Brigitte Minne
Une heure avec Brigitte Minne, présentée par Beatrice Alemagna
Beatrice Alemagna : en vous lisant, je me suis fait de vous l'idée d'une femme douce, qui aborde des thèmes ludiques, ou au contraire plus violents, comme dans La Fée sorcière, vous avez aussi traité le conflit de génération ou la rébellion (dans Rougejaunenoireblanche). Je me suis aussi fait l'idée d'une femme mystérieuse, anticonformiste, à la pensée non rhétorique, à la moralité qui ne veut pas s'imposer. Me suis-je trompée ?
Brigitte Minne : Je suis quelqu'un de plutôt discret, et tout cet honneur me bouleverse. Je me considère comme quelqu'un de normal, le boulanger fait du pain, le maçon fait des murs, et moi j'écris, c'est tout.
Beatrice Alemagna : Quels sont les sujets qui vous tiennent le plus à cœur ?
Brigitte Minne : Je ne veux pas devenir sentimentale, mais je suis quelqu'un de socialement engagée, j'écris pour faire du bien et si ma littérature peut soulager quelqu'un, être comme un pansement, j'en suis très heureuse. Mais c'est ma vision personnelle de la littérature pour enfants, je ne veux pas donner de règles.
Beatrice Alemagna : A partir de quels sentiments éprouvez-vous le besoin de raconter une histoire ?
Brigitte Minne : Tout peut servir de début : mes enfants qui me racontent ce qui s'est passé à l'école, un vieux monsieur qui promène son chien, vous ici dans cette salle, ça peut être le début d'une histoire.
Beatrice Alemagna : Vos livres peuvent-ils toucher un public adulte ? Y a-t-il une différence selon vous entre un beau livre pour adultes et un beau livre pour enfants ?
Brigitte Minne : Moi j'écris pour les enfants. Si par dessus le marché un adulte aime ce que je fais, j'en suis flattée, mais ce n'est pas le but. En cela, je ne suis pas comme certains de mes collègues qui disent écrire avant tout pour eux, moi j'écris en pensant aux enfants.
Beatrice Alemagna : Qu'est-ce qui vous nourrit le plus, est-ce uniquement la réaction des enfants ?
Brigitte Minne : En fait, j'essaie de motiver les enfants à lire, je m'efforce d'écrire de façon très accessible. Ca me fait plaisir que certains enfants qui ne lisent jamais soient entraînés à lire par mes textes, peut-être que grâce à ce premier pas, ils pourront lire autre chose, des textes plus élaborés. Je voudrais les aider à franchir un pas, mais avec facilité, car je refuse l'idée que l'enfant soit obligé de lire. Ils sont tellement sollicités aujourd'hui, par le sport, l'ordinateur ou toute autre activité, la lecture pour eux est une activité parmi d'autres, c'est tout.
Beatrice Alemagna : Quand avez-vous commencé à écrire ?
Brigitte Minne : Pour être franche, je n'étais pas une élève modèle, j'étais même souvent punie, et en Flandre, les punitions sont des rédactions, moi j'en ai fait beaucoup et c'est devenu un plaisir, en somme je suis devenue écrivain à travers ces punitions !
Beatrice Alemagna : Enfant, quelles sont les histoires qui vous ont le plus marquée ?
Brigitte Minne : J'ai été élevée par mes grands-parents car ma mère avait 17 ans quand je suis née, et c'était vraiment fabuleux, j'avais le droit de faire tout ce que je voulais, manger à n'importe quelle heure, me coucher avec les pieds sales… Le dimanche, j'accompagnais ma grand-mère dans les cafés et j'adorais ça, c'est elle qui a été mon fondement, c'est mon histoire personnelle avec elle qui m'a marquée, elle a été la source de tout, parce qu'elle était capable de faire quelque chose à partir de rien, de créer presque sur du vide. Moi, je n'avais pas de jouets, juste une vieille boîte à chaussures remplie de boutons. Pour écrire un livre, c'est la même chose, avec un papier et un crayon, vous créez quelque chose à partir de rien, vous pouvez imaginer un monde, vous pouvez être quelqu'un d'autre, un joueur de foot par exemple.
Beatrice Alemagna : Vous avez écrit deux livres illustrés par Carll Cneut, et j'ai l'impression que vous avez toujours travaillé avec lui. Comment se fait-il que vos textes et ses images se marient si bien ?
Brigitte Minne : Ma rencontre avec lui a été très importante, car moi j'écris d'une façon très simple, et son travail à lui est plus complexe, construit. C'est moi qui ai voulu le rencontrer, et je trouve que les livres que nous avons fait ensemble sont un bon compromis entre ses dessins riches, extravagants, et la simplicité de mes textes.
Beatrice Alemagna : Je crois que La fée sorcière comporte une part autobiographique, à travers le personnage de Marine, qui n'est ni fée ni sorcière.
Brigitte Minne : Oui, une partie de moi est assez rebelle, dans l'histoire en effet, c'est reflété par les sorcières qui ont le droit de se salir, de faire ce qu'elles veulent.
Beatrice Alemagna : Vos textes sont plutôt anticonformistes, on y trouve parfois des comportements assez durs, comme les relations entre Marine et sa mère dans La Fée sorcière, trouvez-vous qu'il faille toucher les enfants par la violence ?
Brigitte Minne : En effet, je ne veux pas être trop sentimentale, je ne veux pas créer un monde irréel. Quand on veut consoler un enfant, il ne faut pas lui dire que tout est beau, ça ne sert à rien, et ce serait déformer l'image du monde.
Beatrice Alemagna : Vous arrive-t-il de vous mettre en colère devant certains livres pour enfants ?
Brigitte Minne : Oui, certaines histoires sont très belles mais s'adressent plus à une femme de 40 ans qu'à une enfant de 12. Mais en dehors de ça, tout est possible avec les enfants, ils choisissent eux-mêmes. Par exemple, mon fils à une époque ne regardait que des films de Stallone ou Scwartzeneger, aujourd'hui il a 19 ans et il reconnaît qu'il apprécie des films de Fellini par exemple, ça n'aurait servi à rien que je lui dise à l'époque que c'était nul.
Beatrice Alemagna : Vous publiez en Flandre et en France, quelle différence faites-vous entre l'édition jeunesse en Flandre et en France ?
Brigitte Minne : Je n'ai pas d'opinion juste là-dessus, mais ce qui me frappe, c'est que plus on descend dans le sud et plus la mentalité change, est moins stricte. En Flandre, dans les écoles, les écoliers sont rangés bien sagement par deux, en Wallonie il y a déjà plus de chahut. Je trouve que les éditeurs wallons sont peut-être un peu plus souples.
Beatrice Alemagna : Pour finir, je voudrais vous demander quelle question j'ai oublié de vous poser…
Brigitte Minne : " Est-ce qu'écrire m'a rendue riche ? " ! Je vous aurais répondu que j'ai des milliers de toilettes, que je roule en Lamborghini, que j'ai une piscine immense… C'est faux bien sûr, quand quelqu'un écrit, on dit " c'est une personne qui a de la fantaisie " Non, je ne peux pas dire que je me sois enrichie avec mes livres, mais je travaille avec plaisir et je n'ai besoin de rien de particulier, ma richesse est tout autre.