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Se laisser transporter par Timothée

Les épopées ne lui font pas peur, au contraire: rencontre avec Timothée de Fombelle, époustouflant raconteur d’histoires.

Timothée de Fombelle
Dominique Petre
27 mars 2025

Son souffle narratif a fait trembler les feuilles d’un grand chêne dans Tobie Lolness, se déplacer un dirigeable dans Vango et naviguer un voilier de traite dans Alma. Ne demandez pas à Timothée de Fombelle d’écrire une histoire à ne pas couper le souffle. «J’ai essayé», commente-t-il lors de son passage à la dernière Foire du Livre de Francfort : «Avec Victoria rêve, je voulais raconter le quotidien terre à terre d’une adolescente. Il n’a pas fallu plus de cinq lignes pour que je me laisse emporter dans son imaginaire». Il ne peut pas faire autrement mais ses lecteurs et lectrices ne lui en veulent pas, bien au contraire: ils et elles adorent se laisser transporter par les palpitantes histoires de Timothée.

Timothée De Fombelle
«101 façons de lire tout le temps», une ode à la lecture de Timothée de Fombelle illustré par Benjamin Chaud, «Victoria rêve» ou l’impossibilité de conter le quotidien, «Je danse toujours», un texte pour le théâtre et l’auteur au milieu des champs (© Gallimard Jeunesse, © Gallimard Jeunesse, © Actes Sud,  © Chloé Vollmer-Lo Gallimard Jeunesse)  

Un héros de 1,5 mm de haut
«Tobie mesurait un millimètre et demi, ce qui n’était pas grand pour son âge». La première phrase du premier roman de Timothée de Fombelle, Tobie Lolness (T. 1). La vie suspendue constitue un excellent exemple d’incipit accrocheur. Comment a-t-il eu l’idée d’un si petit protagoniste? «Il fallait que le voyage dans un arbre dure plusieurs jours», répond l’écrivain comme si la réponse allait de soi, «et il y avait aussi l’idée que le peuple de Tobie puisse rester pratiquement invisible». Autre argument de taille: paradoxalement, la petitesse du protagoniste décuplait l’ampleur du récit: «L’effet de loupe permettait, en réduisant le héros, de rendre tout plus grand, la vie plus belle, plus dangereuse», explique Timothée de Fombelle.

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«Tobie Lolness»: un petit héro et un énorme succès. La couverture de la traduction allemande et une illustration de François Place (© Gerstenberg Verlag, © François Place Gallimard Jeunesse)

Invisible sur l’écorce d’un arbre mais pas sur les étagères des librairies ou bibliothèques. Tobie Lolness s’est vendu à 1,6 million d’exemplaires (dont 600 000 en français) et il a été traduit dans 28 langues, ce qui, pour un premier roman, est vraiment énorme. «Lorsque le projet a été présenté à la Foire de Bologne», se souvient l’auteur, «avant même que la version française ne sorte, le livre était déjà en cours de traduction dans une quinzaine de langues».

Certes, Timothée de Fombelle avait déjà écrit des textes, il était même en train de percer comme auteur de pièces de théâtre. Je danse toujours avait été publié par Actes Sud et maintes fois joué, y compris à Avignon.

L’histoire de Tobie Lolness avait doucement éclos depuis l’enfance: enfant, l’auteur passait ses vacances dans le bocage des Deux-Sèvres, à jouer dans les bois, à faire des cabanes et à se raconter des histoires.

N’empêche, le succès de Tobie Lolness a surpris Timothée de Fombelle qui, ne parvenant pas à se décider entre la littérature jeunesse et la littérature générale, avait envoyé un exemplaire du manuscrit aux deux départements. Si Tobie est devenu un héros chez les ados, c’est grâce au coup de foudre immédiat de Catherine Bon, éditrice chez Gallimard Jeunesse. «C’est aussi elle qui a proposé de faire illustrer le livre par François Place», se souvient Timothée de Fombelle. Le courant passe entre l’auteur et l’illustrateur, qui a également mis en images la trilogie Alma

Un projet d’adaptation «hors-norme et irraisonnable»
Vu le succès de Tobie Lolness (T. 1). La vie suspendue, éditeurs et lecteurs réclament une suite. Ce sera Les yeux d'Elisha, en 2007. «Quand j’ai dit oui je ne l’avais pas encore écrit mais je l’avais déjà dans ma tête», commente Timothée de Fombelle.

Inattendu: il faut attendre quinze ans pour que Tobie Lolness le «long-seller» soit adapté à l’écran, en une série d’animation produite par Tant Mieux Prod en coopération avec Umedia. Timothée de Fombelle souligne «le choix courageux des télévisions française et allemande» de conserver l’idée d’une grande histoire; les 26 épisodes doivent donc idéalement se voir dans un ordre chronologique. 

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«Tobie Lolness», une série franco-allemande animée de 26 x 26 minutes (© Tant Mieux Prod et Umedia)

«26 x 26 minutes, cela représente un travail titanesque quand on sait qu’il faut une journée entière pour produire sept secondes de film», commente l’auteur. «Il s’agit d’un projet hors-norme et irraisonnable». Adapter un livre, c’est accepter que naisse un nouveau produit, différent: «Les producteurs ont souhaité baisser l’âge du public cible», explique Timothée de Fombelle, «et les dessins de François Place n’ont pas servi à l’adaptation parce qu’il existe une plasticité propre au film d’animation». L’auteur est fier que la série ait été produite à Angoulême, Annecy, Paris et Liège et non délocalisée à l’autre bout du monde. Ce qui l’a également réjoui: «De nombreuses personnes qui ont travaillé sur le film avaient lu Tobie Lolness à 13 ou 14 ans et étaient particulièrement motivées à l’idée de pouvoir animer un héros de leur jeunesse».

«J’ai mis dans Vango tout ce que l’on ne pouvait pas mettre dans un arbre»
Autre histoire, autre héros, un jeune homme de 19 ans qui escalade la façade de Notre-Dame et se déplace en zeppelin: Vango. Le premier tome de ses aventures, Vango (T. 1). Entre ciel et terre sort en 2010 et porte bien son titre puisque le jeune fugitif semble ne pas être aussi sensible que nous aux lois de la gravité.

«J’ai mis dans Vango tout ce qui m’avait manqué dans le monde miniature de Tobie et tout ce que l’on ne pouvait pas mettre dans un arbre», raconte Timothée de Fombelle: «Des grands dirigeables mais aussi ma ville, Paris, et le New York des années trente». Trois des grands-parents de l’auteur sont nés, comme Vango Romano, en 1915. Un de ses grands-pères, qui avait pensé à s’évader alors qu’il était prisonnier de guerre en Allemagne en 1940, a inspiré à Timothée de Fombelle l’histoire du héros en fuite.

Après Vango, Timothée de Fombelle raconte dans Le livre de Perle l’histoire d’un autre fugitif chassé du monde des contes de fées et tombé dans le nôtre une nuit d'orage. À propos de contes de fées, Timothée de Fombelle aimerait leur dédier une exposition d’objets. Il est déjà occupé à les rassembler: «J’en ai trouvés certains et créés d’autres. Mon concept consiste à attaquer les contes par le réel». Voilà qui donne déjà envie de découvrir l’expo. L’idée lui est venue après qu’un éditeur anglais lui a commandé une histoire sur la base d’un objet – une médaille de guerre en bronze ornée d’un galon bleu. L’histoire est celle d’une petite rouquine de cinq ans et demi, Capitaine Rosalie, qui s’est donné une mission. Un album magnifiquement illustré par la Canadienne Isabelle Arsenault, d’abord publié en anglais et qui s’est retrouvé dans la sélection pour le Prix de littérature jeunesse en Allemagne. Les histoires de Timothée de Fombelle traversent les frontières aussi facilement qu’un dirigeable.

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«Vango» ou un héros entre ciel et terre, «Capitaine Rosalie» et une photo de Timothée de Fombelle enfant en Côte d’Ivoire (© Gallimard Jeunesse, © Isabelle Arsenault, © Timothée de Fombelle privé)

Avec Alma, embarquer les lecteurs de Tobie et de Vango
«Je m’y suis mis en 2015 et neuf ans plus tard les trois tomes étaient là», raconte Timothée de Fombelle quand il est question de sa dernière saga, celle d’Alma. L’auteur a passé une partie de son enfance en Afrique, son père architecte avait un projet à Abidjan en Côte d’Ivoire. «J’avais 13 ans lorsque j’ai visité les forteresses au Ghana où les esclaves étaient triés», poursuit Timothée de Fombelle, «et j’ai su qu’un jour j’écrirai là-dessus. Je voulais embarquer les lecteurs de Tobie et ceux de Vango». Il y est parvenu malgré quelques critiques d’acculturation: «Un éditeur anglophone a décidé de ne pas traduire le livre afin de ne pas ajouter une voix blanche pour raconter l’esclavage», raconte Timothée de Fombelle, «mais un autre éditeur l’a sorti.  J’avais accumulé suffisamment d’expertise sur le sujet afin de pouvoir répondre aux objections, et le livre ne s’est pas seulement bien vendu, il a suscité aussi de très nombreux témoignages positifs».

Alma, c’est une épopée en trois tomes, une fresque historique et un roman haletant. Comment se sent-il après avoir écrit les 1 300 pages de cette histoire? «Je vais faire un roman en un volume pour m’offrir une petite respiration», répond Timothée de Fombelle en souriant. 

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«Alma» illustrée par François Place et «Neverland», un essai pour sur l’enfance (© François Place, Gallimard Jeunesse, © Folio)

L’auteur a plus d’une corde à son arc: «Je viens de terminer un album sur le thème de l’enfance, je mets en scène un texte de Noëlle Renaude au théâtre et je vais jouer le personnage de Jean-Louis Trintignant dans le prochain film de Diane Kurys».

L’écrivain, premier maillon de la chaîne
Il vient du théâtre, mais la littérature a pour lui un gros avantage: «Le plaisir de ne pas avoir à demander l’autorisation de créer. Quand on écrit on est le premier maillon de la chaîne». Ce qu’il aime dans la littérature jeunesse? «C’est que le public se renouvelle tous les trois ans», sourit Timothée de Fombelle. Plus sérieusement, il adore écrire pour ce public exigeant qu’il faut arriver à intéresser. 

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Timothée à Francfort: dédicaces au Lycée français, «101 Façons de lire tout le temps» exposé dans la vitrine d’un supermarché et l'auteur moins grognon qu’un Schtroumpf à la Foire du Livre (© Lycée Français Victor Hugo, © Institut français Frankfurt, © Dominique Petre)

Timothée de Fombelle n’a écrit que deux fois pour les adultes: la BD Gramercy Parc en 2018 et Neverland en 2017… un essai sur l’enfance. «C’est le seul livre pour lequel j’avais signé un contrat et c’est cela qui l’a sauvé», explique-t-il. «Même si j’ai eu une enfance heureuse j’ai souffert pour rédiger Neverland qui était un peu la crise de mes quarante ans. Mais c’est incroyable de voir comme les livres se débrouillent pour exister».

Dans le premier chapitre de ce livre, Timothée de Fombelle écrit «On fait semblant d’être grand. Dans le meilleur des cas, on fera semblant toute sa vie». Quand il parle de son atelier d’écriture parisien – qu’il a grand plaisir à rénover de ses mains – Timothée de Fombelle dit «Je continue à construire ma cabane». Quelle chance pour ses lecteurs et lectrices que l’auteur de Tobie soit, comme son héros, si peu grand pour son âge.

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Timothée de Fombelle

française