés par les préjugés et par le cynisme qui viennent à l’âge adulte.
L’histoire de votre grand-mère arménienne est retranscrite dans votre roman Dans les yeux d’Anouch. Avez-vous visité l’Arménie pour écrire cette histoire ?
Non, pas l’Arménie, car ma grand-mère était une Arménienne de Turquie. J’ai en effet visité certains lieux de son enfance pour mieux me représenter l’environnement et l’atmosphère. Mais j’ai aussi beaucoup travaillé avec des archives.
Les histoires peuvent-elles aider à guérir ?
Je crois qu’elles peuvent surtout aider à grandir, à mûrir et à construire notre univers intérieur. Même si l’on oublie les détails d’un roman avec le temps, les émotions que nous avons ressenties à sa lecture restent quelque part et font partie pour toujours de notre « moi ».
Quels sont les prochains thèmes que vous aimeriez aborder ? Et y en a-t-il que vous ne pourriez pas aborder ?
A priori, je n’ai pas de tabou. Même la mort ou l’amour charnel peuvent être abordés en littérature jeunesse, si c’est fait de manière délicate et appropriée. Dans ce que j’écris, il y a toujours une dimension humaine qui touche les frustrations, les incompréhensions, les peurs, les désirs, les révoltes.
Selon vous, qu’est-ce que les adolescents attendent de leurs lectures ?
Souvent, ils cherchent l’évasion dans une aventure fantastique avec des personnages dotés de pouvoirs extraordinaires qui font rêver. C’est vieux comme le monde, ça renvoie aux textes d’Homère, au périple d’Ulysse, et même à la Bible ! Mais quand ils tombent sur un roman réaliste qui parle avant tout de la vie et des relations entre les gens, ils découvrent qu’ils peuvent être très touchés parce que ça les renvoie à leurs propres fragilités, à leurs doutes et à leurs interrogations.
Vous allez à la rencontre des jeunes dans les classes, avez-vous un souvenir marquant lié à ces rencontres ?
Un jour, j’avais dans une classe une jeune fille voilée. Elle était très belle, avec de grands yeux verts et un foulard bleu ciel qui lui enveloppait le visage et le cou. J’ai tout de suite senti qu’elle buvait mes paroles, il y avait comme une onde qui passait entre nous. À la fin, elle est venue faire dédicacer son livre et m’a dit timidement : « J’ai adoré votre histoire, elle m’a tellement touchée ; vous savez, ce que j’aime le plus dans la vie, c’est lire. » Là, j’ai su pourquoi j’écrivais ! Rencontrer cette fille qui recevait sans doute une éducation assez stricte à la maison et dont l’esprit s’échappait par la lecture et par les émotions, c’était un vrai cadeau pour nous deux.
Quel est le livre qui a marqué votre enfance ?
À mon époque, il n’existait pas tout cet immense choix de très bons livres pour adolescents. Il y avait des collections un peu niaises, des séries pour les filles et d’autres pour les garçons. Sinon, il y avait les classiques comme Robinson Crusoé ou L’Ile au trésor. Alors les bons lecteurs passaient très tôt aux livres pour adultes. J’ai lu très jeune Les Misérables de Victor Hugo, et ça m’avait fait l’effet d’une révélation.
Lisez-vous les livres de vos confrères ?
Autant que je peux… mais il y a tellement de bons livres pour les adolescents ! Je conseille à tout le monde, jeune ou adulte, de lire Maintenant, c’est ma vie, de l’auteure anglaise Meg Rosoff. Un roman étrange et bouleversant.
Qui sont vos premiers lecteurs ?
À mes débuts, c’étaient mes enfants. Ils me faisaient des critiques très pertinentes, ils repéraient dans mes manuscrits des invraisemblances, des lourdeurs, des longueurs, des contradictions. Aujourd’hui, ils ont dépassé l’âge de mon public. Et moi j’ai un peu appris le métier d’écrivain. Alors, bien souvent, mon premier lecteur est l’éditeur à qui j’envoie mon projet.
Avez-vous des livres en cours en ce moment ?
Je suis en train de travailler pour une future collection de romans courts sur la thématique des droits des enfants, une proposition que m’ont faite les éditions Oskar. Cette belle idée leur est venue après que nous ayons remporté le prix Unicef pour mon roman sur le harcèlement scolaire ! Et j’ai aussi sur mon bureau un gros projet de saga historique…
Le site de l'auteur : www.rolandgodel.com
24.05.2017