Graine de reporter: correspondance intergénérationnelle
Les relations intergénérationnelles dans la littérature jeunesse (et au-delà) 5
Les relations intergénérationnelles dans la littérature jeunesse (et au-delà) 5
Graine de reporter donne la parole à un adolescent qui se glisse dans la peau d'un journaliste le temps d’une journée pour un petit reportage sur un sujet en lien avec la littérature jeunesse. Deuxième numéro avec Audrey qui nous parle d'un projet mené dans sa classe de français: un échange épistolaire avec un résident d'un home.
La correspondance
Lors de mes 13 ans, quand j’étais en deuxième année secondaire, ma super enseignante de français a eu l’idée de faire correspondre ses élèves avec les résidents d’un home de notre région. Ainsi, ma classe a commencé l’échange en envoyant une première lettre. Pour ce premier envoi, nous ne connaissions pas encore notre destinataire, alors nous nous sommes simplement présentés et leur avons posé quelques questions générales. Voici une partie de ma première lettre:
Courrendlin, le 4 septembre 2019
Chère Madame ou Cher Monsieur,
Je m’appelle Audrey H., je vis à Rebeuvelier avec mes parents et mes deux frères. J’ai 13 ans et je suis née le 4 octobre 2005. Mes passions sont les agrès et le piano. […]
Quel âge avez-vous?
Quel métier exerciez-vous?
Au plaisir de recevoir votre réponse, je vous envoie mes salutations les meilleures.
Audrey
J’ai ensuite reçu la réponse suivante:
Vicques, le 8 octobre 2019
Chère Audrey,
Je vous remercie pour votre lettre qui m’a fait très plaisir. Je me présente à mon tour:
Je m’appelle Etienne M., j’ai 78 ans, j’ai fait l’école primaire et je suis sorti à l’âge de 15 ans. […]
Par la suite, j’ai fait le paysan avec mon papa et repris la ferme. J’ai également pris des cours pour devenir bûcheron. Je viens de Montavon et j’ai toujours habité dans ce village.
J’aurais deux questions à vous poser:
Comment voyez-vous votre avenir?
Quelle branche préférez-vous à l’école?
Je vous transmets mes meilleures salutations et à bientôt!
Etienne
Très contente de sa réponse, je me suis empressée de lui répondre:
Courrendlin, le 16 décembre 2019
Cher Etienne,
Je ne suis pas encore certaine sur mon futur professionnel. Je pense que je vais étudier à l’école de culture générale à Delémont, pour peut-être, par la suite, faire ergothérapeute ou physiothérapeute.
A l’école, ma branche préférée est le sport mais j’aime aussi la musique et les sciences.
Mon grand-père était aussi agriculteur et il tenait le restaurant de Rebeuvelier avec ma grand-maman. […]
Je profite de vous écrire à cette période pour vous souhaiter un Joyeux Noël et une merveilleuse année 2020.
Je vous envoie mes salutations les meilleures. À bientôt!
Audrey
Assez rapidement, notre enseignante ainsi que les animatrices du home ont organisé une rencontre. Lors de la visite tant attendue, nous étions tous avec notre propre correspondant assis à une table, sirotant un petit verre d’eau ou de jus d’orange accompagné d’un fruit pour pouvoir passer un bon moment.
J’ai donc rencontré mon sympathique correspondant avec qui j’ai pu parler pendant environ une heure.
Dès le début, j’ai remarqué qu’il n’entendait pas très bien (comme beaucoup de gens de son âge) et qu’il me posait plusieurs fois les mêmes questions comme par exemple mon prénom, pour quelle raison j’étais là, si le journal était arrivé, et encore bien d’autres. J’ai alors pensé qu’il souffrait peut-être de pertes de mémoire, telles qu’Alzheimer, mais je n’en étais pas sûre, car l’animatrice ne m’avait donné aucune information concernant cet homme. Cependant, cela ne m’a pas du tout posé de problème et j’ai continué à faire la conversation. Nous avons parlé de sa vie passée, de sa famille, de son métier... J’ai adoré partager ce moment avec lui.
En parlant avec Monsieur M., il y a eu plusieurs blancs, car il n’était pas très bavard et moi, je ne savais plus quoi dire… Mais ce n’est pas pour autant que je ne me suis pas sentie à l'aise auprès de lui.
Lors du retour à l’école, mes camarades et moi étions très heureux: nous nous racontions nos différentes histoires avec parfois des anecdotes rigolotes de nos échanges et nous voulions tous à nouveau revivre cette formidable expérience. Malheureusement, nous n’avons pas pu prolonger la correspondance, car le coronavirus est entré dans nos vies. Nous n’étions plus en classe pour continuer l’échange et je pense que pour les animatrices c’était une période difficile à gérer, pendant laquelle elles n’avaient pas forcément le temps pour écrire des lettres avec leurs résidents. De plus, comme je pensais que mon correspondant était atteint d’Alzheimer, j’en ai déduit qu’il n’allait pas se souvenir de moi.
Cependant, nous avons décidé d’envoyer une dernière lettre pour clore dignement notre échange et pour les remercier de nous avoir consacré du temps. La voici:
Cher Monsieur M.,
Je vous écris aujourd’hui pour vous remercier de la matinée passée avec vous.
J’ai adoré parler avec vous et je reviendrai avec plaisir vous revoir.
J’espère que vous vous portez bien.
Salutations et à bientôt.
Audrey
Parfois, nous apprenons avec tristesse le décès d’un de nos correspondants. En effet, dans ma classe, nous avons la chance d’avoir un camarade dont la maman travaille dans notre home et qui nous informe lorsqu'il y a un décès…
Après cette rencontre, je me suis posé beaucoup de questions au sujet de mon futur métier… J’en suis arrivée à la conclusion que vivre des moments avec des personnes âgées m’apporterait de la joie de vivre et de la satisfaction personnelle. Donc, je me suis renseignée et j’ai découvert le métier d’assistante socio-éducative (ASE) qui consiste à animer des activités avec des personnes âgées, en situation de handicap ou encore avec des enfants. Alors, j’ai effectué des stages qui m’ont beaucoup plu. J’ai envoyé ensuite ma candidature dans une école d’ASE dans mon canton et… Bonheur! J’ai été prise! Conclusion, une rencontre d’une heure avec un résident d’un home m’a aidée à déterminer mon futur métier!
Je souhaite à tout le monde de trouver la voie qui lui plaît, dans laquelle il trouvera joie et bonheur et pourra s’épanouir. Car je sais que ce n’est pas toujours facile de décider de notre avenir à l’âge auquel on nous le demande.
Je remercie mon enseignante qui a eu cette incroyable idée et j’encourage les professeurs à organiser des correspondances entre leurs élèves et des personnes âgées, car c’est une expérience formidable à vivre une fois dans sa vie. De plus, ce projet crée des opportunités: il ouvre nos horizons, augmente notre sociabilité et améliore notre élocution.
Le roman Deux fleurs en hiver
A l’école, toujours dans ma classe de français, nous avons participé au Prix RTS Littérature Ados qui consiste à lire cinq livres pour, par la suite, élire le meilleur d’entre eux. Lorsqu’on les a reçus, j’ai directement voulu commencer par le livre qui s’intitulait: Deux fleurs en hiver, écrit par Delphine Pessin. C’est un roman qui narre la passionnante rencontre entre Capucine, une stagiaire dans un EMS, et Violette, une nouvelle résidente qui, contre son gré, y a été placée. Leur rencontre va bousculer leurs vies…
J’ai voulu commencer par ce livre, car premièrement j’apprécie beaucoup les personnes âgées: je les trouve intéressantes, attachantes et pleine de ressources. Deuxièmement, Capucine est une stagiaire dans l’EMS en tant qu’aide-soignante… c’est un métier qui est proche de ma future profession. Et, troisièmement, dans ce livre, il y a une amitié qui se crée entre une personne âgée et une adolescente, ce qui m’a enchantée.
Inutile de vous dire que ce livre m’a énormément plu. Tout d’abord, j’ai aimé les chapitres: ils sont courts et le narrateur change de point de vue à chaque nouveau chapitre. En effet, nous voyons celui de Capucine, puis celui de Violette. Cela nous permet de comprendre ce que chaque personne ressent. De plus, l’histoire était captivante, mais il manquait tout de même un peu d’action… et je trouve que les perruques portées par Capucine ne sont pas bien mises en avant. Je trouve tout de même l’idée originale.
Les personnages sont très attachants et, personnellement, je me suis un peu retrouvée dans le rôle de Capucine. Le fait qu’elle soit prête à tout pour aider ses collègues ou les résidents m’a fait comprendre que j’étais comme elle et donc a confirmé mon choix pour le métier d’ASE.
(Attention spoiler)
A la fin, dans l’épilogue, nous apprenons que Violette est décédée. Selon moi, le fait que cette nouvelle apparaisse dans l’épilogue éteint toute émotion possible. Je pense que la fin devrait être plus émouvante et triste, car Violette est quand même un des deux personnages principaux, donc je trouve important qu’on lui rende une sorte d’hommage.
Ce livre, qui sait, m’aidera peut-être à affronter les difficultés que je rencontrerai dans mon métier en repensant aux perruques colorées et à la bienveillance de Capucine, au sourire de Violette et à ses petits caprices.
Graine de reporter
Je m’appelle
Audrey
J’ai
15 ans
J’habite à
Rebeuvelier, un petit village du Jura
J’aime
Le sport, la musique, mes amis et ma famille
Image de vignette: Audrey H. et son correspondant Etienne M. (©T. Gogniat)