Frédéric Marais
Pascale Pineau : Quand avez-vous abandonné le travail en agence de publicité pour vous consacrer totalement à l’écriture et l’illustration ?
Frédéric Marais : J’ai arrêté en 2012. C’est un univers qui a beaucoup changé. Aussi, je n’ai pas de regrets. Il m’a apporté beaucoup, en particulier au niveau des rencontres. C’est par ce biais-là que j’ai connu Thierry Dedieu, des photographes, réalisateurs… extraordinaires.
Pourquoi avoir choisi ce domaine, après avoir suivi des études d’arts graphiques et d’histoire de l’art ?
J’ai atterri dans la pub avec de grandes idées dans la tête, l’envie de faire passer des messages, même s’il s’agissait de petits grains de sable. Comme par exemple, de faire un film publicitaire en y mettant des vieux... Ce choix a été difficile à faire passer, mais il a fini par être validé au bout de deux ans.
Comment est né Sequoyah (Thierry Magnier, 2011), l’un de vos premiers titres ?
L’idée m’est venue à un retour de vacances. Je cherchais des informations sur cet arbre, et je suis tombé sur le nom et la photo d’un Amérindien, auteur de l’alphabet cherokee au début du XIXe siècle. J’ai voulu en savoir plus. J’effectue beaucoup de recherches, je vais dans les musées, j’achète des livres, avant de commencer un album.
Comment procédez-vous : est-ce que vous commencez par écrire ou par dessiner ?
J’ai besoin d’avoir tout en tête, l’album de A à Z avant de me mettre au travail. En fait, il faut que je visualise le livre fini pour pouvoir commencer, et ensuite j’ai beaucoup de mal à en sortir ! Et je ne peux pas faire deux livres en même temps. Ce qui me plaît dans tout ça, c’est cette immersion : à chaque fois, on est le personnage de ces histoires et, à travers les livres, on vit plusieurs vies. C’est cet enrichissement qui me motive.
Qu’est-ce que cela change dans votre vie, d’avoir changé de métier ?
Avant je voyageais dans le monde entier, aujourd’hui je parcours la France et rencontre beaucoup d’enfants. Ils sont surprenants et reflètent bien la société, constituant son miroir parfait. Ils sont au courant de tout, on peut facilement partager avec eux.
Est-ce que l’album avance facilement une fois démarré ?
En fait, sur dix projets, il y en a neuf que j'abandonne !
Pourquoi ?
Parce que j’y perçois quelque chose de maladroit, de bancal, et soudain je me retrouve dans une impasse. Parfois, un sujet m’intéresse mais je ne vois pas par quel angle l’aborder. Alors, le travail finit à la poubelle. Cela se produit d’ailleurs de plus en plus car je n’ai plus la même naïveté.
Pour Yasuke, comment le texte est-il arrivé ? De quoi aviez-vous envie de parler ?
Je m’interrogeais sur l’être humain et me demandais : qu’est-ce qui fait un homme ? Eh bien, c’est son nom. L’identité, c’est d’abord ça. Le sujet de l’album – qui parle d’un esclave devenu samouraï – est né à de là, après des recherches et des lectures.
Dans beaucoup d’albums, vos illustrations sont sobres. Comment l’expliquez-vous ?
En effet, je me limite souvent à deux ou trois couleurs. Mes années passées à côté de l’artiste Vera Braun (1902-1997) ont sans doute une importance ici. Il y avait chez elle une économie du trait et de la ligne qui m’a fortement marqué. S’il s’agissait de peindre un champ, elle me disait : « on ne va pas peindre tous les bouts d’herbe, il suffit de bien en placer deux ou trois. »
Que vous a-t-elle appris d’autre ?
Tout, depuis les préparations à l’atelier jusqu’aux différentes techniques : fusain, peinture à l’huile, etc. Il y avait des tableaux de grands peintres un peu partout dans son atelier. Je pouvais les approcher, les toucher. Une sensation que je n’ai pas pu retrouver ailleurs, en particulier dans les musées. Elle m’a appris à mélanger les couleurs, à choisir les papiers, à créer de l’émotion.
Aujourd'hui, vous ne travaillez plus que sur ordinateur. Est-ce que ces temps de préparation et cette ambiance vous manquent ?
Non, on avait les doigts gelés à nettoyer les pinceaux. Ce n’était pas facile. Ce qui me plaît, c’est faire des images. Or, ce n’est pas la main qui dessine mais la tête. C’est l’œil qui compte. Avec un stylet dans la main, je peux faire ce que je veux. Tant que je ne me sentirai pas limité, cela me conviendra. Je suis sûr que beaucoup de peintres d’autrefois auraient adopté sans problème l’ordinateur, ils ont toujours utilisé les derniers outils. Regardez David Hockney qui travaille sur Ipad ! Ensuite, chacun son outil.
Qu’est-ce qui compte pour vous dans les images ? Par exemple, on ne voit guère les visages de vos personnages, pas de façon détaillée en tout cas.
En effet, ça ne compte pas plus que ça. Je ne m’attache pas aux détails. On reste dans le symbole. Je fais surtout attention à l’histoire, au parcours que j’imagine. Je fais d’autres livres, comme les documentaires publiés chez Gulf Stream, où je mets beaucoup plus de détails. Avec Les Fourmis rouges, je suis dans une autre forme de travail. L’image est au service de l’histoire, elle est juste un peu derrière elle, en retrait. J’enlève ce qui me semble en trop et pourrait perturber le lecteur. Ce qui m’importe, c’est de créer – avec les illustrations – une ambiance. Souvent dans un album, j’enlève l’image dont je suis le plus content, parce que ce n’est peut-être pas une image clé. Je ne veux pas être dans l’autosuffisance. Il faut juste que tout s’enchaîne, que tout coule. Pour voir cela, il faut prendre un peu de recul, être très près de son sujet et aussi très loin.
Et en ce qui concerne les couleurs ?
Il s’agit de choix réfléchis. Quand on pose deux couleurs, on dit déjà quelque chose.
Qu’est-ce qui vous semble le plus compliqué dans le processus de création ?
J’ai très souvent une atmosphère dans la tête que je souhaite exprimer. Là est la difficulté. J’essaie juste de m’en approcher.
Demandez-vous l’avis d’amis, d’artistes ?
Non. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de doutes. Il en faut sinon on n’est pas dans une profession artistique. Mais chaque album est très personnel.
Contrairement à la tendance actuelle vous n’avez pas de blog, pourquoi ?
Avant, quand j’étais dans la publicité, il y avait toujours cet aspect hyper réactif. Je préfère qu’on s’intéresse à mes livres, plutôt qu’à moi. La partie plus intime, je la dévoile quand je suis avec des enfants, en petit comité, avec de vrais échanges. Et puis les blogs, c’est chronophage. La rapidité de communication me fait peur. Les gens écrivent à chaud, sans réfléchir. On n’est alors que dans la réaction. Je préfère les choses analysées. Faire un livre demande du temps, beaucoup en ce qui me concerne. Là, ça m’intéresse.
Quelle serait votre définition du livre jeunesse ?
J’en ai une tous les jours et j’en change tous les jours...