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Abcdaire illustré de la littérature jeunesse : de A à Z avec Jean-Paul Gourévitch

Catherine Gentile
1 octobre 2013


Jean-Paul Gourévitch est auteur et spécialiste de la littérature de jeunesse et de l’image, sur laquelle il a réalisé plusieurs expositions et écrit différents ouvrages, dont La Littérature de jeunesse dans tous ses états, 1520 – 1970 (Argos – CRDP de Créteil), ou Hetzel : le bon génie des livres (Le Serpent à Plumes).






Dans cet Abcdaire illustré de la littérature jeunesse, volume de 370 pages bien remplies, publié par L’Atelier du poisson soluble, établi au Puy-en-Velay, il nous livre le fruit d’un travail d’une bonne dizaine d’années, riche de recherches, de compilations et de lectures en tous genres.

Cet Abcdaire comporte 2’500 entrées et forme ainsi un dictionnaire non exhaustif des auteurs, illustrateurs, bédéistes, éditeurs, héros, thèmes, techniques, journaux et revues, organisations et personnes-ressources concernées par la littérature jeunesse, du XVIe siècle à nos jours, en France et à l’étranger.

Ce classement alphabétique reflète forcément les connaissances et choix personnels de l’auteur. Certains auteurs et illustrateurs seront fâchés de ne pas s’y voir ; d’autres ravis de s’y trouver. C’est la loi du genre !

Les notices courtes vont à l’essentiel : dates de naissance et de décès, date de création d’un personnage, d’une revue, d’un organisme ou d’une manifestation, œuvres majeures…

On apprécie également les notices consacrées à la partie technique et commerciale de l’édition et de la création.


La bande dessinée y tient aussi une belle place. Et l’idée est bonne de ne pas l’oublier dans un ouvrage dédié à la littérature de jeunesse ! La bande dessinée destinée aux jeunes lecteurs est riche d’œuvres ambitieuses et intelligentes. L’on y retrouve ses héros et ses séries, ses auteurs phares (contemporains et plus anciens), ses genres ou déclinaisons.


Des encarts conséquents ponctuent la consultation de l’ouvrage et offrent un focus sur un genre ou un éditeur. L’on y trouve ainsi A comme Abécédaire, B comme Bande dessinée (codes et histoire) et  Bibliothèque, C comme Conte (codes et histoire), I pour Images d’Épinal, G comme Guerre et Gulliver, H pour Hachette et Hetzel, I comme Illustré, J comme Journaux pour la jeunesse, L pour Littérature de jeunesse (histoire), V comme Jules Verne.


Saluons le soin apporté pour la réalisation de l’ouvrage et la richesse de l’iconographie : 1’600 illustrations au total ; lettrines illustrées par des images d’illustrateurs ou de dessinateurs majeurs ; fluidité de la mise en page…

Une bibliographie importante et une chronologie clôturent utilement cet Abcdaire.

Cet ouvrage offre un parcours passionnant à travers la création destinée à la jeunesse dont on peut en saisir toute la richesse et la diversité. L’on se réjouit de retrouver par exemple d’anciennes couvertures d’ouvrages patrimoniaux ou incontournables plusieurs fois réédités. Il permet une bonne première approche, notamment pour les étudiants, et donne envie de lire et d’arpenter les sections jeunesse des bibliothèques et librairies.





Vous venez de publier à L’Atelier du poisson soluble un Abcdaire illustré de la littérature jeunesse. Cet ouvrage, très richement illustré, est le fruit d’un travail courant sur plusieurs années. Pouvez-vous nous parler de la genèse de l’ouvrage. Est-ce un projet que vous aviez en tête depuis longtemps ou bien est-ce parce que vous avez accumulé au fil du temps une très riche documentation que l’idée du livre s’est imposée ?


Je travaille depuis très longtemps autour de la littérature jeunesse puisque ma première exposition qui portait sur « les Enfants et la poésie à travers le monde » date de 1967. Elle avait été réalisée pour le compte de la Fédération Française des Maisons de Jeunes et de la Culture qui l'a fait tourner dans les MJC et centres affiliés jusqu'en 1973. Ce n'était bien entendu qu'une toute petite partie du domaine puisqu'elle ne concernait que les adultes écrivant des poèmes pour la jeunesse, les manuels scolaires avec leurs récitations et la littérature d'expression enfantine. Mais ce fut l'occasion pour moi, grâce aux collaborations internationales nouées à l'époque, de découvrir à côté des auteurs étudiés en classe et des spécialistes de la littérature jeunesse de l'époque, des littératures que je ne connaissais pas ou très peu : littérature anglo-saxonne, soviétique, indienne, italienne… 

J'ai continué à publier dans ce domaine : ouvrages, dossiers pour des revues pédagogiques, valises audiovisuelles, anthologies…Toutefois à partir des années 1975, compte tenu de mes responsabilités dans l'enseignement public et privé, de mon recentrage sur l'imagerie politique puis de mon travail de consultant international en Afrique, j'ai un peu négligé ce domaine que j'ai repris 15 ans plus tard.  

Il y a eu l'exposition pour la Fédération des Oeuvres Laïques du Loiret en 1992 sur « 150 ans d'illustration pour les enfants ou les tribulations de l'image 1800-1950 » qui a tourné pendant 7 ans, l'ouvrage Images d'Enfance sous-titré « quatre siècles d'illustration du livre pour enfants » (Alternatives 1994), les dossiers faits pour et avec le CRILJ de 1995 à 1997, et l'anthologie commentée La littérature de jeunesse dans tous ses écrits 1929-1970, avec la collaboration du CRILJ, publiée chez Argos-CRDP de Créteil fin 1998.  

C'est à peu près à cette époque que je me suis rendu compte qu'il manquait un outil de référence facilement consultable et agréable à regarder, récapitulant les auteurs, illustrateurs, héros, thèmes et techniques de la littérature de jeunesse dans le monde entier. J'ai d'abord essayé à titre personnel de combler une partie de cette lacune en ouvrant en 2000 mon site acrostiche leplaisir.net avec le menu LE comme Littérature Enfantine. J'ai rapidement compris que ce travail dépasserait mes seules compétences, et prendrait plusieurs années ; que pour atteindre l'audience qu'il méritait, il fallait s'engager dans une œuvre de longue haleine dont la réalisation avec les recherches, échanges et collaborations qu'elle impliquait m'a pris plus de 10 ans. 





Comment avez-vous travaillé avec Olivier Belhomme pour écrire l’Abcdaire ? Avez-vous dès le départ déterminé avec lui le nombre de pages maximum ? 
Quelles ont été, durant le travail préparatoire avec l’éditeur, puis pendant la rédaction des notices les difficultés que vous avez pu rencontrer ? 


 

J'ai envoyé à Olivier Belhomme dès le départ une liste des items et des double-pages thématiques prévues avec un calibrage approximatif qui a été respecté dans les grandes lignes. Ensuite nous avons fonctionné selon un système d'aller-retour avec lui-même, son maquettiste-iconographe Stéphane Queyriaux et ses correctrices. Cela a pris du temps puisqu'entre le premier envoi et la sortie de l'ouvrage, il s'est écoulé plus de 2 ans. Mais cela a permis de préciser des notions, de rectifier des inexactitudes, d'enrichir l'ouvrage de suggestions d'auteurs, d'images et d'illustrateurs ne figurant pas dans la grille initiale. Au final, même si ce fut long et parfois très éprouvant, je ne regrette rien compte tenu du résultat. 


Comment avez-vous réuni la très riche iconographie qui éclaire l’ouvrage ? 


J'ai en effet accumulé depuis 1967 une collection considérable de documents pas seulement sur la littérature de jeunesse mais sur l'image en général. J'ai été largement secondé par mon épouse qui a participé à mon travail jusque dans les années 1975 et qui a tenu de 1981 à 2012, à Orléans puis à Nîmes, une librairie-imagerie, La Foire aux Images avec un important rayon d'ancien. Mais je ne suis pas un collectionneur au sens strict du terme et je n'en ai d'ailleurs pas les moyens. J'ai donc « capturé » et référencé nombre d'images qui m'ont servi pour construire une iconographie qui doit aussi beaucoup à ceux qui ont travaillé avec moi.  




Cet Abcdaire reflète forcément des choix, des goûts et des centres d’intérêt personnels puisqu’il n’est pas exhaustif. On trouve le nom de beaucoup d’auteurs et d’illustrateurs incontournables bien sûr. Mais certains lecteurs pourraient juger qu’ils n’y figurent pas tous ! Vous vous exposez à des reproches, des critiques. Pouvez-vous nous parler de cela ? 
Quels arguments pouvez-vous apporter pour justifier vos choix et les manques éventuels ? 


 

Si toute la partie concernant la littérature de jeunesse avant 1970, aussi bien française qu'étrangère, est de mon propre cru, en ce qui concerne le choix des auteurs et illustrateurs contemporains, il s'agit beaucoup plus d'un travail d'équipe avec tous ceux qui sont cités en fin d'ouvrage, Jacques Pellissard et Jean Bigot de la revue Griffon, André Delobel du CRILJ, Emmanuelle Martinat du Musée de l'Illustration Jeunesse, toute l'équipe du Poisson Soluble et plusieurs auteurs et organismes mentionnés dans les remerciements.  

Compte tenu du calibrage de l'ouvrage, il était impossible de consacrer plus de 400 entrées sur 2500 à des auteurs, illustrateurs et bédéistes encore vivants au XXIe siècle. On ne pouvait que compenser en partie les absences en citant des noms dans les items ou dans la bibliographie et surtout en sélectionnant pour illustrer des thèmes ou des productions de maisons d'édition, des auteurs et illustrateurs n'ayant pas d'entrées spécifiques.  

Nous avons eu des discussions passionnées sur cette sélection que j'assume, tout en précisant qu'il ne s'agit pas de choix personnels mais d'un travail d'aller retours. Mes choix « personnels », pour être très précis, se limitent à un tout petit nombre d'amis, Gérard Blanchard, Raoul Dubois, Guy Gauthier, Jean Marcellin, l'association Media Forum, Yves Rifaux qui n'auraient peut-être pas été cités par d'autres, mais qui ont apporté, souvent par des chemins détournés, une contribution originale au développement de cette littérature. J'ai une secrète tendresse pour tous ceux qui, comme le chantait autrefois Brassens, suivent à l'écart des routes, leur chemin de petit bonhomme…


Y a-t-il des notices ou des thèmes dont vous n’avez pas pu traiter, faute de place ou pour d’autres raisons ? 

 

Tout ce qui relève du cinéma, du dessin animé, de la production télévisuelle, du documentaire, des mangas, de la petite enfance, des relations entre le livre et le jeu ou le jouet, est plus réduit que je ne l'aurais sans doute souhaité. C'est aussi le corollaire d'un choix initial : faire revivre le patrimoine d'une littérature de jeunesse qui a déjà quatre siècles d'existence, pas de père spirituel, mais un très grand nombre de parrains qu'on oublie trop facilement quand on ne s'attache qu'à la production contemporaine. 


L’un des points forts de l’ouvrage est de parler aussi de la bande dessinée jeunesse. Vous intéressez-vous autant à ce sujet qu’aux romans et albums ? 

 

J'avais fait plusieurs recherches sur « l'archéologie de la BD » et il me paraissait impensable d'exclure la BD de la littérature jeunesse d'autant plus qu'avec les récits en images du XIXe siècle, la « littérature en estampes » de Töpffer, les compositions de Gillray ou l'imagerie populaire, les passerelles sont constantes. Plus près de nous on trouve des effets de montage chez Christophe, des phylactères dans Les Pieds Nickelés de Forton, un découpage séquentiel dans les Bécassine, bien avant qu'Alain Saint-Ogan ne compose ses Zig et Puce selon le modèle des comics américains.  

 A titre personnel, j'ai aussi beaucoup suivi au temps de Pilote les mutations d'une BD qui remettait en cause ses propres codes. J'ai « participé » d'ailleurs à l'écriture ou à la conception de plusieurs. Aujourd'hui j'ai plus de mal à m'y retrouver dans une production luxuriante et j'ai engrangé de nombreux avis et conseils avant que les choix ne soient arrêtés.





Comment expliquez-vous la quasi-absence du documentaire jeunesse dans l’ouvrage ?


Vous avez raison de souligner que la partie documentaire jeunesse est réduite même si elle n'est pas totalement absente. Il y a une entrée « documentaire jeunesse », une autre « docufiction » et de nombreuses indications éparses dans les entrées thématiques, les collections Gallimard, l'image photographique, la géographie, l'histoire, les voyages …

La production documentaire, sauf erreur de ma part, représente à peine 10% de la production jeunesse. Après une envolée dans les années 80 avec la sortie de nombreuses collections, elle est aujourd'hui largement concurrencée par Internet et souvent redondante. Ceci posé, je retiens votre critique… pour la prochaine édition.


Avez-vous déjà eu des réactions depuis la parution de l’ouvrage ? Quel genre de réactions ? 

 

C'est sans doute un peu tôt pour faire un bilan. Les premières réactions du public concerné (enseignants, formateurs et animateurs, documentalistes et bibliothécaires, passionnés de littérature jeunesse…) sont très encourageantes aussi bien sur le contenu que sur le choix et la mise en page des illustrations qu'on trouve souvent "superbes". Certains universitaires m'ont dit regretter que l'ouvrage ne soit pas plus centré sur la recherche. Ce n'était pas mon propos. D'autres livres explorent cette voie. Je souhaitais au contraire fournir une information la plus large et actualisée possible sur l'ensemble de la littérature jeunesse d'hier et d'aujourd'hui, ici et ailleurs. Ce qui ne m'empêche pas de proposer à la fin de nombre d'entrées des références à des ouvrages, des sites ou des numéros de revue pour ceux qui veulent en savoir plus. Quant aux premiers auteurs et illustrateurs rencontrés, ils réagissent parfois – mais pas toujours – en fonction de leur présence ou de leur absence dans l'ouvrage. 


Y aura-t-il des rééditions, des mises à jour de ce dictionnaire ? 

 

C'est évidemment prévu et c'est pourquoi dès l'avant-propos, nous sollicitons les critiques et les suggestions de chacun de nos lecteurs. Ce n'est pas une clause de style. Plusieurs de mes écrits ont connu des rééditions avec parfois de modifications importantes suite à mes échanges avec des lecteurs, des journalistes ou des collègues.

 

Vous parlez de la littérature jeunesse et non de la littérature de jeunesse. Pourquoi ? 

 

Il y a eu un débat avec plusieurs collaborateurs, où chacun avançait ses références et ses points de vue empruntés tantôt au monde universitaire, tantôt aux exemples étrangers. J'ai considéré ce débat comme relativement secondaire et je me suis rangé à l'avis de la majorité qui optait pour le terme « littérature jeunesse ». 


Quel regard portez-vous sur la littérature jeunesse d’aujourd’hui ? Sur la production ? Sur ses modes de diffusion et de médiatisation, notamment avec les nombreux blogs sur le net ? Sur les médiateurs, les salons ?


La question, très vaste, mériterait un ouvrage entier. Je constate simplement comme beaucoup que si les salons favorisent le contact entre le jeune lecteur et l'auteur et si les blogs vivifient les échanges, plusieurs difficultés majeures continuent à plomber le développement de la littérature jeunesse :
  • le fait que les achats institutionnels de plus en plus importants ne compensent pas les achats personnels des jeunes, qui sont de moins en moins nombreux.
  • la disparition progressive de revues ou d'organismes centrés autour de la littérature jeunesse que ne compensent pas toujours les blogs ou les sites.
  • la rupture qui se produit vers les 11-14 ans au niveau de la lecture, concurrencée et parfois étouffée par d'autres biens culturels dont la jouissance est plus immédiate et qui répondent mieux à la frénésie d'activités et de contacts de cette génération.
  • la méconnaissance, en dépit d'efforts louables de certains médiateurs, de littératures étrangères comme par exemple la littérature ou la BD africaine que je connais bien, alors même que le jeune public d'origine étrangère est de plus en plus nombreux et visible sur les bancs de l'école.
  • la formation à la littérature jeunesse qui, tout en se développant, néglige bien souvent l'aspect historique ou international de cette littérature. 



Avez-vous d’autres projets dans le domaine de la littérature jeunesse ? 

 

A part un ou deux romans en chantier plus ou moins historiques destinés à la jeunesse, je considère que sur la littérature jeunesse proprement dit, je n'ai plus rien à dire ou écrire qui soit fondamental. Cet Abcdaire est, si j'ose dire, mon testament dans ce domaine – et j'escompte qu'il me survivra. En revanche je continue à m'intéresser à l'image de l'enfant et de l'enfance telle qu'elle est colportée par les médias et à différentes époques. C'était déjà le sujet de ma thèse soutenue en 1981. 




Y aurait-il une question que je ne vous aurais pas posée ? 

 

Quelques-unes, mais surtout celle que les visiteurs des différents salons où je signe mes ouvrages me posent – quand ils l'osent. Ils constatent qu'outre l'Abcdaire, j'ai commis récemment des essais sur l’Afrique ou sur l'immigration, des docufictions pour la jeunesse, des romans à quatre mains, des polars interactifs, des beaux livres sur l'amour ou sur Récompenses et Punitions…  

« Quel rapport entre tous ces ouvrages? Vous êtes un touche-à-tout?  » ce qui pour beaucoup doit signifier un propre à rien.  

Non. J'aime simplement faire ce que personne ne fait, aborder des sujets tabous le plus rigoureusement et scientifiquement possible, explorer des voies de la littérature ou de l'écriture que peu ont défrichées. C'est ma conception du livre comme une aventure qui peut aussi bien vous remettre en question ou vous vouer à la vindicte publique que vous communiquer le sentiment que vous n'avez pas totalement été inutile.



Catherine Gentile est enseignante documentaliste, formatrice en littérature de jeunesse et en bande dessinée. Elle collabore à plusieurs sites spécialisés dans ces domaines et elle est aussi la directrice du festival du Livre de jeunesse et de bande dessinée de Cherbourg. Elle est l'auteure de plusieurs ouvrages, notamment un livre sur l'utilisation de la bande dessinée en classe, et de nombreuses critiques de livres sur Ricochet.


01.10.2013

© L'Atelier du Poisson soluble, 2013