Jenay Loetscher, ou l'illustration en mode douceur
Après avoir créé de nombreux ouvrages jeunesse avec son amie Noémie Pétremand – alias Plume, de leur duo «Plume et Pinceau» –, Jenay Loetscher vient de publier son premier livre en solo, Le train du sommeil. Tirée du récit qu’elle avait inventé pour ses fils, cette escapade par étapes au pays des rêves permet aux plus jeunes d’accueillir la nuit avec sérénité – et représente un précieux outil pour les parents.
Après avoir créé de nombreux ouvrages jeunesse avec son amie Noémie Pétremand – alias Plume, de leur duo «Plume et Pinceau» –, Jenay Loetscher vient de publier son premier livre en solo, Le train du sommeil. Tirée du récit qu’elle avait inventé pour ses fils, cette escapade par étapes au pays des rêves permet aux plus jeunes d’accueillir la nuit avec sérénité – et représente un précieux outil pour les parents.
«Prévoyez un pull chaud car il fait un peu frais, dans mon atelier!», m’avait averti Jenay Loetscher. Elle vient en effet m’accueillir emmitouflée dans un grand manteau, et m’offre une main fraîche et un sourire chaleureux. «Voilà, c’est ici que je travaille.», m’annonce-t-elle en avançant des chaises autour d’une petite table basse. Moi qui m’attendais à une explosion de couleurs, je suis un peu surprise: le vaste espace comporte des murs blanchis, et seul l’un d’eux est moucheté de quelques aquarelles, tirées des précédents ouvrages de la jeune femme. C’est que l’atelier, situé derrière la maison et longé par le bien nommé «ruisseau d’Ependes», accueille aussi «La Batracienne», la galerie d’exposition qu’elle a co-fondée avec son mari Marco il y a bientôt quatre ans.
Embarquement pour les rêves
Mais je suis là avant tout pour parler avec elle de son travail et de son livre pour enfants, Le train du sommeil, paru en octobre dernier aux Éditions Plumes. Illustré de dessins aux nuances douces, ce dernier raconte l’histoire de deux enfants qui, embarquant à la gare des rêves, vont découvrir un train extraordinaire… Un train que ses fils de six et trois ans connaissent bien, puisque ce sont eux qui sont à la source de ce beau récit. «Il était impossible de faire s’endormir sans accompagnement Nelio, mon aîné. Et ce, que soit pour la sieste ou le soir, se remémore l’illustratrice. J’avais alors commencé à lui raconter l’histoire du train du sommeil, en axant surtout mon récit sur le côté sensoriel et la douceur, par exemple en décrivant le mouvement du train qui berce. Mon fils a ainsi pu apprendre à mieux ressentir le moment de l’endormissement et, un peu plus grand, a fini par me dire chaque soir qu’il croyait entendre le train arriver.» De cette manière, la jeune maman a graduellement réussi à l’inciter à s’endormir seul, en lui expliquant qu’il allait prendre le train à une gare, et qu’elle le rejoindrait à la suivante. «Son frère cadet Ariel, lui, n’a jamais eu de problème à s’endormir seul. Mais il y a un an, il a commencé à me réclamer sans cesse cette histoire, en demandant que j’y ajoute des détails. Alors j’ai enrichi le récit avec divers éléments et plusieurs étapes de voyage, en terminant avec l’arrivée du marchand de sable.»
La chance d’une rencontre
C’est la rencontre de Jenay Loetscher avec les créateurs des Éditions Plumes – oui, par un hasard curieux, la jeune femme est toujours entourée de plumes… – qui lui a permis de publier son récit: «On s’est croisés à un salon de littérature et je leur ai parlé de mon projet, explique-t-elle. Ils n’avaient pas prévu d’éditer un livre en 2024, mais ont décidé de faire une exception pour moi. L’été passé ayant été plus calme, j’ai mis les bouchées doubles et voilà le résultat! J’ai eu beaucoup de chance de pouvoir collaborer avec eux, ce d’autant plus que l’un des deux éditeurs, également vidéaste, m’a conseillée sur la structure du scénario et m’a apporté un feed-back très instructif.»
Si elle a ainsi pu grapiller quelques conseils privilégiés pour la structure de son histoire, le processus éditorial, lui, ne l’a pas surprise: elle le connaît sur le bout du doigt, ayant monté sa propre maison d’édition en 2014, avec son amie Noémie Pétremand - alias Plume, responsable de la facette scripturale de leur duo complémentaire «Plume et Pinceau». «J’ai fait la connaissance de Noémie au Musée de l’Elysée, alors qu’on y travaillait pour arrondir nos fins de mois. Un jour, en discutant, on a réalisé qu’on avait toutes les deux une passion pour les livres jeunesse: Noémie terminait alors son mémoire universitaire sur le conte des Habits neufs de l’empereur, moi je me lançais mon travail de graphiste et illustratrice indépendante. Pour s’amuser, on s’est lancé le défi de créer un conte ensemble, Eloïse et la grenouille d'hiver. Mais il n’a pas été accepté par les maisons d’édition, qui ne le trouvaient pas assez abouti.»
Un duo parfaitement complémentaire
Déçues mais persévérantes, les deux collègues devenues amies ont alors décidé de «se faire la main» en créant un blog, et en y publiant chaque mois un nouveau conte. «On se voyait tous les lundis, se remémore Jenay Loetscher avec un grand sourire. Les lecteurs ont été de plus en plus nombreux, et un jour, on a décidé de créer notre maison d’édition et de nous auto-éditer. On a alors publié trois livres d’un coup: Eloïse et la grenouille d'hiver, puis deux tomes réunissant les contes parus sur le blog. On a trouvé ça génial!» Il faut dire que le duo se complète à merveille, puisque Jenay Loetscher gère toute la production, tandis que Noémie Pétremand s’occupe de la communication et du marketing. Résultat: «Cela nous a apporté une visibilité et rapidement, notre collaboration a pris de l’ampleur et les propositions de mandats ont commencé à affluer. On n’aurait jamais pensé que notre décision de se voir un jour par semaine allait influencer toute notre carrière!», s’émerveille encore aujourd’hui la jeune graphiste.
Les deux amies publient ensuite Kami Nando en 2015 (en collaboration avec Die blaue Ampel), Djoudu, le petit yak perdu (2016, Editions Paloma), Eldorado en 2017, Babou, le tube en bambou (2019), Une journée extraordinaire (2020), et enfin, Prounkou en 2023 (Antipodes). Tout en organisant en parallèle séances de dédicaces et nombreux ateliers dans des bibliothèques et dans des classes.
L’intérêt d’un projet en solo
Depuis que Jenay Loetscher est maman – elle a maintenant trois fils, dont le dernier, Amos, est âgé de vingt mois – et qu’elle a déménagé de Lausanne à Ependes il y a exactement cinq ans, les deux amies se retrouvent moins régulièrement. «Mais on continue à animer des ateliers. Et le fait qu’on connaissait la rigueur de l’autre nous a donné la liberté de continuer à travailler ensemble facilement, même à distance. On reste toujours très proches malgré tout, et Noémie est d’ailleurs la marraine de l’un de mes fils.» Si elle regrette parfois le rythme rapide et l’explosion d’idées que favorise le fait d’être en duo – «Quand on est seul, c’est difficile d’être objectif sur le résultat de son travail.» –, elle estime intéressant d’avoir un projet personnel et de le mener à bien.
Car c’est la première fois qu’elle crée seule un livre dans son intégralité, en réfléchissant à la fois au texte et aux illustrations. Son rêve de petite fille, «faire des livres pour enfants», est ainsi totalement exaucé. «C’est vrai que c’est très gratifiant de pouvoir travailler sur un ouvrage de A à Z et d’en gérer chaque étape. Étant donné que j’exerce deux métiers complémentaires, graphiste et illustratrice, je crée en général mes dessins en pensant déjà à la mise en page, ainsi qu’aux endroits où va se situer le texte. Cela me permet d’avoir une cohésion globale dès le départ, et d’éviter de devoir ensuite retoucher les dessins pour gagner de la place, c’est très pratique.»
Des mots mis en musique
Petit complément magique de son livre, une jolie berceuse qu’elle a composée elle-même. «Je l’ai imaginée sur mon piano, et elle a ensuite été rejouée par le musicien professionnel Frédéric Perrier.» Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’un complément sonore accompagne ses ouvrages, puisque Eldorado existe également en version audio, enregistrée par le sound designer lausannois Julien Matthey. «J’écoutais beaucoup de livres audio quand j’étais petite, à la maison et dans la voiture: Marlène Jobert, et aussi Henri Dès, dont peu de gens savent qu’il a enregistré des histoires pour enfants, explique la jeune femme. Et je trouvais chouette d’entendre le petit «ding» qui signifiait qu’il fallait tourner la page. J’écoutais certains récits si souvent que je les connaissais par cœur. Je pourrais d’ailleurs vous redire certains débuts mot pour mot encore aujourd’hui! Il y avait par exemple l’histoire d’un piano tout triste d’être seul dans la maison d’un grand-père, et qui redevenait heureux quand le petit-fils venait jouer…»
Mais outre la musique, ce sont bien sûr les techniques et les couleurs utilisées qui apportent une âme et une atmosphère particulière à chaque ouvrage qu’elle illustre. «J’ai déjà testé plein de trucs depuis le début et j’adore découvrir de nouvelles techniques, s’enthousiasme-t-elle. Au départ, j’ai beaucoup utilisé l’aquarelle. Puis j’ai préféré la gouache pour Une journée extraordinaire et le pastel sec, qu’on peut travailler comme de la peinture, pour Babou, le tube en bambou. Et pour Eldorado, j’ai travaillé à la main puis ajouté des couches de couleur pantone à l’ordinateur.»
Jeux de couleurs
En tournant les pages de ce dernier, on découvre avec surprise que certains éléments sont rehaussés de rose fluo: une nuance très éloignée de celles utilisées en général par Jenay Loetscher… «On avait choisi ce rose pour accentuer l’effet joyeux du cirque, mais c’est vrai que j’aime bien les couleurs douces, admet celle-ci en riant. J’ai d’ailleurs créé plusieurs nuanciers sur mon ordinateur, et je remarque que j’ai une affinité avec certaines couleurs, qui reviennent souvent dans mes dessins. On ne se refait pas…» Par manque de temps, elle utilise en effet maintenant régulièrement sa tablette, et remarque qu’elle lui «permet d’être plus audacieuse»: «en dessinant à la main, explique-t-elle, il faut avoir une vision globale et faire attention au moment où on risque de mettre la couche de trop. L’ordinateur permet d’utiliser plusieurs types de traits et de moduler davantage le dessin». Et d’ajouter, avant de refermer ce dernier et de se lever: «Mais si je devais choisir un medium pour un prochain ouvrage, ce serait toujours le crayon de couleur! Dans la tête des gens, il est destiné aux enfants, mais il permet une palette absolument incroyable de nuances.»
Elle sort alors d’une armoire sa grande boîte de crayons sur trois étages, qu’elle possède «depuis très, très longtemps»: «Je la mets à disposition des enfants durant les ateliers, il y a donc plein de couleurs à choix. Dont du vert fluo, qui leur plaît beaucoup mais que de mon côté, je n’utiliserai sans doute jamais! J’ai doublé les couleurs que j’aime, et j’ai aussi toute la palette des «luminance», très pigmentées et qui résistent très bien à la lumière.» Elle continue à nous montrer ses trésors: une palette d’aquarelle qui la suit depuis vingt ans et dont elle remplace les tablettes de couleurs au coup par coup. Et aussi un carnet de dessins – pas les siens, cette fois-ci, mais ceux de Nelio: «C’est incroyable comme il dessine déjà bien, s’exclame-t-elle en nous montrant fièrement des croquis de voitures futuristes et de paysages, sur lesquels des flèches indiquent l’itinéraire des différents véhicules. Il a déjà un coup de crayon très précis, et c’est sûr qu’un jour, c’est lui qui m’apprendra des choses!».
Sur le bord de la table, plusieurs cadeaux sont soigneusement emballés: «C’est une commande pour une cliente, j’ai dédicacé des livres et les ai emballés dans un papier que j’ai créé et fait imprimer. C’est chouette de tester aussi d’autres supports, et ça permet d’offrir un présent totalement cohérent», sourit-elle.
Nous revenons vers la table basse, où est toujours posé Le train du sommeil. Sa vue fait naître une ultime question: le livre a-t-il autant séduit ses fils que ses récits du soir? «Oui, il fonctionne surtout hyper bien avec Ariel, celui qui a trois ans. Mon fils aime beaucoup le regarder seul, et c’est lui qui raconte l’histoire. Mon neveu fait d’ailleurs la même chose. C’est trop chou que les enfants se l’approprient, cela représente le plus beau retour que je puisse avoir! J’ai d’ailleurs déjà une petite idée dans un coin de ma tête pour un prochain ouvrage, il faudra que j’y réfléchisse plus en détail quand j’aurai le temps…»
Pour aller plus loin
Le site de Jenay Loetscher
Le site de Plume et Pinceau