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Kidi Bebey: «Au lieu d’insister sur nos différences, parlons plutôt de tout ce que nous partageons.»

Ricochet se laisse «ambiancer» par une écrivaine qui cultive sa passion pour l’Afrique et qui entend bâtir des ponts culturels entre les continents.

Kidi Bebey vignette
Dominique Petre
17 avril 2020

Pour voir 200 adolescents réciter d’une seule voix «Comment cela va?» en douala («É m’ala nde neni?»), il suffit d’avoir eu le privilège d’accompagner Kidi Bebey dans la salle des fêtes de l’École européenne de Francfort. La réponse de l’écrivaine parisienne d’origine camerounaise? «Bwam», c’est-à-dire «bien». Effectivement, cela a l’air d’aller plutôt bien pour Kidi Bebey, qui déambule élégamment entre les rangées remplies d’élèves enthousiastes. Chacune de ses réponses à leurs questions est saluée par une salve d’applaudissements. «Si vous continuez comme cela, je vais finir par me prendre pour une rockstar», menace l’écrivaine qui se dit «honorée d’être là».

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Kidi Bebey en visite à l'École européenne de Francfort : dans la salle des fêtes, devant des affiches réalisées par les élèves et des élèves concentrés pendant un atelier d’écriture sur le thème de l'autobiographie à la bibliothèque. (© Institut français Frankfurt; Dominique Petre; Dominique Petre; Institut français Frankfurt)

Invitée en février par l’Institut français pour rencontrer des élèves francophones ou francophiles de quatre collèges et lycées de Francfort[1], Kidi Bebey va passer trois jours à répondre aux nombreuses et pertinentes questions, à animer des ateliers d’écriture et à raconter son parcours d’écrivaine.

«Ce sont mes études de lettres qui m’ont longtemps empêchée d’écrire»
«Je ne suis auteure du matin au soir que depuis dix ans. J’ai coutume de dire que ce sont mes études de lettres qui m’ont longtemps empêchée d’écrire», explique-t-elle en souriant: «Après avoir lu tant de génies, j’ai mis du temps à me permettre d’écrire».
Pourtant elle a toujours aimé raconter des histoires. «Quand j’étais enfant, mon album préféré racontait le quotidien exotique de Noriko, une petite Japonaise»[2], se souvient Kidi Bebey. «Mes camarades de classe me posaient de nombreuses questions sur l’Afrique alors que j’étais née à Paris. Alors j’ai commencé à inventer des histoires pour leur donner ce qu’ils avaient envie d’entendre. Je ne mentais pas en prétendant que j’avais vu des lions et des girafes», précise-t-elle. «J’omettais juste de dire que c’était au zoo de Vincennes.»
Celle qui a été institutrice puis journaliste (pour les magazines Planète Jeunes et Planète Enfants, destinés aux Africains francophones, puis pour Radio France internationale) adore son relativement nouveau métier d’écrivaine à temps plein: «Les mots et l’imagination peuvent être encore plus magiques qu’une baguette», affirme-t-elle à de jeunes moldus qui viennent de citer Harry Potter parmi leurs romans préférés.

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Kidi Bebey est la bienvenue au Lycée français de Francfort, son premier album paru en 1999, des collégiens avec l’écrivaine et une séance de dédicaces après un atelier d’écriture. (© Dominique Petre; EDICEF; Dominique Petre; Dominique Petre)

Les petits peuvent poser de grandes questions
Même si elle n’écrit à plein temps que depuis dix ans, c’est il y a vingt ans qu’est publié son premier album, Pourquoi je ne suis pas sur la photo?, chez EDICEF, une filiale d’Hachette destinée au marché africain. «Nous avions coutume de nous moquer de notre plus jeune frère lorsqu’il posait cette question qui nous paraissait idiote: il n’était pas sur la photo car il n’était pas encore né!» raconte Kidi Bebey. «Quand mon fils l’a posée à son tour à sa grande sœur, j’ai pris conscience de sa dimension philosophique, preuve que les petits peuvent poser de grandes questions», commente l’écrivaine. Dans l’album illustré par Christian Kingue Epanya, le jeune Titi interroge son entourage: «Où est-on quand on n’est pas encore né?». Une question que pose aussi Kidi Bebey à des collégiens du Lycée français Victor Hugo pour les inciter à écrire lors d’un atelier.
C’est également pour EDICEF qu’elle a écrit la série des Saï-Saï, deux filles et deux garçons solidaires et épris de justice. «Petite, j’adorais les histoires policières mettant en scène des enfants», explique Kidi Bebey, qui précise en souriant: «Saï-Saï veut dire “petits bandits” en wolof du Sénégal, un surnom paradoxal pour des détectives».
Elle a écrit d’autres albums, comme Ouste, les loups! (Bayard Jeunesse) sur un petit garçon qui aimerait dormir dans le lit de ses parents et Un bébé? Et moi alors… (Bayard Jeunesse) sur un autre déjà jaloux d’une petite sœur ou un petit frère pas encore né.

Extraordinaire chemin parcouru par ses parents
Son œuvre majeure reste le roman largement autobiographique Mon royaume pour une guitare (Michel Lafon), dans lequel elle conte l’extraordinaire chemin parcouru par ses parents. «Mon père Francis était passionné de musique. Il a quitté le Cameroun à 20 ans avec une bourse pour venir étudier en France et il a appris la guitare en autodidacte», résume Kidi Bebey. Né dans une modeste famille protestante d’un petit village camerounais, Francis Bebey emprunte une trajectoire de vie plutôt inattendue, puisque expatrié à Paris, il deviendra journaliste puis haut fonctionnaire à l’UNESCO avant de se consacrer à sa passion: la musique.

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La série des «Saï-Saï», l’écrivaine entourée d’un groupe de fans dans la bibliothèque de l’École européenne de Francfort et «Mon royaume pour une guitare» qui raconte le parcours de Francis Bebey, le père de Kidi. (© Kidi Bebey/EDICEF; Institut français Frankfurt; Michel Lafon; DR/Kidi Bebey)  

Pourquoi est-ce son père, et non sa mère, qui occupe le rôle principal de Mon royaume pour une guitare? lui demandent de jeunes élèves qui ont grandi en même temps que le mouvement #metoo. «Quand mon père est mort, j’avais de nombreuses questions que je ne pouvais plus lui poser. Je me suis alors tournée vers ma mère et j’ai commencé le livre en racontant l’histoire de son point de vue. Mais je me suis vite aperçue que je ne pouvais raconter que le mien», se justifie Kidi Bebey, avant d’ajouter en riant: «Ma mère est une héroïne aussi, ne fût-ce que parce qu’elle a élevé cinq enfants. Maintenant que j’en ai deux je comprends mieux ce que cela représente».
Écrire pour les adultes, est-ce différent que d’écrire pour les enfants? «Je me sentais à la fois plus libre car il ne s’agissait pas d’un livre jeunesse où il fallait penser au public, mais à la fois moins libre car il s’agissait de l’histoire de ma famille», répond Kidi Bebey.

 «L’inspiration ne vient que quand on travaille»
À un élève qui lui demande si elle a un endroit préféré pour écrire, elle répond que son rituel, c’est d’être chaque matin à 9h à son bureau. «Certains pensent qu’il y a quelque chose dans l’air qui s’appelle l’inspiration et qu’il suffit de l’attendre. Moi je dis qu’elle ne viendra que si elle vous trouve en train de travailler». Et est-il difficile d’être écrivaine? «J’ai de bons et de moins bons jours, sans doute comme vous à l’école», répond Kidi Bebey avant de préciser: «Aucun métier n’est facile, mais si on fait ce qui fait battre son cœur, on trouvera toujours des solutions aux problèmes». 
Si Kidi Bebey peut aujourd’hui correctement vivre de sa plume, c’est aussi grâce à sa double casquette: elle alterne projets personnels et commandes de maisons d’édition. «Ce que l’on cherche alors, c’est mon côté technicienne ou spécialiste. Ces deux pans de mon métier me permettent d’équilibrer travail et revenus», précise-t-elle.

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Kidi Bebey et son dernier album, «L’orage», publié en Guinée, le bureau qui l’attend tous les matins à 9h, la BD «Seuls» transformée en petit roman et l’écrivaine devant le portrait de Carl Schurz à l’école qui porte son nom. (© Dominique Petre; Kidi Bebey; Pocket Jeunesse; Pocket Jeunesse; Dominique Petre)

C’est ainsi qu’après le succès de la telenovela colombienne Chica Vampiro, Pocket Jeunesse lui demande d’écrire de petits romans destinés aux fans de la série. Et lorsque Seuls de Fabien Vehlmann et Bruno Gazzotti s’apprête à être adaptée au cinéma, le même éditeur sollicite Kidi Bebey pour transformer la BD franco-belge en petits romans illustrés. «Il s’agissait de faire un produit dérivé, il fallait que mon livre apporte quelque chose de neuf par rapport à la BD», explique Kidi Bebey. «J’ai par exemple donné une vie intérieure au personnage de Dodji qui était plutôt silencieux dans la BD.»

«Pour moi c’est important d’être aussi éditée en Afrique»
Son dernier album, L’orage, illustré par Irina Condé a été publié aux éditions guinéennes Ganndal. «Je connaissais la directrice littéraire Marie-Paule Huet qui m’avait invitée à Conakry pour animer un atelier d’écriture. Pour moi c’est important d’être aussi éditée en Afrique, cela m’intéresse de suivre ce qui se passe là-bas», explique Kidi Bebey.
Est-il difficile de trouver sa place quand on est issu d’une double culture? lui demande une élève à Francfort. «C’est à chacun de se rendre compte que l’on est deux fois riche et que l’on peut se nourrir de cette double culture», répond celle qui dit se sentir parfois «parisienne en Afrique» et parfois «africaine à Paris».
«Ce qui est formidable», poursuit Kidi Bebey, «c’est d’avoir le choix de pouvoir aller vers ce qui nous attire. Moi c’est l’Afrique, mais ce n’était pas obligé. Mon frère aîné, par exemple, est professeur de latin et de grec, il préférerait sûrement un voyage à Rome ou Athènes qu’à Bamako ou Dakar». Ce qui la fait craquer pour le continent africain? «L’incroyable énergie! Je suis allée à Cotonou récemment, tous les jeunes sont en scooter, même la nuit cela bouge constamment, les marchés restent ouverts… pas comme à Francfort!», précise-t-elle en souriant, avant de poursuivre: «Un je-ne-sais-quoi de chaleureux qui circule, la nourriture qui est pour moi liée à des souvenirs d’enfance, mais aussi les vêtements bigarrés, les tissus qui racontent des histoires». L’artiste Kei Lam, pour réaliser la couverture de la version poche de Mon Royaume pour une guitare (Pocket) s’est d’ailleurs inspirée d’un motif de pagne africain appelé «fleurs de mariage».

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La couverture imaginée par Kei Lam pour la version poche de «Mon Royaume pour une guitare», Kidi Bebey présente son documentaire sur Miriam Makeba aux collégiens du Lycée Victor Hugo, une élève lit sa production lors d’un atelier d’écriture à l’École européenne où Kidi Bebey est en visite. (© Pocket; Dominique Petre; Institut français Frankfurt; Dominique Petre)

Kidi Bebey, qui avait craqué enfant pour le documentaire sur le Japon de Noriko, a réalisé plusieurs albums documentaires pour l’éditeur malien Cauris (prix Afrilivres 2019 qui récompense la meilleure maison d’édition en Afrique francophone) sur des personnages africains d’exception comme la chanteuse Miriam Makeba ou le poète et politicien Aimé Césaire.
«Il est utile, et pas seulement pour les Africains, qu’une telle collection sur des personnages historiques originaires d’Afrique existe. Les Africains savent pas mal de choses sur la France et les Français si peu de choses sur l’Afrique», se désole Kidi Bebey.

Quand l’exil permet de devenir soi-même
La grande saison culturelle «Africa 2020» annoncée par le président Emmanuel Macron qui devrait montrer le continent dans sa diversité, sera donc utile[3]. Et s’il l’avait désignée elle, Kidi Bebey, commissaire de cette manifestation, que montrerait-elle? Kidi Bebey part dans un éclat de rire («Macron? Moi?») avant de reprendre son sérieux pour répondre: «Je mettrais l’accent sur ce qui nous rassemble plutôt que ce sur ce qui nous sépare».
Quelques exemples de ce qu’elle montrerait? «La série d’Arte Africa riding, réalisée par Liz Gomis, sur une jeunesse africaine qui roule (en skateboard, patins ou à vélo) du Ghana au Rwanda, en passant par le Sénégal et l’Ouganda[4]. Ou le roman graphique sur Maria Callas réalisé par Gaspard Njock, un Camerounais qui, après avoir gagné un concours, a pu étudier la BD en Italie et y a découvert l’opéra. Ou encore le film documentaire Kinshasa Symphony sur un orchestre philarmonique au Congo…».

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Le roman graphique sur Maria Callas de Gaspard Njock et la série télévisée Riding Africa d’Arte. (© Gaspard Njock, Nouveau Monde; Liz Gomis, Arte)

«Il faut décaler les regards», explique Kidi Bebey qui ajoute: «Je parlerais sans doute de mon père aussi, car son parcours est celui de quelqu’un à qui l’exil a permis de devenir lui-même».
«Ce qui m’intéresse», conclut l’écrivaine, «ce sont les points de contacts, les ponts que la culture permet de jeter entre les êtres humains».


[1] Invitée par l’Institut français Frankfurt et le projet « auteur(e)s à l’école » du Lycée français et de son association de parents UPEA, Kidi Bebey a rencontré des élèves de l’École Européenne, du Lycée français Victor Hugo, de la Carl-Schurz-Schule et de la Reuter Schule du 11 au 13 février 2020.
[2] Pour celles et ceux qui voudraient le découvrir: https://www.ina.fr/video/CPF86609778
[3] Initialement prévue de juin à décembre 2020, la saison culturelle «Africa 2020» a été reportée en raison de la crise du coronavirus.
[4] L’intégrale est visible sur Youtube.


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