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ALAIN LE FOLL:UN HOMMAGE

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Etienne Delessert
13 septembre 2011

 

 

 

Alain Le Foll est mort en 1981, à l’âge de 47 ans. Dans les années 60-70 il fut, sans conteste, le plus grand dessinateur français, le plus complet. Et pourtant rares sont ceux qui connaissent son travail. Et il n’y a pas eu récemment de rétrospective qui honore cet oeuvre magnifique.
C’est donc avec émoi que j’apprends la sortie prochaine d’une monographie consacrée à Le Foll par Robert Delpire, dans la superbe collection Poche Illustrateur.
J’en profite pour présenter ici les dessins de mon ami, et pour reprendre aussi un texte de François Nourissier, qu’il avait écrit pour le catalogue de l’exposition intitulée Imaginaires que nous avions eue, ensemble, en 1976 au Musée des arts décoratifs de Lausanne.
J’ai choisi des images qui montreront aux nouvelles générations d’illustrateurs une étonnante variété d’approches et de style, et une manière unique de proclamer avec éclat qu’il n’y a pas de différence entre illustration et art pur, qu’il n’y a que de bonnes ou mauvaises images.
Alain fut un maître, l’égal en Europe de Heinz Edelmann, d’André François ou de Tomi Ungerer. Un maître presque complètement effacé par des querelles coupables.
 
Quand je suis arrivé à Paris en 1962, moi le petit graphiste de province, les dessins d’Alain envahissaient la France, avec une ampleur que l’on ne connaît plus aujourd’hui: on les découvrait chaque semaine dans ELLE ou MARIE-CLAIRE, en un récital qui allait du roman à épisode aux recettes de cuisine, des pages de décoration intérieure au courrier du coeur. Il passait d’une technique à l’autre, de l’imagerie d’Epinal aux miniatures indiennes et à un expressionisme parfois brutal.
Les murs de Paris étaient couverts de ses affiches et on découvrait au cinéma un merveilleux film animé hyperréaliste pour l’Eau d’Evian, qui montrait comment cette eau se glisse entre les roches stratifiées. Ses grandes fleurs, teintées d’orientalisme, réalisées pour les Tricots Rodier et les Grands Magasins du Printemps, ses motifs pour les porcelaines de Rosenthal, ses couvertures de livres et de disques, puis plus tard ses campagnes avec l’agence Delpire pour la 2CV, vous entraînaient dans un monde aussi varié que totalement original. Avec une intelligence professionnelle et une efficacité parfaites.
La série de brochures qu’il créa pour l’Insidon de Ciba-Geigy est pour moi une des plus belles réalisations publicitaires jamais réalisées, dont la fraîcheur crue rejoignait l’humanisme d’un Ben Shahn.
Alain illustra plusieurs livres, en particulier C’est le bouquet, de Claude Roy, et Sindbad le Marin, sur un texte de Bernard Noel, tous deux parus chez Delpire. Avec Les Larmes de Crocodile d’André François, Max et les Maximonstres de Sendak, eux aussi publiés par Delpire, et plus tard The Art of Smiling de Domenico Gnoli, et Moon Man de Ungerer, les livres de le Foll nous ouvraient une voie royale.
 
Il était partout, montrant une capacité de travail extraordinaire, d’autant plus remarquable que, en parallèle, il construisait son oeuvre de dessins “privés” surprenants, qui mélangeaient le roc et la plante, l’abeille et la corolle, les muscles et le système nerveux, dessins souvent exécutés à la plume, avec des encres richement colorées, sur des papiers à la cuve.
Et, une ou deux fois par an, il filait à Zurich chez Wolfensberger pour y imprimer de somptueuses lithographies.
 
Malgré l’appel de certains, qui le pressaient d’abandonner l’illustration, il sut mieux que personne concilier ses recherches avec un art destiné au grand public. C’est pour cela que j’ai choisi, en introduction de cet article, un des dessins qu’il avait créés pour un livre pour enfants inachevé.
 
De lui-même il disait:” J’ai trois mille ans et trois ans.”
Et peu après une opération du cerveau il déclarait aux médecins ébahis: “ Je sens vivre en moi des centaines d’hommes et de femmes et des milliers d’enfants.”
 
Alain était fort amical: il me reçut chez lui tout un après-midi, peu après mon arrivée à Paris, et me garda pour le repas du soir. Il m’encourageait à dessiner, et me conseillait souvent dans ce début de carrière. J’avais appris ce que pouvait être l’illustration en regardant la revue Graphis et les affiches suisses, mais Le Foll m’accompagna personnellement dans mes années parisiennes, avant mon départ à New York en 1965.
Notre amitié, par la suite, se justifiait moins par le parallélisme de nos itinéraires graphiques que par la façon dont chacun savait exciter l’autre, le héler de là où il l’avait précédé, l’aiguillonner, l’obliger à se poser des questions.
 
Alain Le Foll possédait une robustesse paysanne bretonne, il était drôle et enjoué, et savait masquer sa mélancolie. Il fut profondément marqué par un divorce qui l’éloigna de ses deux filles Camille et Joséphine, et il se réfugia dans un appartement minuscule près du Boulevard Raspail. Il y avait établi son atelier, et y vivait comme un moine, en costume Schreiber, dans un espace à peine assez grand pour y manger à deux, sur une petite table dressée à côté de son lit et de la table de travail.
Sa santé se mit à nous inquiéter, car il était pris de malaises qui l’immobilisaient brièvement, de courtes absences qu’il tentait de dissimuler avec pudeur.
 
Nos chemins ont divergé, j’étais à New York, puis en Suisse, il se consacrait davantage à la lithographie et la gravure, exposait à Zurich et à Paris. Nous nous sommes retrouvés dans cette grande rétrospective commune de Lausanne, puis la maladie gagna du terrain, et il m’avoua une fois au téléphone qu’il hésitait à revoir ceux qui avaient été proches.
 
Je me souviens que le tout premier dessin que j’aie acheté, à l’âge de 22 ans était de lui: un jardin sombre presque abstrait.
Et je songe souvent à ces trois nuits des Cévennes, où nous avions passé un mois de vacances avec nos familles. Assis sur un mur de pierres sèches, Alain et moi avions scruté pendant des heures une pluie d’étoiles filantes, qui.traversaient le ciel pour aller s’éteindre, avec une douceur infinie, au-delà des collines estompées.
Salut ami.Tu vis!
 
 

Le Foll et Georges Kolebka, vers 1960

 


 

 
Magazine Elle, 1965-70
 

Magazine Marie-Claire, vers 1970

 

Magazine Record, 1975

 

Affiche Eau d'Evian, vers 1970

Annonce Cutex, vers 1970

 

L'aventure de la 2CV Citroen, 1966-67

 


 

Brochure Insidon, 1960-65

Rosenthal, vers 1970

 

C'est le bouquet, Delpire, 1964

 

Sindbad le Marin, Delpire, 1969

 

Magazine Record, Le Temps, 1978

 

ALAIN LE FOLL

Par François Nourissier, 1976

 
O
n pourrait paraphraser le titre du Sindbad qu’a illustré Le Foll en 1969 pour caractériser toute son aventure graphique: “Les aventures aériennes, marines et souterraines d’Alain Le Foll, citoyen breton.” Presque tout y est, sans oublier le sang celte. Et surtout les trois éléments -air, eau, terre- dont l’exploration compose une grande part de sa rêverie créatrice. Et aussi la recherche de points de vue dérangeants: raccourcis, survols, enfoncements. Le repérage des métamorphoses en cours: d’un rocher en crustacé ou en serres, d’os en boyaux, de plantes en viscères, de cornes en sexes, de racines de mandragore en engins spaciaux…Alain Le Foll est tout entier dans son regard et son regard épie un monde à tous les stades d’une perpétuelle transformation. Croyez-vous voir un squelette? Vous le devinez aussitôt flexible, oscillant à un vent lunaire. Des végétations, alors, des fleurs? Oui, mais vénéneuses, et qui semblent sortir d’un cauchemar d’Antonio Gaudi, ou d’une vision sous-marine. Un baobab? Il est aussi pierre dure, roc, carapace. Quant à la terre, craquelée comme par une catastrophique dessication, elle invite moins aux voyages qu’aux percements, aux engouffrements. Ce n’est pas sa surface qui intéresse Le Foll. Ce sont ses secrets: stratificatons géologiques, pièges où le Temps, minéralisé, s’est laissé prendre, paysages déserts du matin de la Création.
C’est peu dire que les fantasmagories de Le Foll -surtout depuis qu’il a renoncé à l’expressionisme de ses travaux graphiques de naguère, eux-mêmes presque abandonnés- se nourrissent des mésaventures secrètes de la Nature, c’est de leur confusion qu’il se fait une règle. Sous sa main les trois règnes se confondent dans un glissement perpétuel. La Genèse n’est pas terminée.
Les dessins de Le Foll, intemporels, immobiles, sont en vérité les images fixes extraites d’un film cosmique. Des instantanés arrachés à une transmutation sans fin: minéral devenu zoomorphe, végétal se pétrifiant, s’ossifiant en traces animales fossilisées.
Depuis les dessins publicitaires et les illustrations d’il y a douze ans ou davantage, jusqu’aux dessins et lithographies des cinq dernières années, Le Foll s’est comme retourné vers l’intérieur de lui-même. Par le moyen d’une sorte d’ascèse du regard. De réduction au silence. Cette descente en soi, ces cris muets, cette aventure métaphysique mènent Le Foll à poser la seule question éternelle de Gauguin épuisé: Qui sommes-nous? Ou sommes-nous? Où allons-nous? Mais il la pose dans le vide et la solitude du sixième jour. Quand Adam n’est encore qu’un peu du limon de la terre. Un rêve de Dieu, mais Dieu dort encore, et les dessins de Le Foll se sont purgés de toute pollution humaine.

Parthénogenèse, pastel, 1972

 

Polyphore, eau-forte, 1974

Paysage d'Afrique

 

 
Singe plume et encres, vers 1970

Rhinocéros, lithographie, vers 1970

 

Paysage, plume et encres, vers 1970

 

Pétrification, crayon, 1972

 

Lithographie, 1972

 

Androgyne, pastel, 1973

 

Coelacanthe, crayon, 1975

 

Procession, pastel et crayons, 1973

 

Autoportrait, vers 1965, série de l'Insidon
 
 

Toutes les images sont d'Alain Le Foll