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La médiathèque Françoise Sagan : L’Heure joyeuse au coeur d’un projet singulier

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Christine Plu
10 mars 2016


La médiathèque Françoise Sagan qui a ouvert ses portes il y a moins d’un an à Paris, sera l’invitée d’honneur du Salon international du livre rare de l’autographe, de l’estampe et du dessin (21 au 24 avril 2016).







N’est-ce pas paradoxal de célébrer la plus récente des médiathèques parisiennes dans un salon du livre ancien ? Pas tout à fait, car la médiathèque est en réalité le nouvel écrin d’une bibliothèque spécialisée que les amateurs et chercheurs en littérature de jeunesse connaissent bien, L’Heure joyeuse. Les visiteurs du salon découvriront une exposition présentant une partie de ce fonds patrimonial exceptionnel qui inscrit la littérature de jeunesse dans le passé jusqu’à aujourd’hui.

Les lecteurs parisiens, spécialistes de littérature de jeunesse ou simples habitants du quartier, bénéficient depuis mai 2015 de ce nouveau lieu appartenant au réseau Paris Bibliothèques. La médiathèque Françoise Sagan a été conçue autour du fonds de la bibliothèque patrimoniale de L’Heure joyeuse – ancienne bibliothèque spécialisée, créée en 1924, déménagée de la rue des prêtres St Séverin dans le 6e arrondissement en 2012, après une douzaine d’années de projets et travaux –, pour une installation au carré St Lazare (8, rue Léon Schwartzenberg), dans le 10e arrondissement. Mais dire cela ne suffit pas à caractériser la singularité de son projet global basé sur une conception transversale du livre et de la culture. L’ouverture de ce nouveau lieu fait évènement car, au-delà des ressources rares mises à disposition de tous, les espaces architecturaux et la politique d’animation sont innovantes : ils inscrivent la vie de la bibliothèque dans une logique de décloisonnement de la littérature de jeunesse et dans l’idée d’une culture patrimoniale dépoussiérée.




Inauguration de la médiathèque Françoise Sagan.





En janvier 2016, Viviane Ezratty, directrice de la médiathèque, et Hélène Valloteau, responsable du fonds patrimonial de L’Heure joyeuse, m’ont accordé un entretien. Elles présentent la médiathèque, expliquent cette volonté de décloisonnement concrétisé cette année par un programme d’expositions et de rencontres autour de l’album.


 
1. L’Heure Joyeuse au cœur de la médiathèque

 
Hélène Valloteau et Viviane Ezratty, une année après son ouverture, où en est l’installation de la médiathèque ? Est-ce une bibliothèque spécialisée en littérature de jeunesse ? Quelle est la particularité de ce nouveau lieu ?

La médiathèque Françoise Sagan est une nouvelle bibliothèque d’arrondissement, avec un fonds tout public pour les lecteurs parisiens comme toute bibliothèque de la Ville de Paris. Mais elle est organisée et animée par l’intégration de différents pôles dont l’important pôle Jeunesse qui associe le fonds patrimonial de L’Heure Joyeuse et le secteur jeunesse de la médiathèque. A cette date, la médiathèque doit encore évoluer : une partie des travaux des magasins sous-sol se poursuivent en 2016 pour accueillir les documents anciens.


Rappelez-nous les particularités de ce fonds appelé patrimonial qui vient de célébrer ses 90 ans.

Les collections patrimoniales concernent 80 000 documents – ouvrages et objets – datant du XVIe siècle jusqu’à nos jours. Le terme « patrimonial » ne se limite pas aux livres anciens. Par exemple, un livre d’artiste, voire un livre paru en 2016 qui nous semble intéressant pour la postérité, ont vocation à intégrer cette collection.

 



Lebedev et Maršak = Вчера и сегодня = Včera i segodnâ = Hier et aujourdhui, Moscou, 1928.

Fonds patrimonial L'Heure joyeuse, médiathèque Françoise Sagan.

 


  

Livres d’artistes Julia Chausson, Le petit chaperon rouge, 2011, n°27/58, 16.5 x 16 cm, xylographie ;
Françoise Vandenwouwer, Souvenir du Petit Chaperon Rouge, 2011, 6 x 4,5 cm ;

Fonds patrimonial L'Heure joyeuse, médiathèque Françoise Sagan.

 



Cette dernière rassemble tous les genres et tous les supports : des livres bien évidemment (80%), mais aussi des revues et des disques, avec comme points forts des originaux et affiches. Parmi nos spécificités, la possibilité – pour le chercheur ou l’amateur – de consulter des fonds d’archives de L’Heure Joyeuse, mais aussi des archives éditoriales, celles de Rageot par exemple ou des éditions de François Ruy-Vidal. Ces documents-là ne sont pas empruntables mais consultables sur place ou dans des expositions.

Les amateurs et chercheurs attendaient depuis plus de dix ans cette nouvelle bibliothèque de L’Heure Joyeuse avec la possibilité d’accéder à ses « trésors ».

Il faut noter que si la communication des collections anciennes de L’Heure joyeuse est bien rétablie, l’accès nécessite un petit délai car les fonds anciens sont encore stockés en banlieue, le temps des travaux. Ceci dit, les livres anciens sont numérisés et visibles sur Gallica, bibliothèque numérique de la Bibliothèque Nationale. Mais contrairement à ce qui se produisait dans le site précédent, rue de prêtres St Séverin, les chercheurs et amateurs ne peuvent pas venir en magasin pour farfouiller dans les collections. Il faut donc anticiper et réserver les ouvrages par l’intermédiaire des bibliothécaires, au téléphone ou par mail, ou sur le site des bibliothèques spécialisés de la Ville de Paris. Les ouvrages du fonds patrimonial sont répertoriés sur un catalogue spécifique, et donc déjà accessibles.

 

En fait, plusieurs fonds de livres sont mêlés dans la médiathèque : certains sont empruntables, accessibles directement, d’autres seulement consultables, ou accessibles par réservation.

C’est une nouvelle logique choisie pour lier les fonds dans le lieu mais qui est dissociée sur le plan informatique : les lecteurs trouvent un fonds de référence qui peut être prêté, à des étudiants par exemple, en tant que littérature de jeunesse et les collections patrimoniales communicables en consultation sur place.




Salle de lecture du fonds patrimonial L'Heure joyeuse, Médiathèque Françoise Sagan.



 

Comment animez-vous et reliez-vous tous ces fonds autour de la littérature de jeunesse ?

Nos différentes logiques de fonds articulent deux équipes, c’est quelque chose de singulier qui était d’une certaine façon en germe à L’Heure Joyeuse. Nous avons réalisé cette osmose ici. Hélène Valotteau chapeaute un double pôle « Patrimoine et jeunesse », où les deux secteurs sont véritablement complémentaires. L’un est dédié à la conservation, au catalogage et à l’information scientifique ; l’autre a des activités habituelles de bibliothèque jeunesse. Cette logique se perçoit bien dans le cadre des accueils de scolaires et des animations, ou des expositions pour lesquelles on pioche dans le fonds patrimonial pour avoir un matériau riche et montrer des livres d’artistes.


Donc les deux équipes qui constituent ce pôle créent des passerelles entre les lieux ?

Oui, cette logique se matérialise par une grande cloison en verre, transparente, qui sépare les salles de lecture jeunesse de celle de L’Heure Joyeuse. De plus, des vitrines et des murs d’exposition relient livres anciens et ouvrages récents dans cette salle : le plus souvent, cela accompagne les expositions du moment comme actuellement pour « Dans les coulisses de l’album ». Ce choix court dans les différents espaces et étages, d’autres vitrines entrant en résonance avec les thématiques culturelles de l’ensemble de la bibliothèque : espace adulte et jeunesse, fonds numérique et contemporain dialoguent au gré des évènements avec le fonds ancien. On suppose qu’un lecteur sans enfants ni intérêt a priori pour le livre jeunesse trouvera, dans la présentation des objets et des livres anciens, trouvera matière à un souvenir d’enfance ou sera sensible à la beauté graphique qui caractérise un grand nombre de ces livres.


Les lecteurs peuvent ainsi rencontrer le patrimoine de L’Heure Joyeuse dans toutes les salles ; le pôle jeunesse est transversal et votre médiathèque s’organise à tous niveaux autour du décloisonnement.

Il s’agit là d’une des composantes première du projet : le patrimoine à la rencontre de l’actualité. Cette transversalité des fonds prend forme dans l’aménagement matériel comme dans le fonds et le programme d’activités. Tout d’abord le carré St Lazare, bâtiment du début du XXe siècle, a été totalement repensé pour devenir une médiathèque du XXIe siècle, très lumineuse, avec de larges espaces et des  axes de circulations pour les relier. Ce bâtiment très moderne fait voisiner des rangements aux formes épurées avec le mobilier datant de 1924 de la section jeunesse.

 



Mobilier dans la section jeunesse.

 


 

Cette logique du décloisonnement ancien/moderne est totale avec une véritable actualisation, choisie dès le début et qui peut être comparée à l’ADN du projet. Si elle semble innovante, elle s’inscrit surtout dans une des missions de conservation des bibliothécaires.

Dès le début, quand il a été décidé de faire déménager les collections et de déplacer l’ancienne Heure joyeuse, il a été convenu de ne pas créer une bibliothèque spécialisée à part, ni un centre de recherche isolé, mais bien de les lier à une médiathèque de quartier. Jusqu’à 2004, le projet était pensé comme une bibliothèque jeunesse intégrant L’Heure joyeuse, puis il a évolué vers une intégration dans une médiathèque généraliste publique, c'est-à-dire avec des collections aussi pour adultes. L’occasion s’est présentée car le 10e arrondissement avait besoin d’une médiathèque, ce qui a permis d’y réfléchir véritablement à partir de 2008. Ainsi le public du quartier, adultes et enfants, découvre tout à fait naturellement le patrimoine avec des conférences et des expositions dans sa médiathèque d’arrondissement. Par exemple, notre dernier projet d’action culturelle englobe toute une section autour de l’art graphique avec des images du patrimoine jeunesse et d’autres réalisées par des illustrateurs et des supports tous publics comme des pochettes de disques. Cela implique toute une logique d’animation autour de l’image, innervée par le patrimoine, qui ne pas seulement patrimoniale ou jeunesse. C’est une sorte de nourriture mutuelle, une capillarité entre les secteurs : tout s’irrigue et tout est lié.


Et le fonds de L’Heure joyeuse apparait également intégré dans le programme des activités.

Non seulement le fonds patrimonial jeunesse intègre ses propres thématiques dans les grilles d’activités mais ses ressources sont associées aux autres évènements. Des originaux d’exposition se retrouvent ainsi dans toutes les salles, et on trouvera aussi des livres contemporains dans la salle du fonds patrimonial. Les enfants, comme les nostalgiques de la littérature jeunesse, verront de-ci delà des accroches, et les vitrines de tous les étages associées à des boites de livres et des bibliographies : certains ouvrages, doublons de modèles exposés, peuvent ainsi être lus et manipulés.


Les livres du fonds patrimonial sortent de L’Heure joyeuse mais les enfants y viennent-ils ?

Il s’agissait d’inviter les enfants à franchir la cloison vitrée pour entrer dans la salle de L’Heure joyeuse. Alors, nous avons imaginé des petits procédés de communication avec la salle jeunesse, des affiches et des livres à feuilleter pour inviter à pousser la porte par exemple. Une fois quelques enfants accrochés, ils se font émissaires pour les autres… Cela a très bien marché avec l’anniversaire des Barbapapa : tous les albums ont été empruntés. L’équipe patrimoniale a la volonté de proposer des objets que l’on puisse toucher et manipuler, l’accompagnement est prévu pour cet accès direct. Le côté sacré du livre ne doit pas être une barrière, au contraire, on maintient la sacralisation en quelque sorte quand on permet de toucher et tourner les pages avec précaution ; c’est cette attitude de lecture du livre rare qui participe au plaisir et l’attrait est fort pour un livre précieux…


Comment ce décloisonnement prend-il forme avec les équipes ?

La règle suivie à Françoise Sagan est véritablement originale. Bien évidemment, les bibliothécaires ont leurs tâches spécifiques : 35 personnes s’occuperont à terme de la bibliothèque de prêt et 5 personnes et demi du fonds patrimonial de L’Heure Joyeuse qui travaille sur la conservation. Mais sur les différents dossiers liés à l’accueil des lecteurs, l’action culturelle, le multimédia et le numérique, l’équipe patrimoine est associée et, par exemple dans les ateliers numériques proposés aux enfants, les bibliothécaires arrivent toujours à associer un livre du fonds ancien.




Photographie du blog de la médiathèque.





Le lecteur pourra comprendre ces articulations sur le BLOG DE LA MÉDIATHÈQUE.

Les TEASERS, réalisés en avril et mai 2015, pour accompagner le compte à rebours de l’inauguration, annonçaient déjà joyeusement au public l’atmosphère en jouant sur l’exercice de style, l’humour et les références culturelles (à retrouver aussi sur la page FACEBOOK de la médiathèque).


La médiathèque, qui a été inaugurée de façon festive au printemps 2015, a accueilli à cette occasion une foule importante mêlant les familles du quartier aux amateurs de littérature de jeunesse et depuis, son activité déploie un programme riche et divers autour de ces axes principaux avec parmi eux des temps forts pour les expositions sur l’album.






Photographie de l'inauguration



Ressources : la médiathèque fait parler d’elle !

Le décloisonnement et la modernité du lieu font parler de la médiathèque : la presse s’en fait le relais et les commentateurs ne s’y trompent pas comme le démontrent la diversité des articles qui accompagnent l’ouverture de ce lieu.

  • Avant son ouverture officielle, le 18 mars 2015, l’émission « La fabrique de l’histoire » (France Culture), qui consacrait une semaine à la littérature de jeunesse, avait laissé la parole aux spécialistes sur l’Histoire des bibliothèques jeunesse et avec plus particulièrement celle de L’Heure joyeuse. À RÉÉCOUTER SUR FRANCE CULTURE.
  • Son architecture a été remarquée dès le départ, comme dans La revue des livres pour enfants, n° 283 de juin 2015 (CNPLJ) « Ça déménage ! La nouvelle médiathèque Françoise Sagan » dans le dossier « Un architecte à la médiathèque ». Voir sommaire de la revue
  • Le décloisonnement fait également l’objet de commentaires, notamment sur la notion de troisième lieu, la bibliothèque conçue comme espace social et culturel « ouvert à tous ». Dans le magazine Télérama n°3444 (16 au 22 janvier 2016), un article de Yohav Oremiatzki présente la politique non élitiste de ce lieu implanté dans un quartier populaire et divers dans les nationalités qu’il accueille. L’auteur de l’article souligne, là encore l’importance, des liens et du décloisonnement voulus par le projet de l’équipe.



 

Photographies de Sylvie Chan-Liat
Image d'introduction : ex-libris réalisé pour L’Heure Joyeuse par Helen Stowe Penrose