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Les enfants et le phénomène des périodiques

Georges André Vuaroqueaux
1 janvier 1990

S'adresser aux jeunes lecteurs par l'intermédiaire des journaux est une idée de longue date. Dès le milieu du XVIII° siècle, éditeurs et pédagogues ont tenté de s'adresser aux plus jeunes par l'intermédiaire de publications régulières. L'âge d'or des magazines pour enfants est sans conteste la période de la fin du XIX° siècle, avec La Semaine de Suzette éditée par la librairie Hachette durant plus de vingt ans (1857-1876) ou encore avec, à partir de 1864 jusqu'en 1906, le Magasin d'éducation et de récréation de l'éditeur Pierre-Jules Hetzel et de Jean Macé, fondateur de la Ligue de l'enseignement.

Pourtant, jusque dans les années 60, la presse enfantine vit surtout sur ses acquis et se renouvelle peu. L'héritage du Petit Français illustré et de Vaillant est encore bien perceptible. Humour, bande-dessinée et jeu se côtoient, faisant de ce type de publication, pour bon nombre de prescripteurs, une littérature sans importance. Depuis, cette idée est encore largement répandue parmi les pédagogues et les éducateur. On croyait la presse française pour enfants une sous-littérature, une sorte de littérature populaire, distrayante certes mais inutile pour tout apprentissage sérieux en comparaison au pouvoir du livre.

A présent il nous faut changer d'opinion. Voici que les revues pour enfants font une entrée en force dans le dispositif d'apprentissage et de découverte proposé aux jeunes lecteurs. Cette image, à peine ringarde d'une littérature passéiste, est désormais terminée. Les éditeurs de magazines pour les jeunes sont depuis quelques années déjà de mieux en mieux structurés pour appréhender un marché à présent étendu, dépassant même sur bien des points les éditeurs d'ouvrages pour la jeunesse. Il est vrai que le marché des péridodiques pour le jeunesse est alléchant, avec près de 13 millions de lecteurs potentiels, pour 50 millions d'exemplaires diffusés chaque année, même s'il ne représente que 3% des ventes de périodiques en France. Suffisamment alléchant tout au moins pour innover et aller chercher le lecteur là où il se trouve. Les nouvelles technologies, grâce à internet notamment, n'ont fait que renforcer ce phénomène. D'autant que les jeunes lecteurs, de par leur mode de vie urbaine et leur éducation, sont de plus en plus friands des magazines qui leur sont destinés. Tout se déroule aujourd'hui comme si l'apprentissage et l'ouverture culturelle des enfants allait de pair avec l'achat de périodiques. L'évolution est de taille.

Ainsi, les jeunes Français sont-ils les plus gros consommateurs de magazines en Europe. Près de trois-quarts d'entre eux lisent au moins un magazine par mois. Si on entend encore souvent dire que les enfants lisent moins (...de livres) par rapport à leurs aînés, la presse pour les jeunes connaît quant à elle un véritable engouement. Pas un foyer français sans au moins un magazine destiné aux enfants, et ce, quel que soit le domaine ou le niveau social. D'autant que ce sont les adolescents, ces "toujours mauvais lecteurs", qui semblent les plus fervents lecteurs de magazines en tout genre. 75% d'entre-eux achètent un magazine (entre 11 et 17 ans, ils lisent en moyenne six titres différents).

Il est vrai que les périodiques et les revues à destination des jeunes sont en France très nombreux, d'adressant à tous les âges et abordant presque sur tous les sujets. Pas moins de 120 titres, du très jeune âge jusqu'à 17 ans, édités par près de 30 éditeurs, sont disponibles dans les kiosques ou sur abonnement. Quatre groupes de presse, Bayard, Fleurus, Disney Hachette, ainsi que Milan Presse à Toulouse, se taillent la part du lion (avec près de 60% des titres), proposant non seulement une lecture loisir comme par le passé, mais également des formules pédagogiques spécifiques pour les jeunes lecteurs de magazines.

Cette spécificité française est aujourd'hui reconnue au-delà de nos frontières. Un groupe comme Bayard Presse l'a bien compris, déclinant, sur son site internet (www.bayardpresse.com), la plupart de ses revues en Afrique, en Asie et en Amérique du Nord. Le secteur jeunesse de Bayard Presse réalise à présent plus de 20% de son chiffre d'affaires à l'étranger. Créée en 1977, la revue J'aime lire n'est plus inconnue les jeunes lecteurs espagnols ou polonais. La mondialisation passe aussi par le secteur des revues pour enfants.



Mais ce résultat n'est pas le fait du hasard. Longtemps florissante, jusque dans les années 60, la presse pour la jeunesse avait mal vieilli. Rapidement concurencés, les éditeurs se devaient d'innover et d'investir lourdement face au petit écran, puis bientôt au jeu vidéo. Les tirages du Journal de Mickey, par exemple, qui avaient atteint quelques 600 000 exemplaires dans les années 50, s'étaient effondrés 20 ans plus tard. Sous peine de disparaître définitivement, la presse pour la jeunesse a alors cherché à renouveler sa gamme de produits, plus adaptée au besoin de l'époque, à la place de l'enfant dans notre société, mais également aux souhaits des parents. La simple lecture loisir n'était plus de mise.

Cette nouvelle évolution date surtout des années 80. Les anciens, Bayard Presse en tête, tout comme les nouveaux venus, ont tenté d'inventer de nouveaux genres et de dépasser cette image d'une lecture sans grands enjeux. Le magazine ne devait plus seulement être assimilé à une lecture divertissante, trop tôt jetée au panier. Il devait aussi apparaître comme un outil pédogique, documentaire, informatif, pour ensuite être gardé, relu, collectionné. Il devait surtout répondre au plus près aux attentes du public, en habituant très tôt les enfants à manipuler des magazines, en proposant une revue adaptée (voir simplifiée) pour chaque classe d'âge. Le lecteur de périodiques n'était plus seulement l'enfant qui lit ou le bon lecteur. Les éditeurs devaient également se tourner vers les "non-lecteurs", comme ceux de la petites enfance ou les petits bricoleurs. Vers, en somme, un magazine d'apprentissage et de découverte où l'enfant non lecteur et les parents pourraient se retrouver. Le revue des années 80 répond à cette nouvelle mission, celle d'un projet éducatif où toute la famille pourra se rassembler.

Dès 1966, Bayard propose Pomme d'Api, pour les enfants de 3 à 7 ans, et toujours en tête des ventes dans son domaine plus de trente ans plus tard. Mais d'autres éditeurs vont se montrer plus entreprenants. En octobre 1985, Milan est le premier à lancer un magazine "familiale" pour les enfants, en publiant Toupie, destinés aux enfants à partir de 18 mois. A priori l'idée peut sembler saugrenue - dédier un magazine mensuel de 40 pages à des enfants aussi jeunes. Mais Toupie s'adresse avant tout aux demandes des parents et aux éducateurs qui ont pour tâche de guider l'enfant. Toupie est d'ailleurs réalisés sous couvert d'une équipe pédagogique muée en journalistes. Ce nouveau magazine satisfait à la fois la curiosité active de l'enfant et le souci, toujours plus vif, de l'adulte de l'assister au mieux dans son développement comme dans éducation (le cahiers parents inséré au milieu du magazine dès le premier numéro en fait foi). Avec Toupie, la lecture devient tout autant active qu'affective, et la formule marche.

La presse pour enfant se segmente ainsi, au fil des ans, en classes d'âge de plus en plus précises : 0-3 ans, 3-6 ans, 7-10 ans, 10-14 ans, pour mieux cibler les attentes du public. Si les enfants sont désormais une cible, ils le sont avant tout selon leur âge et selon les préoccupations du moment. Mais le magazine des années 80 s'adresse aussi aux adultes afin de les aider au mieux dans l'éducation de leurs bambins. Le projet éducatif prime. Les grands groupes de presse adoptent ainsi des politiques de chaînage quelque soit les thèmes proposés. Un lecteur atteint par la limite d'âge d'un journal (celui-ci considéré décormais comme un ami ou un copain) est renvoyé presque automatiquement vers un autre titre de la maison. Chez Bayard Presse, le jeune lecteur pourra ainsi, au fil de sa vie d'enfant, être abonné à Popi, Pomme d'Api, Astrapi, Okapi puis lorsqu'il sera étudiant à Phosphore. Les autres éditeurs font de même. Chez Milan. le lecteur passera de Picot (dès 9 mois) à Toupie (dès 2 ans), Toboggan (dès 4 ans), Moi, je lis (dès sept ans), puis Mikado et Wapiti. Il s'agit bien de fidéliser le lectorat du berceau jusqu'à l'adolescence, avec l'approbation des parents.

Si le niveau du lectorat prime, les éditeurs ont aussi innover dans la qualité des revues proposées. De nombreuses publications périodiques ressemblent plus aujourd'hui à de véritables petits livres qu'à des feuillets détachables. Il est vrai que les périodiques pour enfants renvoient inévitablement à leurs univers culturels, façonnés par la télévision et les jeux vidéos. Le confort du lecteur est primordial. Il doit s'y sentir comme chez lui. Les magazines regorgent d'images et de couleurs, les activités manuelles proposées ne sont plus seulement calquées sur celles de l'école, mais bien plus sur ses activités familiales. Avec un visuel plus affirmées, des textes courts et une connaissance rapide d'un sujet, l'enfant peut s'identifier rapidement.

Chaque enfant ou adolescent peut ainsi trouver près de chez lui un titre qui correspond à ses goûts ou ses aspirations du moment, du documentaire écologique (Wakou à Wapiti) aux petits débrouillards scientifiques, du jeux vidéo (Joystick ou Playstation Magazine) aux langues étrangères, sans compter la presse sportive (football, basket, cheval, glisse). Les éditeurs offrent, avec de plus en plus de précision, un périodique spécifique à une tranche d'âge ou à une activité de plus en plus restreinte.

Autre caractéristique en ce début de siècle, les éditeurs ont également revisité les magazines féminins. Milan le premier a proposé Julie, un magazine spécialement conçu pour les filles de 8 à 12 ans, bientôt suivi par Les Petites sorcières chez Bayard Presse pour la même tranche d'âge. Les garçons ne sont pas en reste avec des revues comme Les Aventuriers toujours chez Milan. Pourtant malgré ces innovations, les éditeurs de presse pour la jeunesse connaissent deux difficultés majeures. Le coût relativement élevé d'une part, tant dans la réalistion de la revue (qualité du papier, des illustrations, de la mise en page) que dans le budget promotionnel. A cela, la réponse passe par une fidélisatiion accrue du jeune lectorat et donc par des offres d'abonnement plus alléchantes. Autre difficulté, la faiblesse des recettes publicitaires, bien que depuis une dizaine d'année elle s'immisce dans le rédactionnel, que ce soit dans les jeux ou les reportages.

A ces difficultés, les grands éditeurs de presse enfantine répondent encore aujourd'hui par l'innovation et l'invention. Et tout d'abord, comme pour les adultes, par le quotidien d'actualité. Dès 1984, le quotidien L'Alsace lancé le Journal des enfants, supplément hebdomadaire de quatre pages pour les 8-13 ans. Tous les sujets d'actualités, liés à l'information, sont ici abordés, de la politiques française et internationale au nouvelles sportives, des faits divers aux grands évènements culturels. En 1994, le tirage hebdomadaire est de 200 000 exemplaires et cette nouveauté dans la presse française va bientôt être imitée. Cette même année, les éditions Milan tentent une expérience similaire, avec Les Clés de l'actualité, puis, pour les plus jeunes, avec Les Clés de l'actualités junior (&ccedilà partir de 1995). Information et pédagogie, tel est la devise de ces nouveaux venus. Rêve longtemps caressé par les éditeurs mais jamais réalisé, l'aventure de la parution journalière voit le jour grâce aux éditions Play Bac en 1995 avec Mon Quotidien, à destination des 10-13 ans, rejoint un an plus tard Mon petit quotidien (6-9 ans) et par L'Actu (14-18 ans). Encore une fois, ce type de journal constitue une spécificité toute française. Aujourd'hui Mon Quotidien s'enorgueillit de quelque 55 000 lecteurs chaque semaine, alors qu'il est vendu uniquement sur abonnement.

Mais d'un journal à l'autre les priorités varient. Si au Petit Quotidien on privilégie l'actualité des enfants, différente de celle des adultes, aux Clés de l'actualité, on détermine d'abord ce qu'il faut savoir pour l'essentiel de l'actualité.

Un autre innovation dans la presse enfantine ce sont naturellement les CD-Rom et la lecture dite "active". Milan propose déjà tout un panel de CD-Rom périodique, à l'exemple de Mobiclic ou de la version multimédia de Julie. Bayard Presse pour sa part associe de plus en plus l'achat du magazine papier et un CD-Rom. Un autre façon de lire la presse périodique est né, spécifique du public jeune, privilégiant l'apprentissage et la découverte. Car la presse périodique est certainement une autre façon de lire, moins linéaire que le livre, moins exigeante également. Pour l'enfant également, le temps passé dans un magazine, retrouvant ses héros ou ses histoires favorites, n'est pas assimilés à de la "vraie lecture", c'est à dire à une lecture plus scolaire. Par le CD-Rom, les éditeurs accentuent cette situation, en diversifiant les points de vue, en multipliant les sujets et les thèmes, en assimilant plusieurs rythmes de lectures et de compréhension.

Il faudra cependant attendre encore quelques années pour savoir si ce type de formule est vraiment celle de l'avenir. D'autant qu'une nouvelle tendance s'affirme, celle de consommer des périodiques destinés à un public plus âgés. Les parents prescripteurs adoptent de plus en plus cette attitude. Cette tendance semble particulièrement marquée chez les adolescents qui passent plus facilement de la presse enfantine à la presse des jeunes adultes, la presse spécifiquement "adolescente" étant synonyme pour eux de crise et de problèmes.

Il reste que la lecture des jeunes passent de plus en plus par le périodique et ce phénomène semble s'intensifier. Par sa qualité et sa diversité, la presse française pour la jeunesse occupe une place de choix et pourrait bien battre en brèche nos tendres éditeurs pour la jeunesse. Les nouvelles formules de lecture pour les jeunes sont certainement à chercher du côté des revues.

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Les principaux groupes de presse enfantine en France

- Bayard Presse Jeune (16 journaux)

- Disney Hachette Presse Premier par le chiffre d'affaires

- Milan (8 journaux)

- Fleurus Presse

Les parutions

Sur les 120 titres :

-60% de mensuels

-20% de bimestriels

-15% de trimestriels

-5% d'hebdomadaires

-3 quotidiens (Premier quotidien en 1995)

Etudes

Très peu d'études concernent spécifiquement les magazines pour enfants


Raoul et Jacqueline Dubois, La presse enfantine française, Francs et Franches camarades, 1957

Raoul et Jacqueline Dubois, Journaux et illustrés, Gamma, 1971

P. Fouilhé, Journaux d'enfants-journaux pour rire?, CAP, 1955

Alain Fourment, Histoire de la presse des jeunes et des journaux d'enfant (1768-1988), Eole, 1987.

Sites à visiter

Le site de l'IUFM de Créteil, donnant une bonne vision des périodiques du moment.



Le sondage "Les jeunes et l'information" réalisé par l'Institut CSA pour le Clemi, le syndicat de la presse des jeunes et la presse quotidienne régionale.

A Suivre

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