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« J'ai encore la certitude qu'en m'entraînant longuement, je finirai par savoir voler. »

Nathalie Wyss
11 avril 2017

Après des études de lettres et de cinéma, Flore Vesco se consacre aujourd’hui entièrement à l’écriture dans sa petite maison à La Boissière (Haut-Montreuil). Son premier roman, De cape et de mots, a reçu sept prix littéraires et est en lice pour six autres. Saluée par les critiques, Flore Vesco manie la plume avec talent et brio. Ses histoires sont originales, hilarantes et édifiantes. Vous reprendrez bien un peu de punch, de panache, d’humour et d’esprit ?
 
 
Nathalie Wyss : Votre premier roman, De cape et de mots, raconte l’histoire d’une jeune fille qui, pour éviter le mariage, s’engage à la cour du Roi. Comment vous est venue cette idée ?
Flore Vesco : Je suis partie du bouffon. Je trouvais captivant ce personnage qui a le pouvoir de tout dire, dans un monde où la parole est affectée et contrainte. En littérature, le bouffon est toujours un homme. Le plus souvent, il est laid, difforme. Il est en souffrance, ou joue son rôle malgré lui. J’ai voulu revisiter le personnage, donner cette fonction à une jeune fille, qui embrasse son statut de bouffon pour s’imposer et faire justice.

Bon, et puis tout ça, c’était aussi un prétexte pour glisser des charades, des contrepèteries, des néologismes et autres jeux de mots dans le roman.

Pourquoi avoir choisi le personnage de Louis Pasteur pour votre second roman Louis Pasteur contre les loups-garous ?
Bien entendu, je ne suis pas la première à jouer sur le mélange entre Histoire et fiction. Mais les romans jeunesse qui mettent en scène des personnalités historiques ont souvent tendance à piocher du côté des hommes politiques ou des artistes. Or il y a un potentiel romanesque très intéressant dans les figures scientifiques. Louis Pasteur est entouré d’une aura presque légendaire.

Comment s’est déroulé le travail de recherches sur Louis Pasteur et sur les nombreux termes médicaux qui jalonnent votre récit ?
Je n’ai aucun bagage scientifique, j’ai fait des études littéraires. Du coup, j’ai vaguement consulté La chimie pour les nuls et d’autres ouvrages de vulgarisation. Mais en vrai, je me suis surtout amusée à cueillir des mots qui sonnaient bien, comme « oxyhydroxyde » ou « air déphlogistiqué ».

Ensuite, j’ai enfilé une blouse de chimiste trop grande pour moi, boutonnée à l’envers, et j’ai fait des expérimentations. J’ai distillé des éléments biographiques, ajouté des termes techniques, dilué le tout dans des péripéties. Un précipité est apparu. J’ai inclus des particules d’humour, j’ai tout bien mélangé, et au bout de longs mois, le mélange a cristallisé entre les pages.

D’où vous vient ce faible pour les époques lointaines ?
J’y trouve une plus grande liberté. De cape et de mots est situé dans un passé de conte, très librement inspiré du XVIIe siècle. Ça me laissait le loisir d’imaginer un monde fantaisiste et décalé, où les personnages portent des costumes et coiffures extravagants.

Louis Pasteur contre les loups-garous se déroule officiellement en 1842, mais à vrai dire, je n’y ai pas vu une réelle contrainte : j’ai la mauvaise habitude de faire ce qu’il me chante de la grande Histoire, et sans le moindre scrupule.

Que pouvez-vous nous dire sur la « série » de romans que vous êtes en train d’écrire, où chaque titre a pour héros un scientifique confronté à des événements fantastiques ?
Tout est dit. Chaque tome sera indépendant, et mettra en scène un savant face à une créature surnaturelle. Le fil conducteur est une société secrète, la S.S.S.S.S.S. (la Société Super Secrète des Savants en Sciences Surnaturelles). Le héros du prochain opus sera Gustave Eiffel (contre des hommes de fer) et je pense aussi écrire les aventures de Marie Curie (contre des zombies).

Notez que j’ai employé le futur, ce qui est assez présomptueux de ma part : pour le moment, je n’ai écrit qu’un tome. Le deuxième est encore en gestation, et je travaille assez lentement... Bref, j’annonce un gratte-ciel, alors que j’ai posé quelques pierres.

Si vous deviez choisir entre la science et le fantastique ?
Le fantastique, sans hésitation. Qu’on ne vienne pas me barbifier avec la loi universelle de la gravitation, j’ai encore la certitude qu’en m’entraînant longuement, je finirai par savoir voler.

En lisant vos romans, on remarque immanquablement la forte personnalité de vos héroïnes. Est-ce quelque chose d’important pour vous ?
J’ai un faible pour les personnages qui prennent leur destin en main et ne s’en laissent pas conter, que ce soit des filles ou des garçons !
 

Et pour ce qui est de l’écriture…

Depuis quand écrivez-vous ?
Depuis le 17 juillet 2005 à 12h37. Hélas, je n’ai pas le droit de vous révéler ce qu’il s’est produit ce jour-là, sans quoi l’enchantement prendrait fin. Mon stylo se transformerait en balai ; mon éditrice redeviendrait une petite souris et les locaux de Didier Jeunesse, une boite à chaussures ; la robe haute couture que je porte pour aller dédicacer se changerait en un jogging informe.

Les jeux de mots, les charades : des amours de longue date ?
Oui, mais ne m’encouragez pas, j’essaye désespérément d’arrêter. Les mauvais calembours nuisent fortement à mon capital glamour, à mon aura de femme fatale.

Comment organisez-vous vos journées pour écrire ?
Je me lève de bon matin. J’établis un planning réaliste pour la journée. Je prévois d’écrire 10 pages, de répondre à tous mes mails, de mettre mon site à jour, et de boucler les démarches administratives du mois. Dès que mon planning est arrêté, je vais faire un tour sur Facebook. Ensuite, un oiseau passe par la fenêtre. Puis je me rappelle que j’avais prévu de fabriquer un chandelier avec un dinosaure en plastique, et ce projet semble soudain extrêmement urgent. Après quoi, je vais me faire un thé, et il est temps de me mettre au travail. À ce moment-là, je me rends compte qu’il fait nuit.

Et pour terminer...
 
Que faites-vous lorsque l’inspiration vous manque ?
Je commence par me lamenter sur mon sort pendant de longues minutes, si possible en versant des larmes. Je sors faire un tour parce que marcher stimule le cerveau. Je rentre. Je me remets devant l’ordinateur. Je pleure encore un bon coup en m’arrachant quelques touffes de cheveux, il est bon de s’apitoyer sur son propre sort. Je tape « comment sortir d’un puits sans les mains » dans Google. Puis je tape encore « escalader avec les dents », et « fabriquer un cerf-volant avec de la boue ». Je copie-colle un article sur le gecko et les poils de 100 microns qu’il a sous les pattes. Soudain, il fait nuit, et j’ai trente onglets ouverts sur mon ordi. Le lendemain, je recommence la manœuvre.

Le livre qui vous a le plus fait rire ?
J’adore les bandes dessinées de Daniel Goossens.

Et celui qui vous a fait le plus pleurer ?
Le bruit des os qui craquent, de Suzanne Lebeau. C’est très beau et très dur, ça fait mal aux viscères.

Quel serait votre rêve de bonheur ?
Avoir systématiquement deux places pour moi toute seule dans le TGV ou au cinéma. Je n’aime pas trop m’asseoir à côté d’un inconnu pendant plusieurs heures. J’ai des rêves de bonheur assez prosaïques.
 
 
12.04.2017