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DERNIER CAPRICE

1961 (103mn) avant dernier film de Yasujirô Ozu (1903-1963)
Directeur de la photographie Asakazu Nakai
 
À la mémoire de l’acteur Ryû Chishû

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Georges Lemoine
1 septembre 2011


Je devrai user de superlatifs pour parler des dix dernières minutes de ce film admirable, profondément grave et cocasse à la fois, comme souvent chez Yasujirô Ozu. Le contenu : un homme vieillissant, petit industriel brasseur, se rend, à l’insu de sa famille, ses enfants, chez son ancienne maîtresse. Ces escapades assez comiques dans le dédale des petites rues de Kyoto afin de retrouver son amie lui seront-elles fatales ? Peut-être. C’est en tout cas chez elle qu’il rendra son dernier souffle. Les ultimes minutes du film proposent un condensé de tout l’art de Yasujirô Ozu. Ma démonstration ne pouvait se passer d’images, même fixes et synthétiques. J’en ai isolé huit où horizontales et verticales quadrillent l’espace de l’écran, composant avec une économie remarquable l’épure des images à la limite du silence et de l’immobilité.


















 

1/ Un paysage de nature tout en horizontalité, bois, rivière, longues plages de sable sur lesquelles s’ébrouent de noirs corbeaux, une assez sinistre cheminée à section carrée divise l’écran en deux parties égales.

 

2/ Gros plan sur la même cheminée, verticale sur fond de ciel très bleu. Elle ne fume pas encore. Peut-on se risquer de lui superposer en pensée les cheminées des camps de la mort nazis ? Nous sommes en 1962. Cette comparaison demeure possible.

 

3/ Ce ne sont plus des cheminées mais les stèles d’un cimetière pointant leur verticalité nombreuse vers le ciel bleu, indiquant l’au-delà dans une sorte d’unité funèbre et consolante.

 

4/ Plan assez semblable au précédent, mêmes stèles funéraires, mais l’écran est ici divisé horizontalement en deux parties égales. Deux petites silhouettes très graphiques et très belles avancent lentement sur une sorte de terre-plein, se découpant en ombres “japonaises” sur le ciel toujours très bleu. Les deux femmes vêtues du sobre et hiératique kimono noir du deuil semblent attendre.

 

5/ Cette fois la cheminée fume.

 

6/ Changement total de climat. Un homme et une femme accroupis sur la rive de cette rivière tranquille rincent du linge en pleine lumière. L’eau, la vie, le passage du temps face au signal de la mort, cette crémation. L’image demeure cependant elle encore symétrique. Horirontalité du cours d’eau, de la rive sablonneuse, des arbres, verticalité des deux silhouettes qui se sont très lentement relevées ; la femme a aperçu la fumée blanche qui s’échappe de la cheminée, l’homme regarde à son tour, très statique. Paroles de la femme : Les vieux s’en vont, les jeunes arrivent, ainsi va la vie ! L’homme, en chemise chemise blanche, n’est autre que le très admirable acteur fétiche de Yasujirô Ozu, Ryû Chishû, magnifique, comme toujours extrêmement concentré, émouvant à pleurer dans ses quelques minutes de présence à l’écran. Secondes véritablement fascinantes d’intensité retenue, Ryu Shishu en épure totale. Magistral !

 

7/ Sans doute la plus belle séquence du film. La famille du défunt se rend au cimetière après la crémation, avançant en très lente procession sur un pont de bois, réplique parfaite du pont de bois dessiné par Hiroshige Le cortège du daimyo traverse le grand pont de Sanjo, silhouettes noires et parapluies ouverts pour se protéger du soleil.

 

8/ Dernière séquence. Doublure exacte de la cheminée de la séquence N°2, une stèle funéraire occupe le centre de l’écran, un corbeau menaçant s’y est perché et semble avoir le dernier mot de l’histoire... ainsi va la vie ! 

 


Gargilesse, 31 août 2011

Crédit illustrations :
Dessin d'ouverture par Georges Lemoine.