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Illustrateurs britanniques pour la jeunesse : tour d’horizon (1/3)

Mathilde Tellier
21 janvier 2015


Depuis juillet 2014, Londres possède sa Maison de l’illustration (House of Illustration), qui accueille des artistes émergeants ou établis, britanniques et internationaux. Engagée depuis 2009 dans des projets menés avec les écoles, l’équipe aux commandes concocte désormais des expositions temporaires, poursuit ses initiatives pédagogiques dans un espace dédié et reçoit de surcroît des dessinateurs en résidence. Chaque année, The House of Illustration décernera également son prix : le Book illustration Competition.

Comme pour mieux affirmer sa volonté de faire se rencontrer les artistes et curieux en tous genres, le lieu – magnifique - se situe à quelques pas de la gare Eurostar de Saint Pancras, et est fortuitement adossé à Central Saint Martins, l’université des arts de Londres. Une façon de se souvenir aussi qu’à l’origine de cette initiative merveilleuse se trouve Quentin Blake, qui souffla en 2014 sa quatre-vingtième bougie, et dirigea pendant vingt ans le département « Illustration » du Royal College of Art.

L’ouverture de ce haut lieu culturel donne l’occasion de s’intéresser de plus près aux illustrateurs britanniques œuvrant pour la jeunesse : quels grands noms ont pavé la voie ? Qui sont les nouveaux talents ? Et ceux que les enfants plébiscitent ?

Les virtuoses de l’image - qu’ils accompagnent la plume d’un autre ou qu’ils écrivent leurs propres histoires - sont nombreux. Aussi l’ambition de cet article est-elle de mettre en lumière des artistes représentatifs de la scène anglaise de la littérature jeunesse. Ce panorama exclut donc volontairement d’excellents illustrateurs américains (Sendak, Van Allsburg, Carle, etc.) ou canadiens (Jon Klassen entre autres) malgré leur incroyable renommée au Royaume-Uni. Cette liste a été élaborée en collaboration avec des enseignants de primaire et secondaire ainsi que des bibliothécaires avertis ; l’excellent Children’s picture books - The art of visual storytelling (Laurence King Publishing, 2012) de Martin Salisbury et Morag Styles a bien sûr été une base de travail indispensable.


 


LES PRECURSEURS

Scène majeure du livre illustré pour enfants, le Royaume-Uni de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle a vu naître des auteurs-illustrateurs qui ont inspiré les générations suivantes, sur l’île comme ailleurs dans le monde. La fin du XIXe siècle est reconnue comme le théâtre de la naissance du livre jeunesse dit « moderne ». Au cours de cet « âge d’or », les procédés techniques facilitent la mise en couleurs et changent le rapport à l’image. Si les Britanniques ne sont pas nécessairement des précurseurs dans la forme, ils ont fortement contribué à l’épanouissement du désormais incontournable « picture book ».



Randolph Caldecott (1846-1886)
Cet auteur-illustrateur de l’époque victorienne passe pour être l’un des pères du livre illustré pour enfants. Maurice Sendak lui a d’ailleurs consacré un ouvrage, Caldecott’s and Co : Notes on Books and Pictures (Farrar, Strax & Giroux, 1988), explicitant la grande modernité de cet auteur. Selon Sendak, Caldecott invente un nouveau dialogue entre les mots et les images. En d’autres termes, pour la première fois, le texte et l’illustration ne sont pas nécessairement redondants mais se font écho.
Plus prosaïquement, Caldecott est aussi, dit-on, le tout premier à avoir négocié une rétribution sur les ventes de ses ouvrages : un penny par livre ! Preuve de son importance dans l’histoire de la littérature jeunesse illustrée, une médaille portant son nom récompense chaque année le meilleur illustrateur américain de livres pour enfants.
 
Kate Greenaway (1846-1901)
Cette fille d’imprimeur a offert à la postérité des portraits d’enfants incroyablement vivants, immédiatement reconnaissables. Leurs vêtements, notamment, sont dessinés avec soin et détails. Mais cette artiste a surtout donné son nom à l’une des récompenses les plus prestigieuses de l’illustration pour la littérature jeunesse « made in UK ». En effet, la médaille Kate Greenaway est aux Britanniques ce que la médaille Caldecott est aux Américains. Plusieurs des artistes cités dans cet article se sont vus décerner cette distinction.



 


A gauche : illustration de Kate Greenaway pour son Alphabet (1885)

A droite : A frog he would a-wooing go par Randolph Caldecott (1883)




Edward Lear
(1812-1888)
Edward Lear a signé l’un des ouvrages incontournables pour qui désire comprendre l’esprit britannique et son humour décalé : The Book of Nonsense, illustré de cinq cents croquis étranges, décalés, uniques. Entre la fable et les poèmes absurdes, ces Poèmes sans queue ni tête, publiés en Angleterre en 1846, ont été traduits en France seulement dans les années 1970 (dans une édition bilingue chez Aubier Flammarion, depuis lors épuisée) avant d’être adaptés et réédités par Motus en 2004. Surréalistes et pataphysiciens ont reconnu en cet ornithologue et poète un précurseur de leur esprit.

 
Beatrix Potter (1866-1943)
On n’est guère étonné d’apprendre que Beatrix Potter était naturaliste de formation lorsqu’on observe les détails impressionnants de ses jardins et personnages-animaux. Pierre Lapin (1902) est le premier ouvrage d'une série, affranchie de toute mièvrerie, et comportant quelque vingt-trois albums peuplés de lapins, de souris, de rats, de canards, de renards, de chats et de chiens aux noms pittoresques, aujourd’hui encore déclinés en mille produits dérivés et redessinés.
L’illustratrice, telle une héroïne nationale, a son portrait à la National Portrait Gallery et sa place dans toutes les bibliothèques jeunesse classiques. Sa vie a même été adaptée au grand écran en 2006.




 

A gauche : illustration de Beatrix Potter pour Pierre Lapin (1902)

A droite : illustration de John Tenniel, pour Les aventures d'Alice aux pays des merveilles (1865)




Arthur Rackham
(1867 –1939)
Connu pour ses illustrations des contes des frères Grimm et de Charles Perrault, Arthur Rackham s’est aussi distingué avec sa version très célèbre d’Alice au pays des Merveilles (1907). Ses traits à l’encre d’Inde et ses aplats de couleurs pâles donnent un aspect translucide et sophistiqué à ses dessins. Ses images de luxe, reliées dans du vélin, étaient extrêmement populaires au début du XIXe siècle et s’offraient volontiers pour des cadeaux exceptionnels.

 
John Tenniel (1820-1914)
Ce caricaturiste est passé à la postérité en illustrant l’édition originale des Aventures d'Alice aux pays des merveilles (1865). On oublie ses relations tumultueuses avec l’auteur (ils ne s’appréciaient guère) pour se souvenir de ces gravures sur bois magnifiques en regard du texte de Lewis Caroll, tant pour Alice que pour De l’autre côté du miroir (1871). Ses caricatures politiques ont fait sa renommée ; il a en effet exercé son métier pendant plus de cinquante ans pour le journal satirique le plus renommé de son temps : The Punch.
 

 
Cette liste serait lacunaire, si elle n’évoquait pas aussi :
Edmund Dulac (1882-1953), Howard Pyle (1853-1911), Walter Crane (1845-1915), Ernest Shepard (1879-1976), W. W. Denslow (1856-1915), N. C. Wyeth (1882-1945) - le fameux illustrateur de L’Ile au trésor cité par Anthony Browne dans son interview pour Parole -, ou encore Mervyn Peake (1911-1968) sans doute l’un des plus auteurs-illustrateurs les plus excentriques des années 30 avec son Capitaine massacrabord (La Joie de lire, 2011). 


 
Le 12.02.15